Un date entre croyants: mieux que Tinder?
«Depuis mon divorce, la foi est revenue au centre de ma vie. Aujourd’hui, rencontrer quelqu’un qui n’aurait pas les mêmes valeurs spirituelles que moi aurait peu de sens», relève Aline*, quadra neuchâteloise. Désireuse de refaire sa vie, cette protestante réformée et mère de deux enfants vient de s’inscrire à une soirée de «spi-dating», qui aura lieu le 9 mai au caveau du Château de Colombier (NE). Organisé par l’Eglise réformée évangélique du canton de Neuchâtel (EREN) et l’association Arc-en-ciel, cet événement, qui sera donné «dans un cadre intimiste, romantique et musical», se veut une occasion de faire des rencontres entre personnes partageant un même socle chrétien. Il est ouvert à «toute personne, quelle que soit son orientation sexuelle ou affective».
«Il est normal que des personnes aient envie, dans le cadre d’une rencontre amoureuse, que leurs spiritualités respectives se rejoignent», commente Nicole Rochat, initiatrice de la soirée. Selon cette pasteure, sexologue et thérapeute de couples, «la spiritualité joue bien souvent un rôle dans la vie au quotidien et dans certains choix de vie, en même temps qu’elle impose parfois certaines priorités». Dès lors, «le fait que deux êtres se retrouvent sur ce plan-là permet un vivre ensemble plus harmonieux, et participe parfois aussi à ce que ces personnes se plaisent».
Selon la ministre, cette soirée répond à un vrai besoin. «Les algorithmes sur les sites ou applications de rencontres se servent très peu de la composante religieuse afin de rapprocher les profils d’utilisateurs», poursuit Nicole Rochat. «Certains sites ne demandent d’ailleurs même pas de renseigner ce critère.»
Conscients de l’existence de ce marché de niche, certains sites ont au contraire tablé sur cette attente, et remportent un succès grandissant. Pour preuve, le site Theotokos, qui se présente comme «le leader de la rencontre chrétienne», aide à la formation de couples de chrétiens depuis plus de dix-huit ans. Fort de 400 000 inscrits, Theotokos en comptait 100 000 de moins en 2019.
Créé par Olivier Orna, formé au marketing et à l’administration d’entreprise, ce site payant a totalisé plus d’un 1,7 million de sessions actives depuis la France en 2022, et 35'947 depuis la Suisse. Et s’il peut se vanter d’être à l’origine de plus de 2000 mariages, Theotokos, en plus de son activité en ligne, organise des sorties pour célibataires chrétiens, entre journées de randonnée ou soirées bowling à travers l’Hexagone. Environ 3000 personnes auraient déjà pris part à ces temps de rencontre.
«Au moment de l’inscription, notre questionnaire demande notamment aux utilisateurs de se positionner sur leur confession, tout comme sur leur rapport au sport ou aux médias», explicite Olivier Orna, qui constate que la majorité des abonnés de Theotokos partagent le projet de se marier et de fonder «une famille traditionnelle», le site n’étant pas prévu pour des profils LGBTIQ+. «Cela irait contre nos convictions théologiques, étant donné que le mariage homosexuel n’est pas célébré dans l’Eglise catholique.»
Même son de cloche chez Guiral Ferrieu, Bordelais et PDG de Heavn, une société fondée en 2019, qui exploite une application de rencontres du même nom. Sur Heavn, dont l’utilisation est gratuite, et où 50'000 Français sont inscrits, contre 4000 Romands, il est question de faire connaissance avec trois profils de chrétiens de sexe opposé par jour, selon leur rapport à la foi et leur proximité géographique. «Nous devons en être à 200 mariages», se réjouit Guiral Ferrieu. Selon ce dernier, les utilisateurs de Heavn sont eux aussi «attachés à l’idée du mariage et de la fidélité. Ils ont envie de partager une même foi en Jésus-Christ et surtout de pouvoir la transmettre à leurs futurs enfants».
«Nous n’avons parfois même pas besoin de nous consulter», s’émerveille Anna Alves, trentenaire à la tête d’une agence de communication vivant à Cannes, et qui a rencontré son mari Johan, contrôleur de gestion du même âge, grâce à l’application Heavn. «Nous comptons avoir des enfants, et je sais que nous aurons les mêmes principes éducatifs grâce à nos valeurs chrétiennes», assure-t-il.
Les chrétiens ne sont d’ailleurs pas les seuls à nourrir l’envie de se rencontrer entre croyants. De fait, les musulmans bénéficient aussi d’une large offre sur la Toile, dont le célèbre Mektoube.fr, créé en 2006. Quatrième site de rencontres français, le géant Meetic trustant la première place, le site musulman totalise près de 5 millions d’inscrits, et en compte un peu moins de 100'000 en Suisse. «Partager les mêmes coutumes, vouloir le même mariage, et que leurs parents puissent s’entendre importe beaucoup à nos abonnés», assure Laouari Medjebeur, son créateur.
Pour Eric Widmer, sociologue à l’Université de Genève et spécialiste des dynamiques familiales, «le fait que des sites de rencontres spécialisés existent n’a rien d’étonnant». Selon lui, ces derniers mettent en place «des stratégies sociologiques plutôt classiques». Jusqu’à favoriser l’entre-soi culturel? «Les couples ont toujours eu tendance à se former selon des principes d’homophilie [fréquentation de ses semblables, ndlr] et d’homogamie [mariage au sein d’un même groupe social, ndlr], et le partage de mêmes normes sociales.» De la «reproduction sociale» qui, pour Catherine Solano, médecin et sexologue française, n’est pas surprenante non plus. «De la même façon, les riches se marient plutôt entre riches.»
Catherine Solano, qui travaille en tant qu’experte pour la mouture belge de l’émission Mariés au premier regard, insiste d’ailleurs sur l’importance du partage d’idéaux communs. «Les valeurs que portent les candidats sont primordiales, et comptent d’ailleurs bien souvent plus que l’attirance physique». Dans ce programme télévisé, des couples se marient sans se connaître selon un fort taux de compatibilité établi par des tests psychologiques poussés. «On n’a encore jamais vu des gens aux valeurs différentes former un couple aimant et durable», ajoute-t-elle.
Mais ce point commun est-il vraiment nécessaire en amour? Pour les spécialistes, il est en effet difficile de mettre sa foi de côté au cœur de la relation, comme en témoigne Anna Alves, qui confie avoir «tenté de faire connaître le Christ à un homme. Cela n’a pas marché. Avec ce non-croyant, je m’éloignais de Dieu, et je fréquentais moins souvent mon église, ce qui me rendait malheureuse». La Neuchâteloise Aline avoue elle aussi avoir «essayé de convaincre» un homme, et s’être fait «rembarrer» à chaque fois. «A l’époque, je me suis donc mise à garder ma croyance pour moi, en la rendant presque secrète. Je ne veux plus de ça, je veux la partager», affirme-t-elle.
Pour Olivier Orna, les sites de rencontres pour croyants sont enfin une manière de se rencontrer «sans jugement, dans une société passablement sécularisée où la foi peut être mal vue». Ce qu’atteste Eric Widmer: «De la même façon qu’une application pourrait aider des personnes issues d’une minorité de genre à se rencontrer entre elles, le Web permet aux croyants de se retrouver plus facilement, à l’heure où les normes de notre société n'imposent plus de s'impliquer dans une communauté religieuse».
*prénom d’emprunt