Le Mouvement chrétien citoyen interpelle Tamedia
Face à la vague de licenciements annoncés au sein des rédactions romandes du groupe Tamedia, le Mouvement chrétien citoyen (association œcuménique anciennement appelée «Chrétiens au travail») a décidé «de réagir et de réfléchir». A cet effet, il organise ce mercredi 22 novembre, à 19 h 30 à l’Espace Martin Luther King (salle sous l'église de Saint-Laurent de Lausanne), une soirée publique sur le thème : «Le moteur des médias: l’argent ou l’information?»
Y participeront notamment la journaliste et présidente d’impressum Caroline Gebhard, le journaliste Jacques Pilet, le directeur de Médias-pro Michel Kocher (journaliste et théologien), Raphaël Pomey le rédacteur en chef du «Peuple» ainsi que le théologien Shafique Keshavjee, l’un des organisateurs de la soirée. Invitée par une lettre ouverte, la direction de TX Group et de Tamedia a cependant décliné l’invitation.
Dans ce courrier envoyé le 11 octobre, le Mouvement chrétien citoyen exprime sa consternation face à ces licenciements représentant «13% des effectifs». Une décision encore «plus incompréhensible que, selon les informations qui circulent, TX Group souhaite économiser 6 millions alors qu’il a réalisé en 2022 un bénéfice de 123 millions. Et que les résultats de 2023 sont en hausse.» Et d’interpeller, en rouge dans le texte: «Est-il irréaliste de demander à la famille Coninx de diminuer un peu ses bénéfices et de protéger les emplois de Tamedia? Et de demander à TX Group d’assumer sa "responsabilité sociale" en trouvant des solutions humainement acceptables?»
«Il faut être réaliste: une entreprise doit faire des bénéfices. Mais comment se fait-il qu’une seule famille détienne les 70% du groupe et touche annuellement près de 40 millions de dividendes depuis vingt ans?» interroge Shafique Keshavjee. «Il est possible d’opter pour un libéralisme responsable.»
Ce n’est pas la première fois que cette association de chrétiens qui s’est toujours engagée «pour la dignité au travail» s’indigne des licenciements jugés abusifs dans le monde de la presse. En 2016, une soirée du même acabit avait également été organisée, «plus centrée sur le travail des journalistes alors qu’aujourd’hui nous souhaitons une réflexion sur le fonctionnement des médias dans leur ensemble», explique Pierre Farron, président du Mouvement chrétien citoyen.
Mais pourquoi monter au créneau pour défendre les journalistes? «Nous l’avons aussi fait pour les paysans ou les professeurs de musique», tient à souligner Shafique Keshavjee. «Nous sommes préoccupés à chaque fois que des professions sont fragilisées dans leur ensemble.» Pour autant, plus largement, derrière la brutalité des licenciements, c’est bien la question fondamentale de l’accès à l’information qui surgit. «La quantité phénoménale de fake news circulant sur les réseaux sociaux - et qui sont parfois des plus crédibles – souligne l’importance du métier de journaliste», exprime Pierre Farron. «On est de plus en plus face à des discours de propagande diffusés par des agents de communication professionnels très pointus. Or le rôle des journalistes est justement d’enquêter pour délivrer une information vérifiée.
Avis pleinement partagé du côté de Shafique Keshavjee qui estime que, «même si une neutralité totale n’est jamais possible, l’éthique journalistique oblige à la bienveillance pour essayer de comprendre les différents points de vue et chercher ce qui s’approche le plus d’une information vraie.»
Interpellée par le Mouvement chrétien social, la présidente de l’Eglise évangélique réformée de Suisse Rita Famos se dit «inquiète pour l’avenir du journalisme de qualité», et ce également en lien avec «les différentes initiatives visant à supprimer ou à réduire la redevance pour les médias du service public. Car une Suisse démocratique a besoin de médias publics fournissant une couverture équilibrée qui fait entendre la voix des minorités et des plus faibles.»
«La force d’une démocratie se mesure d’ailleurs à la pluralité de ses médias», renchérit Shafique Keshavjee, qui voit «dans la logique des algorithmes, qui ne proposent que ce que l’on a envie d’entendre, un véritable danger: soit le risque de ne plus communiquer avec des personnes ayant des points de vue divergents», ce qui déteindrait de facto sur le vivre-ensemble. Or, «dans la tradition chrétienne, une attention particulière est donnée au bien commun», résume Pierre Farron. «Et l’accès à une information vraie et vérifiée y contribue.»