Maman, plus tard je serai... juive!
On ne devient pas juif comme on devient chrétien ou musulman. Pour être reconnu par sa nouvelle communauté religieuse, chaque religion a défini ses propres rites de passage, voire ses équivalences. A l’instar des Églises protestantes, catholique romaine et catholique-chrétienne de Suisse qui, depuis 1971, reconnaissent mutuellement leur baptême. Ainsi, passer d’une confession chrétienne à une autre ne nécessite pas de renouveler ce sacrement.
Chez les évangéliques, toutefois, un baptême par immersion – comme il se pratiquait dans le Jourdain –, est proposé, bien qu’il ne soit pas obligatoire. La conversion y est perçue comme un choix personnel sans parcours formel. «Quand une personne décide de suivre le Christ, c’est souvent à la suite d’un événement précis ou d’un appel qu’elle ressent au plus profond de son cœur. C’est ce qui marque pour nous sa conversion», explique Stéphane Klopfenstein, directeur adjoint du Réseau Évangélique Suisse. Il n’y a pas d’instance supérieure qui valide l’appartenance, ni d’inscription dans un registre.
Au sein des Eglises réformées de Suisse, la démarche est aussi assez simple. Le pasteur Jérémy Dunon souligne que les convertis prononcent une confession de foi lors d’un culte de leur communauté d’accueil. Les «candidats» issus d’une autre confession suivent généralement un «catéchisme d’adulte accéléré» qui leur permet de partager leur foi avec leurs pairs et de se familiariser avec la vie de la communauté. Ce parcours aboutit au baptême.
Se convertir au catholicisme implique un cheminement qui prend un à deux ans appelé catéchuménat. «Baptisés ou non, nous accueillons tout le monde dans le groupe des catéchumènes adultes», commente l’abbé Pascal Desthieux. «Pour ceux qui sont déjà baptisés, le rite d’accueil est à la fois simple et officiel puisqu’il revient à l’évêque de donner son accord», poursuit-il. Les catéchumènes reçoivent le baptême (si nécessaire), la confirmation et la communion au cours d’une même célébration dans la nuit de Pâques. Pour Pascal Desthieux, «le plus important dans la démarche de conversion est le cheminement qui s’inscrit dans une certaine durée – avec ses étapes liturgiques et ses moments marquants – durant lequel le croyant va se familiariser avec la communauté chrétienne.»
Le judaïsme est lui aussi constitué d’une multitude de nuances. Les juifs les plus nombreux en Suisse sont issus des courants orthodoxe et libéral. Selon le judaïsme orthodoxe, seule la mère peut transmettre la religion, alors que le judaïsme libéral reconnaît la transmission par le père. Devenir juif est aussi possible sans filiation par le processus du guiyour (conversion en hébreu). Selon Nathan Alfred, rabbin du Groupe Israélite Libéral de Genève, «se convertir au judaïsme, c’est décider de vivre selon les principes de la foi d’Israël et les commandements de la Torah.»
Le parcours dure environ 18 mois pendant lesquels le candidat fréquente la synagogue, apprend l’hébreu et étudie les textes rabbiniques. Il poursuit: «Quand il se sent prêt – l’homme doit être circoncis –, le candidat se présente devant un beth din ("tribunal religieux" composé de trois rabbins) qui, par un échange libre, jugera du niveau de connaissances mais également des motivations profondes du prétendant. Si cette étape est concluante, le mikvé (bain rituel utilisé pour l'ablution nécessaire aux rites dans le judaïsme) conclura la démarche.
Grand rabbin de la Communauté israélite de Genève, Mickael Benadmon ajoute: « Il faut comprendre que la conversion au judaïsme n’est pas uniquement religieuse. C’est un choix de filiation irrévocable à un peuple et à son histoire. Notre responsabilité de rabbin est de mettre en avant la difficulté de vivre l'identité juive, de faire face à une forme de rejet et à l’antisémitisme. Avec la volonté de créer une destinée commune.» Il insiste: «Devenir juif, c'est passer d’un monde à un autre et accepter de faire corp à la fois à une nation, à un peuple et à sa religion.»
Pour se convertir à l’islam, il suffirait de prononcer une profession de foi. Dans les faits, c’est à la fois aussi simple et un peu plus complexe comme l’explique Hafid Ouardiri, co-fondateur et directeur de la Fondation de lʹEntre-Connaissance, ancien porte-parole de la grande Mosquée de Genève. «L’Islam part du principe que tout être humain vient au monde dans sa nature originelle – fitra en arabe. Il est donc accueilli de la même manière qu’il soit ou non passé par une autre confession. Tout naturellement, le témoignage de foi – achahada – qui sera prononcé par celui qui choisit «d’embrasser l’Islam» sera le même. Hafid Ouardiri la traduit ainsi: « Je crois en un seul Dieu et Mohammed est le dernier de ses messagers.» Il insiste sur le fait qu’il n’y a pas de «manuel des convertis» à l’islam. Le verbe même de convertir ne s’utilise pas. «L’islam propose de s’enrichir de connaissance, pas de se convertir.» L’entrée dans l’islam est avant tout le choix de Dieu, un appel intime auquel quelqu’un répond.
«Le nouveau croyant est parfois accompagné dans son cheminement d’un pair qui l’aide à répondre aux questions auxquelles il n’a pas pu répondre dans sa seule intimité avec Dieu», poursuit néanmoins Hafid Ouardiri, qui insiste sur l’importance de faciliter le rapport à Dieu: «Enseignez, facilitez et ne compliquez pas les choses. Annoncez la bonne nouvelle et ne faites pas fuir les gens. Et si l’un d’entre vous se met en colère, qu’il se taise.»