Simon Butticaz se bat contre le «spirituellement correct»
Théologien ou banquier genevois? Assis dans son bureau exigu de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne, Simon Butticaz, qui en est l’un des deux vice-doyens, crée le doute. Sa belle chemise lignée, sa cravate distinguée et ses lunettes en écaille pourraient donner à croire qu’il fait de la gestion de fortune dans la Cité de Calvin. Mais il n’en est rien. Ce spécialiste du Nouveau Testament et des traditions chrétiennes anciennes explique volontiers sa tendance pour l’élégance: «Je ne suis pas représentant d’un christianisme ascétique. La beauté de la création fait partie des bienfaits divins. Et l’esthétique en est un reflet.»
Il est comme ça, Simon Butticaz. Car en plus de porter beau, le verbe, chez lui, a toute son importance. La pasteure et vice-présidente du Synode de l’Église évangélique réformée vaudoise (EERV) Emmanuelle Jacquat, qui a été son étudiante, s’en souvient: «Il a toujours exigé de nous que nous employions un vocabulaire soutenu. Avec lui, on n’a jamais parlé d’un machin ou d’un truc!»
D’une «grande exigence académique», Simon Butticaz n’en est pas snob pour autant. Dans son dernier livre, «Avant le péché originel» (Éd. Labor et Fides), il va même jusqu’à citer l’auteur à succès Frédéric Lenoir, ce que certains universitaires ne feraient qu’en se pinçant le nez. Y abordant ce «gros mot» qu’est devenu le péché «et dont on ne sait plus quoi faire en Église», il continue avec ce nouvel ouvrage une précieuse entreprise de vulgarisation, ce qui équivaut pour lui à travailler «pour le bien commun».
Dans son précédent opus, «Le Nouveau Testament sans tabous», il sondait notamment la question difficile de l’homosexualité sous l’angle biblique. «Comparer la sexualité et les orientations sexuelles contemporaines avec la sexualité antique, c’est comparer deux réalités étrangères l’une à l’autre», explique-t-il, regrettant certaines lectures littéralistes de la Bible «qui sont à la base, actuellement, du retour en arrière sur l’avortement aux États-Unis».
Pour le théologien Pierre Gisel, aujourd’hui professeur honoraire de l’Université de Lausanne, Simon Butticaz a même «participé au renouveau de certaines approches». Ses travaux de recontextualisation historique et culturelle ont, selon lui, «contribué à une image plus claire et juste du christianisme» au moment de son apparition. «On peut avoir toute confiance en ses recherches. De plus, il a vraiment le souci de l’institution universitaire.»
Si le théologien qui se définit comme un «protestant réformé libéral» souhaite «que les grands textes fondateurs du christianisme ne prennent pas la poussière», il n’en est pas moins incisif avec certaines adaptations de la théologie chrétienne. S’interdisant le «spirituellement correct», Simon Butticaz se dit en désaccord avec la dernière version du «Notre Père», modifiée «car on a simplement adapté Dieu à l’air du temps».
Pour le bibliste, «le texte peut évoluer», Simon Butticaz étant le premier à dire qu’il faut prendre en compte les enjeux d’aujourd’hui. «Mais demander à Dieu de ne pas nous laisser entrer en tentation, au nom de la bien-pensance religieuse et au prix d’une traduction fautive, n’est pas sérieux», assène-t-il. Selon lui, le terme qui aurait dû être retravaillé est le mot «tentation». Car en grec, il s’agit «non pas d’une inclination au mal dont Dieu serait l’auteur, mais des épreuves de la vie dont il prémunit celui qui prie».
Simon Butticaz est donc un protestant engagé – aussi dans l’armée, en tant que capitaine aumônier –, au moins autant qu’il est théologien. Né en 1980, il a grandi dans le domaine viticole dont a hérité son père à Treytorrens-en-Dézaley, hameau de la commune de Puidoux, et repris par l’un de ses deux frères. Et si son autre frère est devenu avocat, Simon Butticaz dit de lui, avec humour, qu’il est «entré dans les ordres». Choisissant la théologie au sortir du Gymnase du Bugnon, il opte pour ce cursus «avec l’ambition de devenir pasteur».
C’est donc dans un souci «d’articuler théorie et pratique» que Simon Butticaz conduit en parallèle sa thèse de doctorat et son stage pastoral qu’il effectue à la paroisse de Vevey, sous la direction du pasteur Gérard Pella, issu de la frange plus évangélique des réformés. «Cela a permis un dialogue intraprotestant qui continue aujourd’hui.»
Pasteur, Simon Butticaz l’a donc été quelques années avant de choisir définitivement l’enseignement universitaire. C’est à la paroisse de Chavornay qu’il va prêcher et «travailler à la vie communautaire», centrale pour lui dans une vie de foi. Emmanuelle Jacquat, qui a repris cette paroisse après lui, témoigne d’ailleurs du souvenir qu’il a laissé à ses paroissiens: «Quand je suis arrivée, on me parlait souvent de lui. S’il a une image de rigueur en tant que professeur de théologie aujourd’hui, il avait apparemment une très grande proximité avec les gens, avec qui il s’est montré très ouvert et parlait simplement.»
La parole, Simon Butticaz la prend d’ailleurs régulièrement au Synode de l’EERV, dont il est un des délégués. Selon lui, «l’enjeu y est de ne pas s’excuser d’être une tradition religieuse, mais de voir comment l’Église peut encore représenter une proposition de sens pertinente, qui aide à construire le vivre-ensemble». Son regard critique est bien connu et attendu lors de ces assemblées législatives, comme l’explique le pasteur Vincent Guyaz, vice-président du Conseil synodal: «C’est une chance de bénéficier du regard d’un «théologien d’Église» tel que lui, bien qu’il puisse exister parfois un décalage entre le point de vue académique qu’il incarne et celui de la vie ordinaire et réelle de l’Église.» Alors, Simon Butticaz serait-il le poil à gratter de l’EERV? «En tout cas, nos débats ne nous ont jamais empêchés de boire le vin de son frère ensemble!»