Croix suisse et croix du Christ: même combat
De nos passeports au couteau suisse, notre chère croix fédérale, tracée en blanc sur fond rouge, est devenu un emblème qui dépasse le simple rappel de nos couleurs nationales. Mais si aujourd’hui les notions de qualité et de précision vont souvent de pair avec le symbole helvétique, ce dernier n’a pas toujours été brandi pour les mêmes raisons. D’abord portée en brassard sur les champs de bataille par les confédérés, et ce dès le Moyen Âge, la croix blanche était avant tout une référence claire à la croix christique. En effet, en Suisse, art de la guerre et religion chrétienne étaient alors intimement liés, les soldats ayant coutume de se placer sous la protection de Dieu avant de prendre les armes. On se servira d’ailleurs de la croix blanche avant même que soit adopté l’uniforme militaire.
«La première apparition de cette petite croix blanche remonte à la bataille de Laupen (BE), qui oppose les troupes de Louis IV de Bavière aux Bernois en 1339», relève Jürg Burlet, conservateur du Musée national suisse de Zurich. En effet, dans le compte-rendu que fait un moine bernois de ce fait d’armes, il est fait mention d’une «sainte croix» confectionnée en tissu blanc, et qu’arborent les soldats partis de Berne.
«Porter une croix, au Moyen Âge, c’est montrer que l’action ou la guerre que l’on est en train de mener est bénie par Dieu, car c’est par Lui que l’on obtient la victoire», explique François Walter, professeur honoraire à la faculté d’histoire de l’Université de Genève. «Si les soldats suisses se regroupent avant tout sous les drapeaux cantonaux, on se reconnaît entre contingents grâce à un brassard représentant une petite croix blanche sur fond rouge», explicite-t-il avant d’évoquer la dévotion à l’œuvre au sein des armées helvétiques: «Avant chaque bataille, les soldats se mettaient à genoux pour réciter une prière faisant référence à la souffrance de Jésus sur le chemin de la crucifixion, la Passion.»
Selon Jürg Burlet, «l’adoption d’un symbole de croix est également liée au culte des martyrs, ces guerriers romains morts pour leur foi». Parmi eux, on compte les soldats chrétiens Urs, Victor et Maurice, qui faisaient partie de la légion thébaine. Venu de Thébaïde (ancienne Égypte, ndlr), ce bataillon romain périra dans la région d’Agaune, où sera édifiée en 515 l’abbaye de Saint-Maurice (VS), en référence à leur meneur.
Avant la seule croix fédérale, les drapeaux des cantons sont eux aussi visités par des symboles chrétiens. «Les arma christi (reproductions des objets liés à la crucifixion, ndlr), dont la croix fait évidemment partie, sont particulièrement vénérés en Suisse, et sont brodés dès le XIIIe siècle sur des bannières rouges venues orner le dessus de ces drapeaux», explique Claude Bonard, ancien officier spécialiste au Service historique de l’Armée. «Des bannières du même genre sont offertes aux confédérés en 1512 par le pape Jules II, par ailleurs créateur de la Garde suisse pontificale», ajoute François Walter. «Le pape les fait confectionner en reconnaissance de l’aide militaire des cantons suisses lors de la prise de Pavie, qui l’opposait aux Français.»
Parmi ces bannières cantonales, celle du canton de Schwytz comprendra d’ailleurs «absolument tous les instruments de la Passion, à savoir les clous, la couronne d’épines, les fers et la croix», comme l’explique encore l’historien. Aujourd’hui, cette croix y figure encore, ce qui, pour François Walter, constitue bien la preuve de l’origine chrétienne de ce symbole. Pour autant, «ce drapeau n’est pas à l’origine du drapeau suisse définitif, comme certains le croient à tort».
C’est donc grâce à l’armée que notre drapeau suisse revêtira définitivement une croix blanche sur fond rouge. En effet, malgré un premier drapeau national suisse tricolore – vert, rouge et or – adopté en 1789 lors de la proclamation de la République helvétique, la Suisse reviendra petit à petit à la croix. «C’est avec la Diète fédérale de 1814 et sous l’impulsion du général Guillaume Henri Dufour que la Suisse décide d’adopter la croix blanche sur fond rouge», explique Claude Bonard. «D’abord pour l’ensemble de l’armée puis comme armoiries communes fédérales de la Confédération. Le drapeau actuel, avec ses exactes mesures et sa forme carrée, sera officialisé lors de l’adoption de la Constitution de 1848.»