Le Brésil en plein chaos funéraire
Avec plus de 390’000 morts du Covid-19 depuis mars 2020, soit une moyenne de 2500 décès par jour, le Brésil affronte non seulement une crise sanitaire gigantesque, mais également l'effondrement de tout son système funéraire. Depuis la fin de l’année, en effet, le nombre de morts a considérablement augmenté, avoisinant désormais les 3000 décès quotidiens. Cette accélération soudaine a même poussé des villes comme Manaus (au nord-ouest du pays) à organiser des enterrements dans des fosses communes.
Ce chaos funéraire rend inévitablement plus que difficile la tenue de services funèbres appropriés. De plus, les funérailles souffrent également des restrictions imposées par les gouvernements locaux pour éviter la transmission du virus. Dans la plupart des villes, les obsèques sont totalement interdits ou réduits à quelques minutes auprès du cercueil fermé. Le nombre d'invités est limité, en général, à un maximum de dix.
Ces règles sont en place dans la majeure partie du pays depuis l'année dernière. Plus récemment, des assouplissements ont été décidé: certaines villes ont prolongé la durée maximale de la veillée et ont commencé à permettre aux familles de maintenir le cercueil ouvert dans le cas où le certificat de décès atteste que le défunt n'était plus en phase de transmission du virus.
De fait, prêtres et pasteurs n'ont pas pu célébrer les obsèques comme à l’accoutumée, ce qui a eu un impact profond sur le processus de deuil des proches des victimes du Covid. «Sans la possibilité de voir le défunt dans son cercueil, les funérailles ont été très froides. L’adieu se faisait alors lorsque le patient était transporté aux soins intensifs», analyse le pasteur luthérien Alfredo Hagsma, de la métropole de Curitiba, au sud-est du pays. Le ministre rappelle que, sans voir le corps, certaines personnes ont même douté que leur être cher était enterré. «Voir et toucher le défunt est important dans le travail de deuil. Il est également essentiel d'être accompagné et accueilli par sa communauté. Tout cela a été défiguré», formule Alfredo Hagsma.
Sans les célébrations à l'église, il n'était pas non plus possible de rendre hommage aux morts du mois, comme il est de coutume, dans les communautés où ce luthérien opère. «Cela laissera des séquelles. Lorsque nous reprendrons les réunions en face à face, j'ai l'intention de rendre hommage à toutes les personnes décédées pendant cette période», déclare-t-il.
Entrepreneur de pompes funèbre, Jonas Zanzini relate qu’au Brésil, la plupart des hommages comprennent traditionnellement une veillée de 8 à 12 heures et un service religieux. «L'absence de tels rites laisse un vide important. Les familles ont le sentiment que l'enterrement de leur être cher manque de dignité», exprime-t-il. Certains de ses confrères ont adapté leurs cérémonies à la situation. Une des alternatives consiste à organiser des funérailles après l'enterrement proprement dit, au cours desquelles la famille la plus proche se réunit – selon les protocoles de sécurité – et partage ses souvenirs. Ce type de rite est également pratiqué après la crémation, en présence de l'urne dans laquelle les cendres ont été déposées.
«Les cérémonies diffusées en direct sur Internet sont également devenues monnaie courante. Seuls quelques proches sont présents, mais la célébration peut être partagée même avec des personnes de différentes régions», explique ce spécialiste.
La pasteure méthodiste Eliad dos Santos, de São Paulo, s'est également tournée vers Internet. Il y a deux semaines, une membre de sa communauté, âgée de 54 ans, est décédée du Covid-19. Il n'y a pas eu de veillée et l'enterrement a été rapide. «Quatre jours plus tard, nous avons organisé une célébration via Zoom pour la famille et les amis, comme nous l’aurions fait habituellement. Nous avons montré des photos, un pasteur a joué de la guitare», raconte-t-elle. La famille lui a, par la suite, exprimé sa reconnaissance pour la possibilité offerte de prendre un moment pour exprimer leur douleur.
Internet est également l'alternative choisie par les prêtres catholiques de la ville de Caxias do Sul. Au début de la pandémie, une ONG spécialisée dans la santé mentale a averti l'Église que le Covid-19 entraînerait des difficultés psychiques liées au deuil. L'alerte a amené le diocèse à décider d'organiser un service de garde pour les familles.
«Chaque jour, un certain nombre de prêtres sont disponibles sur leur téléphone portable pour parler aux familles endeuillées», explique le père Leonardo Inácio Pereira.
Comme les messes de septième ne pouvaient également pas être célébrées, un prêtre rendait visite à chaque famille endeuillée, quelques jours après le décès. «Rien ne remplace le rite. Mais cela a aidé à réconforter les personnes en deuil. "Quelqu'un s'est souvenu de nous !" s’est étonné un homme que j'ai visité, qui avait perdu sa femme et, deux jours plus tard, sa fille», raconte le prêtre, non sans émotion.
Leonardo Inácio Pereira était de service tous les lundis entre mars 2020 et il y a deux semaines, lorsque son diocèse a décidé d’ouvrir à nouveau les funérailles en présentiel, mais avec des restrictions. «Il y avait des jours où je n'effectuais aucune cérémonie sur Internet. D'autres, où j’enchaînais cinq funérailles», raconte-t-il. Sa ville comptabilise déjà 862 morts.
Selon Jonas Zanzini, la grande majorité des familles préféreraient, si elles avaient le choix, célébrer les funérailles de manière traditionnelle, même avec la pandémie en cours. «De nombreuses personnes ont compris les risques. Mais le besoin d'honorer correctement celui qui est mort est très fort», analyse-t-il. Le père catholique Aquilino Tsiruia, membre du peuple indigène Xavante, sait de quoi l’entrepreneur de pompes funèbres parle. Depuis l'année dernière, il a appris que quelques membres de son peuple ont maintenu des rituels funéraires traditionnels, qui consistent à toucher et à embrasser les morts. «J'étais inquiet et je les ai avertis de ne pas faire cela, mais cela s’est produit à plusieurs reprises. Ils soutiennent que la maladie ne devrait pas faire peur aux Xavante», rapporte-t-il.
Selon le pasteur presbytérien Juarez Marcondes, de Curitiba, les funérailles précipitées étaient traumatisantes, mais les Églises doivent surtout à présent renforcer le message chrétien sur la mort. «La mort n'est pas un point final. Nous avons répété aux gens notre espoir de la vie éternelle. Dans un moment aussi singulier que celui-ci, nous ne pouvons pas perdre cet espoir», insiste-t-il.