Des anges gardiens sur le tarmac

Des anges gardiens sur le tarmac

QUAND DIEU EST DU VOYAGE (1/3)
Fait peu connu, la plupart des grands aéroports disposent d’un service d’aumônerie, prêt à entourer les passagers ou membres des différents personnels en situation de crise. Car voyager ne rime pas toujours avec légèreté.

On les imagine plus facilement dans les hôpitaux ou les établissements carcéraux, au chevet des malades et à l’écoute des prisonniers. Et pourtant, les aumôniers des Églises historiques assurent également une présence régulière dans les aéroports, comme à Genève et Zurich.

«C’est lié à l’histoire de l’aviation, qui a pris son essor après la Seconde Guerre mondiale», relate David Gonzalez, aumônier protestant à l’aéroport de Paris-Orly. «L’aviation militaire américaine avait alors l’habitude d’avoir des aumôniers embarqués sur les vols.» Si ceux-ci ne s’envolent plus avec les passagers, ils accompagnent, en cas de besoin, leurs départs comme leurs arrivées.

«La plupart des grands aéroports possèdent aujourd’hui un service d’aumônerie», confirme Stephan Pfenninger, aumônier réformé à l’aéroport de Zurich. «Les espaces de recueillement sont d’ailleurs devenus un critère d’excellence pour l’industrie aéroportuaire», indique le pasteur parisien. Et de citer «Roissy et Orly, qui étaient dans les profondeurs du classement international jusqu’à il y a une dizaine d’années et sont remontés grâce à la création d’un espace de prière ainsi que la mise en place d’une équipe multiconfessionnelle».

De l’écoute et du café

Leurs missions? «La plupart du temps, nous sommes appelés par un membre du personnel ou la police qui nous signale que quelque chose ne tourne pas rond», raconte Andrea Thali, aumônière catholique à l’aéroport de Zurich. Et son confrère réformé d’enchaîner: «Notre mission est souvent davantage d’ordre social que religieux. Nous sommes là pour toute personne qui a besoin que l’on prenne du temps pour elle.»

Ainsi, les aumôniers zurichois accueillent dans leur bureau aussi bien des passagers en détresse psychologique, en attente forcée ou encore sans le sou. «On leur permet d’utiliser notre téléphone pour joindre leurs proches ou encore leurs ambassades», précise Stephan Pfenninger. «La part spirituelle est plus présente dans la manière dont on s’adresse à ces personnes», souligne Andrea Thali. «Nous sommes ouverts à toutes les demandes, et les gens le ressentent. Ils s’estiment en sécurité, reconnaissants qu’on essaie de les soutenir émotionnellement, en prenant le temps de discuter avec eux devant un café.»

Frontière et misère

À Cointrin, Alexandre Winter, aumônier de l’Église protestante de Genève (EPG), compare le bâtiment de l’aéroport à «une sorte de no man’s land, où il est important d’offrir une présence bienveillante». Avec sa collègue de l’EPG Véronique Egger, ils s’occupent principalement d’entourer les demandeurs d’asile retenus aux frontières. «Les requérants peuvent rester jusqu’à 60 jours à l’aéroport, dans un bâtiment de l’autre côté des pistes», souligne-t-elle. «Lors de renvois, la situation est toujours des plus douloureuses.»

À Paris, David Gonzalez part aussi régulièrement «en maraude avec les employés de la Croix-Rouge, à la rencontre de la cinquantaine de SDF qui dorment dans les terminaux – des gens souvent perdus depuis des années». L’approche? «Quand on a le badge de l’aéroport autour du cou, les gens s’adressent à nous spontanément pour nous demander les renseignements dont ils ont besoin.»

Des cris et des larmes

Et puis il y a les drames. Comme ces deux suicides, intervenus juste avant Noël dans l’aéroport de Zurich, mais aussi les attentats du 11 septembre ou encore le Swissair Grounding, qu’a vécu ensemble le duo zurichois. «Le cœur de notre métier reste les situations de crise. Notre bête noire: le crash aérien», formule David Gonzalez. Lors de la pandémie, alors que beaucoup de Maghrébins souhaitaient rejoindre leur pays pour faire l’enterrement de leurs parents ou grands-parents, les vols manquaient, raconte-t-il. «Nous avons dû faire face à des femmes âgées qui se roulaient par terre de douleur. Dans ce genre de situation, appeler l’aumônier, c’est toujours mieux que la police ou la Sûreté!»

Quel que soit l’événement dramatique, les aumôniers se retrouvent toujours en première ligne. Véronique Egger se souviendra encore longtemps de ce jour, après le Tsunami de 2004, où la police lui «a demandé de les accompagner chez les familles qui n’avaient pas de nouvelles de leurs proches, pour prélever leur ADN..» Ou encore «cette jeune Guinéenne, qui était forcée d’épouser un vieux monsieur. Sa maman l’a aidée à fuir pendant le mariage, mais la protection en Suisse lui a été refusée et elle a été renvoyée à Casablanca», poursuit-elle. «J’ai contacté sa maman en Guinée, elle n’a plus eu de nouvelles de sa fille.»

Stephan Pfenninger reste quant à lui marqué par «cette voyageuse de 65 ans en provenance de Nouvelle-Zélande, qui était convaincue que son gouvernement cherchait à l’éliminer». Empêchée dans sa fuite par manque d’argent, elle a vécu plusieurs semaines dans l’aéroport: «Quand on a réalisé qu’elle ne voulait vraiment pas rentrer chez elle, on s’est résolu à ne pouvoir être, pour elle, qu’une maison temporaire.»