Les spiritualités alternatives sont-elles l’avenir des Eglises?
Parler avec les morts lors d’un atelier de médiumnité, pratiquer la divination grâce au tarot de Marseille ou encore s’entretenir avec un chamane… Voici quelques activités proposées par le premier Festival de spiritualités, qui aura lieu du 28 septembre au 1er octobre à Tramelan (BE). Organisée par les Eglises réformées de Berne-Jura-Soleure (Refbejuso), la manifestation se veut un «lieu de dialogue entre spiritualités actuelles, nouvelles, émergentes, antiques redécouvertes et chrétienne» et entend «dépasser le cadre des religions pour s’ouvrir au niveau de la spiritualité». En clair: mettre de côté les traditions pour ne s’occuper que d’une certaine transcendance.
Si l’initiative peut surprendre, elle n’est en tout cas pas «un moyen de promotion pour ces spiritualités alternatives ni une façon de profiter de leur popularité», assure Gilles Bourquin, pasteur du Jura bernois et membre du comité de pilotage. A ses yeux, cet événement intervient comme un «travail à faire sur soi-même, afin de se confronter à d’autres réalités et peut-être faire tomber certains préjugés».
Pour Anne-Dominique Grosvernier, responsable de la catéchèse pour l’Eglise jurassienne et co-organisatrice, il s’agit notamment de répondre aux questionnements des jeunes. Cette psychologue et formatrice d’adultes – qui «s’adresse à Dieu et aux anges» quand elle pratique la psychokinésiologie – avance que «la spiritualité chrétienne doit pouvoir donner des pistes à la recherche de sens toujours aussi forte des jeunes. Or les institutions comme les Eglises réformées ne séduisent plus. D’où l’intérêt d’aller voir ce que les autres spiritualités peuvent nous apporter…»
Témoin de la «désaffection des croyants en milieu ecclésial», Gilles Bourquin est d’avis que «les Eglises doivent faire leur travail en conservant leur ligne, mais enlever les œillères qu’elles peuvent parfois avoir au sujet des différentes expériences spirituelles existantes». La démarche de ce festival a «avant tout pour but de bénéficier d’un meilleur discernement, en connaissant mieux la nature d’un large éventail de spiritualités alternatives. Même s’il existe forcément des contradictions théologiques, cette opération vise un rapprochement entre les différents acteurs du secteur, appelés à dialoguer.»
Une ouverture que saluent les intervenants du festival, dont Georges Delaloye. Pour ce faiseur de secrets et magnétiseur valaisan, qui participera à une table ronde et proposera un atelier afin de faire découvrir ses dons de guérisseur, «nous sommes tous chrétiens, et il est bon que les Eglises sortent de leur cadre strict en mettant de l’eau dans leur vin. Toutes les spiritualités vont vers la même source, la même envie de bien et de bien-être.» Même constat chez Joëlle Chautems, druidesse et star des librairies avec des ouvrages comme Eveille ton potentiel magique (Ed. Favre, 2021). «Il serait formidable qu’à l’avenir nous puissions aller vers une forme d’unité. Après tout, le respect, l’écoute et l’empathie sont des valeurs présentes dans toutes les religions du monde», relève celle qui participera également à une table ronde et animera un atelier autour de sa pratique.
«La juxtaposition des croyances voulue par ce festival se retrouve souvent dans la façon dont les personnes intéressées les abordent», réagit l’historien des religions Jean-François Mayer. A savoir «par des incursions occasionnelles, en touchant un peu à tout sans forcément se fixer durablement sur une pratique définie.» De fait, Joëlle Chautems raconte s’être intéressée «au bouddhisme tibétain, puis au soufisme ou encore à la Kabbale et la mystique juive» avant de devenir druidesse.
Jean-François Mayer évoque également la notion de «marché», rejoignant ainsi les préoccupations du sociologue des religions de l’Université de Lausanne Jörg Stolz. A propos de l’offre ésotérique romande, ce dernier souligne que «la plupart des personnes qui s’en déclarent des professionnels restent avant tout des entrepreneurs spirituels. Leur démarche est donc à différencier de celle d’une Eglise nationale, qui ne vous demandera pas d’argent pour ses services».
De son côté, la philosophe et enseignante à la faculté de théologie de l’Université de Genève Mariel Mazzocco, qui donnera une conférence à Tramelan sur l’influence des spiritualités dans nos vies, salue cette «envie d’enrichissement mutuel» manifestée par les Eglises au-delà de ce seul festival. «Les institutions religieuses ont tout à gagner à s’intéresser de façon critique à ces nouvelles spiritualités et à la manière dont celles-ci s’inscrivent dans une dimension individualiste, proche du développement personnel et donc plus en phase avec la société actuelle.»
Jusqu’à abandonner leur aspect communautaire? «Pas complètement, mais tout le monde s’adapte à son époque, du parti politique au club de sport, c’est bien normal», explique Olivier Bauer, professeur ordinaire à la faculté de théologie de l’Université de Lausanne. Le 20 septembre, ce dernier a d’ailleurs lancé, à l’Université de Genève, un cours sous forme de réflexion sur la possibilité d’«ouvrir la paroisse de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) de Prilly-Jouxtens à de nouvelles spiritualités».
A l’initiative d’Isabelle Graesslé, pasteure du lieu, il est notamment demandé aux étudiants théologiens d’évaluer comment cette ouverture pourrait rester «fidèle à différentes compréhensions de l’Evangile et pertinente dans un contexte contemporain». Cette ministre dispense déjà plusieurs ateliers où prière et liturgie traditionnelle laissent place à des séances de méditation. «Il est bienvenu pour un nombre grandissant de paroissiens d’utiliser de nouvelles pratiques, afin que quelque chose de différent se passe en Eglise», exprime-t-elle. «La sensation d’une transcendance vécue davantage par le corps.»
Cette approche se nourrit notamment des travaux du pasteur et accompagnateur psycho-spirituel Nils Phildius, créateur de la Maison bleu ciel de Lancy (GE), un «espace de spiritualité ouvert à toute personne en recherche d’intériorité». Sa conception d’une «spiritualité non-duelle» se base sur «la conviction qu’en plongeant en soi-même, on peut trouver l’infini de Dieu». Pour Olivier Bauer, il est sûrement «plus audible pour les jeunes générations de présenter une foi chrétienne plus ressentie qu’intellectuelle». Et de conclure que celle-ci pourrait peut-être se pratiquer «dans une forme très dépouillée, qui donne à vivre l’essentiel de l’Evangile: aimer son prochain comme soi-même».
Festival de spiritualités
CIP de Tramelan (BE)
du 28 septembre au 1er octobre 2023
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