Gangs, trafic de drogue et évangélisation
Au Brésil, la polémique enfle autour de ceux que l’on appelle les «narco-pentecôtistes», à savoir des trafiquants de drogue affiliés à certaines Églises évangéliques. Le pavé dans la mare a été lancé début mai, lorsqu’un député de l’État d'Amazonas (nord-ouest du pays) a évoqué, dans un discours, le rapprochement entre un groupe criminel et certaines Églises évangéliques.
Face aux réactions indignées, plusieurs de ses collègues – surtout ceux qui cumulent les postes de député et de pasteur – sont montés au créneau pour nier pareil état de fait. Ils ont alors rétorqué au député Fausto Junior que la proximité des Églises avec le monde de la drogue est due au travail sérieux qu'elles font pour aider les toxicomanes. Mais la vérité est que le phénomène est devenu courant dans le pays.
Sur tout le territoire brésilien, mais en particulier dans les zones densément évangéliques telles que la région métropolitaine de Rio de Janeiro, plusieurs organisations criminelles qui contrôlent de vastes territoires ont revendiqué une identité évangélique. Le cas le plus notoire est celui du complexe de favelas d'Israël, tombé récemment sous l’emprise du trafiquant de drogue Álvaro Malaquias Santa Rosa, connu sous le nom de Peixão. Plus de 130 000 personnes vivent désormais sous son contrôle.
Le Complexe d'Israël a d’ailleurs été baptisé de la sorte pour signifier la connexion entre Peixão et l'Ancien Testament. De nombreuses Églises évangéliques brésiliennes manifestent depuis quelques années un attachement particulier pour Israël. En effet, comme certains évangéliques aux États-Unis, une majorité d’évangéliques brésiliens croient que le retour des juifs en Terre Sainte assurera la seconde venue du Christ.
Au Complexe d'Israël, le groupe de Peixão a peint des étoiles de David et a hissé des drapeaux israéliens partout. Lors d’une récente opération, la police a découvert un bunker de Peixão dans lequel se trouvaient des munitions, un gilet pare-balles et une copie de la Torah.
L'une des conséquences de cette proximité entre ces gangs et les évangéliques est la montée des agressions contre les adeptes d'autres religions, explique Ivanir dos Santos, prêtre candomblé (religion afro-brésilienne, sorte de syncrétisme entre le catholicisme des colons portugais et les rites venus d'Afrique noire avec les esclaves, ndlr). «Ces groupes persécutent particulièrement les adeptes des religions africaines», observe cet historien spécialiste de l'intolérance religieuse.
Ivanir dos Santos relate que le premier cas d'un trafiquant de drogue converti s'est produit dans les années 1990, dans la favela d'Acari. «Il a rapidement interdit les fêtes populaires et les cultes des religions africaines», commente-t-il. Dans les années qui ont suivi, le phénomène s'est étendu à d'autres favelas et le degré d'intolérance s'est accru. «Dans une autre favela, un trafiquant a commencé à interdire la circulation de personnes vêtues de blanc (comme les adeptes du candomblé, ndlr). Par la suite, un autre groupe a même interdit de suspendre des vêtements blancs à la corde à linge», décrit-il.
Plusieurs vidéos sur Internet montrent des criminels profanant des centres de candomblé d’umbanda (autre religion afro-brésilienne, ndlr.) et forçant leurs dirigeants à détruire des objets sacrés. Les cas d'agression physique et même de meurtre sont devenus de plus en plus fréquents, souligne encore l’historien. Selon l'Institut de sécurité publique de Rio de Janeiro, en 2020, 1400 plaintes pour crimes liés à l'intolérance religieuse ont été déposées dans l'État du même nom.
Selon Andrew Chesnut, professeur d'études religieuses à la Virginia Commonwealth University, aux États-Unis, et spécialiste du néo-pentecôtisme brésilien, plusieurs facteurs rendent les Églises évangéliques attrayantes pour les factions criminelles. «Les néo-pentecôtistes sont très présents dans le système pénitentiaire brésilien, où ils travaillent pour convertir les détenus qui souffrent des conditions carcérales infernales», exprime-t-il.
En outre, poursuit, il, «la théologie de la prospérité, qui établit des relations entre la réussite financière et la grâce divine, permet une poursuite illimitée de la richesse, quelles qu'en soient les conséquences». Et d’ajouter que «la diabolisation des rivaux religieux par les néo-pentecôtistes facilite l'étouffement de ceux qui peuvent contester le contrôle de leur communauté par des criminels».
De son côté, le prêtre Ivanir dos Santos souligne une peur fréquente formulée par les observateurs de ce phénomène, à savoir les liens probables entre factions criminelles et milices (groupes formés par des policiers et des militaires qui contrôlent également les favelas de Rio) par le langage commun du néo-pentecôtisme. «La laïcité de l'État est en danger, puisque tous ces groupes ont une force au Congrès et une influence dans l'exécutif», affirme-t-il.
Le pasteur baptiste Ronilso Pacheco soutient que les alliances entre le crime, la politique et la religion se produisent essentiellement dans une couche supérieure de la société, détachée de la réalité dans les favelas. Dans la vie quotidienne des communautés pauvres, les relations entre les personnes impliquées dans la criminalité et le néo-pentecôtisme sont plus complexes.
«Il y a des pasteurs qui font du travail d'évangélisation avec des jeunes impliqués dans le trafic de drogue et il est courant pour eux de pouvoir éloigner certains d'entre eux de la criminalité», expose-t-il. À son avis, les trafiquants de drogue de bas niveau, généralement de jeunes garçons, peuvent avoir une relation plus «authentique» avec la religiosité, contrairement aux grands dirigeants, qui bénéficient économiquement et parfois politiquement de ce rapprochement entre religion et criminalité.
Il y a aussi des cas fréquents de criminels qui se sont convertis et reprennent des liens avec leurs anciens compagnons de crime, les accueillant avec leur nouveau message. «Les chefs de faction, en revanche, font souvent un usage plus culturel que religieux du langage néo-pentecôtiste», précise également Ronilso Pacheco.
Le pasteur André Assis travaille depuis vingt ans auprès des trafiquants de drogue dans les favelas de Rio de Janeiro. Des photos qui le montraient en train de prier avec des jeunes avec des fusils sur le dos ont déjà été utilisées sur Internet pour l'associer à des cas d'intolérance religieuse, rapporte-t-il. «Mais je n'ai jamais préconisé cela. Nous ne devons pas être les ennemis des personnes qui suivent d'autres religions.»
Liée à l'Assemblée de Dieu, l'église d’Assis dispose d'un centre de resocialisation où vivent actuellement 43 hommes, essayant de se débarrasser de la toxicomanie. Le pasteur dit qu'il a déjà éloigné des centaines de jeunes de la criminalité, mais que beaucoup finissent par y retourner.
«Parfois, la personne a des dettes avec les trafiquants et ne peut pas quitter l'activité. Dans ces cas, nous tentons de parler aux dirigeants», expose-t-il. André Assis raconte qu'il a sauvé de nombreuses personnes condamnées à mort par les tribunaux pour trafic de drogue. Selon lui, les trafiquants de drogue qui se disent évangéliques ne se sont pas convertis, ce ne sont que des sympathisants de la religion. «La conversion réclame un changement de comportement. J’explicite que Dieu veut leur repentir», formule-t-il. «Quand je leur prêche, je suis dur avec mes paroles. Ils aiment l'autorité dont nous faisons preuve.»