La part spirituelle des clowns

La part spirituelle des clowns

Depuis quelques années, des ateliers proposent d’expérimenter le jeu de clown comme outil de cheminement spirituel. Rencontre.

On pourrait croire que Myriam Fonjallaz mène une double vie, façon accompagnante spirituelle la journée, artiste clown la nuit. Ce serait méconnaître les liens ténus que cette aumônière protestante, aujourd’hui active au sein de la Communauté œcuménique des personnes en situation de handicap et de leurs familles (COPH), à Genève, tisse entre ces deux pratiques. Depuis quelques années, elle propose d’ailleurs des ateliers destinés au grand public visant à explorer sa spiritualité à travers le jeu de clown. Explications.

En quoi le jeu de clown peut-il constituer, selon vos mots, un «chemin de spiritualité»?

En pratiquant cet art à titre personnel, je me suis rendue compte que cela me permettait de me relier à quelque chose de profond à l’intérieur de moi. Et plus j’étais connectée à cette part intime, plus je me sentais également reliée à quelque chose de plus grand que moi. Je crois que le jeu de clown invite à cette posture d’humilité face à la vie – sans la prétention d’avoir connaissance ou une quelconque maîtrise sur ce qui advient.

Pour quelles raisons?

La figure du clown est en permanence aux prises avec quelque chose qui le dépasse. Il essaie de faire quelque chose, il n’y arrive pas, puis se laisse surprendre par les événements.  Il y a quelque chose de l’ordre du spirituel dans cette ouverture face à ce qui est donné.

Le jeu de clown procèderait alors d’une forme de lâcher-prise?

Je parlerais plutôt de «laisser faire». Dans le terme «lâcher-prise», je vois plutôt une forme de mise en retrait, voire de défiance, alors que le jeu de clown pousse au contraire à la confiance. Un des premiers exercices que je propose consiste à se placer simplement face au public, avec le masque qu’est le nez de clown. Dans cette posture, l’attention est décuplée et tout ce qui se passe devient un événement en soi qui invite au jeu. Le clown fait «avec», et non «malgré».

Qu’apporte l’utilisation du masque? Une forme de protection?

Au contraire! C’est tout le paradoxe du masque de clown, qui révèle plus qu’il ne cache. Le masque participe au dévoilement, car il permet de retirer toutes les couches de vernis social, les différents rôles que l’on peut avoir, les conventions et les bonnes manières qu’on a apprises – comme le lien direct avec notre humanité profonde. Le clown a besoin de se confronter au regard de l’autre, mais aussi d’y puiser son appui pour se découvrir et aller à sa propre rencontre.

Personnellement, que vous a apporté le jeu de clown?

Je ne serais pas la même aumônière si je n’avais pas cette pratique, sur laquelle je me suis toujours beaucoup appuyée. Je ne dis pas que les aumôniers sont des clowns, mais il y a vraiment des similitudes dans la posture d’ouverture et d’attention à tout ce qui est présent, notamment le langage non verbal. Cette pratique m’a notamment permis de me sentir plus à l’aise dans des postures d’impuissance, comme lors de situations de fin de vie ou d’autres choses très compliquées. Parfois, comme le clown, il y a juste à être là, en toute humanité, et à accueillir la richesse de la vie et de la relation.

Où placez-vous la limite entre une pratique spirituelle et une pratique thérapeutique de cet art?

Je me suis toujours abstenue de parler de clown thérapeutique, qui impliquerait, pour moi, de définir des objectifs à atteindre. Je tiens à rester dans cette ouverture à ce qui se présente et laisser chaque personne faire son chemin. En tant qu’indépendante, je pratique également du clown de type relationnel, en réalisant des visites dans des institutions ou des EMS.

Qu’apporte alors cette figure du clown?

Dans ce cadre, le nez rouge permet aux résidents d’immédiatement nous identifier quand on débarque dans leur chambre: nous ne sommes ni des animateurs ni des soignants. On vient en amis, en visite. Cela leur offre un vrai espace de liberté, dans lequel ils peuvent également choisir de nous refuser sans que cela ne porte à conséquence. Et s’ils nous acceptent, on essaie de leur proposer un bout d’imaginaire en fonction de ce qui est présent dans la pièce.

Pour en revenir aux ateliers que vous proposez actuellement, à quel genre de public s’adressent-ils?

C'est très variable. Il n’y a pas forcément beaucoup de jeunes, plutôt des personnes en activité professionnelle, voire des personnes proches de la retraite. S’il y a une vraie curiosité autour de cette pratique, celle-ci se confronte également à beaucoup de résistances. Etant très engageante, elle ne convient pas à tout le monde.

Que viennent y chercher ceux qui en redemandent?

Une forme d'authenticité, je crois ainsi qu’un rapport à soi, et du coup aux autres, davantage décomplexé. Et peut-être bien aussi une forme d’entraînement à l’émerveillement. Quant à ceux qui ont déjà quelques acquis dans la pratique, ils ont vraiment aussi l'envie de revenir à des grands textes de leurs traditions et de les explorer par ce biais. Ceci non dans une volonté de provocation ou de les rendre ridicules, mais pour aller au-delà de ce qu'on croit savoir. Par exemple, pour moi, c'est vraiment avec le clown que j'ai pris conscience de la dimension de l'incarnation au sein de la religion chrétienne. 

C’est-à-dire?

Je vois un lien entre la figure du clown et celle du Christ. Comme le Christ, le clown vient pour se dévoiler et se donner. Il y a donc vraiment quelque chose d’un don de soi, qui n’est évidemment pas de l’ordre du sacrifice, mais d’un don qui s’appuie sur une humanité assumée et ouverte à la relation. C’est ainsi que je le lis, partant de ma foi protestante. Mais mes ateliers se veulent ouverts à toutes formes de spiritualité.

INFOS PRATIQUE

Prochain week-end de stage, les 22 et 23 juin 2024.

Infos sur : www.maisonbleuciel.com

Un chaos vivifiant et salutaire

Issu de l’univers circassien, le clown est depuis devenu une figure aux multiples horizons. On le croise désormais tant à l’hôpital au chevet des patients, dans les cabinets de psychothérapie comme outil de développement personnel, mais également comme médiateur en entreprises ou sur le terrain social et en tant qu’agitateur politique. Mais comment comprendre cette foisonnante diversité? «Parce que le clown est un professionnel de la rencontre», formule Isabelle Roch-Schenkel, art-thérapeute diplômée en sociologie et auteure du livre Le clown thérapeute (Ed. L’Harmattan, 2012). A ses yeux, son apparition dans l’univers des soins tient de l’évidence «puisque l’on sait que, dans la thérapie, c’est la qualité de la relation qui soigne, plus que n’importe quelle méthode de soins».

Le clown peut également endosser le rôle d’intervenant social dans différents contextes, allant de la rue aux séminaires d’entreprises, en passant par différentes institutions et lieux de formation. Il peut également être utilisé à des fins de détournement, notamment dans l’activisme politique. «Dans notre monde d’experts et de pouvoir, le clown vient amener du chaos, là où il y a essentiellement de l’ordre», analyse la spécialiste. «Il fait émerger le vivant, là où ne l’attend plus. Si dans le soin, il vient chercher cet espace qui n’est pas touché par la maladie, dans le champ politique, il vient en contre-pouvoir à l’ordre établi.»

Isabelle Roch-Schenkel rappelle d’ailleurs qu’aux origines, «le clown est celui qui vient nettoyer le crottin de cheval entre deux numéros de cirque, et qui fait rire par sa maladresse. C’est l’impromptu au milieu de deux espaces bien déclarés de spectacle.» De fait, le clown est toujours appelé à s’immiscer dans des territoires qui ne lui sont pas spécialement dédiés, mais où il a tout à chahuter.