Descendants de nazis, ils s’engagent comme bénévoles en Israël
Comme tous les écoliers allemands, Leo Ebe, originaire de Tübingen, dans le sud de l'Allemagne, a étudié l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de l'Holocauste. Mais ce n’est que lorsque son Église a demandé à ses membres d’enquêter sur le rôle éventuel joué par leurs proches dans la Shoah qu’il a découvert son lien personnel avec le passé nazi de son pays.
Leo Ebe, alors jeune adolescent, découvre que son arrière-grand-père a servi dans les rangs de la SS, la police militaire) du régime nazi. «Mon arrière-grand-père a aidé à brûler des villages juifs et a pris aux juifs des objets précieux, comme des objets d'art et des bijoux. Il a organisé des émeutes. Il faisait patie des troupes qui se rendaient dans les villages mis à sac pour s’assurer qu’il ne restaient personne en vie», raconte le jeune homme, aujourd’hui âgé de 18 ans.
«J'ai été choqué et extrêmement déçu, mais j'ai aussi réalisé des choses sur moi-même», confie-t-il. «En tant que chrétien, il est de ma responsabilité de me positionner clairement aux côtés des juifs et pour Israël.»
C'est cette conviction qui l'a amené à l’ADI Negev-Nahalat Eran, un village de rééducation pour enfants et adultes gravement handicapés dans le sud d'Israël, en octobre dernier. Un voyage organisé par le mouvement allemand «Marche de la Vie», qui s’engage à combattre l’antisémitisme par l’activisme et propose dans ce but d’expier l’Holocauste par le volontariat.
Lancée en 2007 par les pasteurs Jobst et Charlotte Bittner, fondateurs de TOS Ministries (une église évangélique et charismatique de Tübingen, possédant une société missionnaire et une organisation caritative), la Marche de la Vie a organisé des centaines de marches de commémoration et de réconciliation sur des sites de l'Holocauste dans toute l'Europe.
Au cours des dernières années, l'organisation a également envoyé de jeunes Allemands en Israël pour travailler bénévolement avec l'ADI, la plus grande institution israélienne spécialisée dans la réadaptation pour les personnes gravement handicapées. L’œuvre allemande a choisi de s’associer à cette structure en partie parce que les Allemands handicapés ont été le premier groupe que les nazis ont cherché à éliminer.
Travailler avec des enfants et des adultes handicapés «est quelque chose qui vous rend humble», formule Heinz Reuss, directeur international de Marche pour la Vie. Le fait que l'ADI dessert tous les segments de la société israélienne «élargit massivement la perspective des volontaires. Cela brise les stéréotypes et renforce leur compréhension de ce qui s'est passé pendant la Shoah».
Beaucoup de participants sont des descendants de nazis. «Mes parents ont commencé à faire des recherches sur notre famille quand j'avais 4 ou 5 ans», se rappelle Anna-Suzette Pfeiffer, 18 ans, qui travaille au jardin d'enfants d'ADI. «La vérité est tellement cachée en Allemagne. C'est un long processus.»
Tous les arrière-grands-pères de l’adolescente étaient nazis: l'un travaillait dans une usine d'armes, tandis qu'un autre s’accaparait les maisons des juifs et des non-juifs en Europe de l'Est pour que les Allemands puissent s'y installer. Un des grands-pères de sa mère a également aidé à construire les clôtures électriques et les chambres à gaz du camp de la mort d'Auschwitz-Birkenau.
Anna-Suzette, qui s'est déjà rendue en Israël huit ou neuf fois, sait qu'elle ne peut pas annuler le passé. Mais, dit-elle: «Je suis reconnaissante d'avoir la possibilité de faire du bénévolat et de travailler avec des enfants juifs. C'est un tel honneur. C'est en Israël que j'ai compris pour la première fois ce que signifient vraiment la famille et la communauté. Je ramènerai cette compréhension en Allemagne.»
Shauna Wither, 19 ans, relève de son côté que le bénévolat avec les enfants d'ADI lui a permis de réévaluer sa propre vie et ses attentes. «J'ai beaucoup appris auprès des enfants. Ils apprécient chaque petite chose qu'ils accomplissent. Ils m'ont enseigné à ne pas être trop dure avec moi-même. J'ai aussi réalisé que si on donne beaucoup d'amour, on en reçoit beaucoup en retour.»
Venir en Israël pendant la pandémie a été un défi, «mais il était encore plus important de venir maintenant», souligne Shauna, alors que les visites de l'extérieur du village sont extrêmement limitées. L’opération se révèle gagnant-gagnant: tandis que la structure enseigne aux volontaires la responsabilité sociale, les volontaires apportent chaleur et enthousiasme.
Pour Doron Almog, président de l'ADI Negev-Nahalat Eran, l’aide pratique que ces bénévoles apporte est inestimable. Mais en plus, déclare-t-il, ces volontaires fournissent une énergie sans limite et ce tout particulièrement dans une période où les routines ordinaires sont devenues difficiles. «Ils sont motivés et dévoués. Ce sont les meilleurs ambassadeurs.»
Le responsable de l’institution dit comprendre les motivations des volontaires, étant donné les crimes de guerre de leurs ancêtres. Mais personnellement, il voit leur travail différemment, à travers le prisme du tikkun olam, soit l'impératif juif de réparer le monde et d'en faire un endroit meilleur. «Leurs grands-parents ont été endoctrinés par l'idéologie raciste. Ils pensaient qu'ils étaient la race supérieure», expose-t-il. «En 1939, Hitler a rassemblé des handicapés et les a assassinés. Ici, leurs petits-enfants apprennent que nous sommes tous égaux. Que chaque vie est précieuse.»
Relations entre l’Allemagne et Israël
Dans les décennies qui ont suivi l'Holocauste, l'Allemagne est devenue l'un des plus puissants alliés d'Israël. En plus des nombreux Allemands qui se portent volontaires en Israël, le Gouvernement allemand a toujours soutenu Israël sur le plan diplomatique et économique, notamment en matière de relations commerciales et réparations d’après-guerre.
En 1996, l'Allemagne a officiellement désigné le 27 janvier comme journée de commémoration publique de l'Holocauste, une décennie avant que les Nations Unies n’initient, en 2005, ce même jour comme la Journée internationale de commémoration de l'Holocauste.