La «déesse du coronavirus» honorée par les hindous
Alors que la première vague de Covid-19 se propageait en Inde en juin 2020, Anilan Namboothiri, un habitant de l'État méridional du Kerala, a installé une nouvelle idole dans le sanctuaire de sa maison, qu'il honore sous le nom de «corona devi», soit «déesse du coronavirus». Chez ce journaliste de 48 ans, cette figure inhabituelle en polystyrène, qui ressemble à la protéine du Covid-19, a trouvé sa place aux côtés d’autres divinités hindoues bien établies comme Krishna et Shiva.
«Dans les temps anciens, les contagions étaient attribuées à la colère des déesses dont il fallait obtenir les faveurs», explique-t-il. «Le message que je voulais faire passer aux gens est que vous pouvez rester chez vous et adorer Dieu. Dieu existe partout.»
À travers tout le pays, des hindous se sont mis à vénérer différentes formes de divinités féminines censées représenter le coronavirus, tantôt appelées «déesse du coronavirus», «mère coronavirus» ou encore «corona mai». Des cas d'idolâtrie ou de rituels en l'honneur d'une divinité féminine inspirée par le virus, parfois même masquée, ont été observés dans les États les plus méridionaux du Karnataka et du Tamil Nadu, dans l'Uttar Pradesh, le Jharkhand et le Bihar au nord du pays, et dans l'Assam à l'est, tous ces cas ayant apparemment surgi de manière spontanée et sans lien entre eux.
«Comme il n'y a pas d'autorité centrale pour décider quand et comment ajouter de nouvelles divinités au panthéon hindou, cela se fait tout seul, à chaque fois que le besoin s'en fait ressentir dans la société», explique Pankaj Jain, professeur et directeur des études indiennes à l'université FLAME de Pune, dans l'État du Maharashtra. «Le culte des déesses est une tradition ancienne issue de l'hindouisme en Inde, du shinto au Japon et de nombreuses autres traditions indigènes dans le monde. Lorsque les gens éprouvent le besoin d'un amour maternel et de soins, ils se tournent vers le culte des déesses.»
Actuellement, l'Inde connaît une deuxième vague mortelle dû à la pandémie, qui y a fait au moins 388’000 victimes depuis son apparition. Bien que le pays commence à s'ouvrir, les lieux de culte sont restés fermés au cours des derniers mois. Certains ont décrié le recours de la population aux superstitions religieuses, aux charlatans médicaux et aux saints, alors même que beaucoup ne tiennent pas compte de la nécessité de porter un masque et ne respectent pas la distance sociale lors de certains rassemblements rituels.
L'Inde a toujours vénéré les divinités féminines lors des épidémies. Au cours des siècles passés, on y a connu des déesses de la peste, de la variole et du choléra. «Autrefois, lors de phénomènes de contagions, lorsque même les médecins perdaient espoir, les gens se tournaient vers les déesses et les remèdes maison», a déclaré Anand Bharathi, responsable d'un temple dans l'État méridional du Tamil Nadu, où une nouvelle statue de déesse du coronavirus a été consacrée le mois dernier. «Les anciens croyaient que l'intensité d'une épidémie était réduite grâce à ces cultes», poursuit-il.
Toutefois Anilan Namboothiri nuance l'honneur qu'il rend à sa déesse: «Je crois en Dieu, mais je veux que la société se défasse de ses idées fausses sur ces cultes. Je crois en la science et en la médecine. La prière seule n'aidera pas. Mais je prie la déesse de donner force et soutien aux scientifiques et aux professionnels en première ligne.» Il prévoit d'immerger l'idole dans l'océan une fois la pandémie terminée.