Tentative de coup d'Etat procédurier au Guatemala
Au Guatemala, la surprenante victoire du social-démocrate Bernardo Arévalo à l’élection présidentielle du 20 août, avec 59% des voix, a été accueillie comme une petite révolution dans ce pays gouverné par les conservateurs depuis quarante ans.
Fils de l'ancien président guatémaltèque Juan José Arévalo, premier président démocratiquement élu après la révolution de 1944 (il a gouverné la nation centraméricaine entre 1945 et 1951), Bernardo Arévalo a fait campagne avec la promesse de lutter contre la corruption dans le pays et de prendre des mesures pour développer son économie. Cependant, une partie des représentants du pouvoir national semblent toujours peu disposés à lui céder le pouvoir, plus d'un mois après les élections.
Différents procureurs lancent en effet, depuis l’annonce du scrutin, des opérations contre son parti, le Movimiento Semilla (Mouvement Graine), et l'autorité électorale elle-même. Le candidat élu a d’ailleurs dénoncé à plusieurs reprises une tentative de coup d'Etat. Bien que le résultat ait été approuvé et reconnu par la communauté internationale, il existe toujours, selon les analystes, un certain risque que Bernardo Arévalo se trouve empêché d'accéder à la présidence pour des raisons juridiques.
En première ligne de la contestation, les milieux évangéliques, notamment ceux liés aux méga-Eglises du pays, qui se sont positionnés dès le début contre Bernardo Arévalo et ont soutenu les candidats de droite. Historiquement catholique, le Guatemala est récemment devenu une nation majoritairement évangélique. Un sondage CID Gallup a montré récemment que 43% des Guatémaltèques sont évangéliques et 41% sont catholiques.
«Avant le premier tour, de nombreuses Eglises soutenaient ouvertement la candidate du centre-droit Sandra Torres. Les pasteurs ne s'attendaient cependant pas à ce que de nombreux citoyens partagent les vidéos de leurs sermons politisés sur les réseaux sociaux», avance l'anthropologue guatémaltèque Cláudia Dary, spécialisée dans l’étude du rapport au religieux à l'Université de San Carlos. Le mélange des genres entre prédication religieuse et de campagne électorale est en effet interdit par la loi au Guatemala.
En effet, Sandra Torres, l'ancienne première dame du pays, s'est prononcée contre l'avortement et le mariage homosexuel au cours de la campagne, ce qui a contribué à attirer des dirigeants évangéliques. De son côté, bien que progressiste, Bernardo Arévalo n'a pas défendu la décriminalisation de l'avortement tout au long de sa campagne. Malgré cela, de nombreux évangéliques le voient comme le défenseur de causes immorales.
«Bernardo Arévalo est complètement dissocié des recommandations chrétiennes. Il s’aligne sur l’agenda socialiste et LGBT et n’est pas en accord avec nos valeurs. Il était même présent au mariage de sa fille lesbienne», commente le pasteur Cesar Ayala, président de l'Alliance évangélique du Guatemala. Ce dernier craint d’ailleurs qu’il puisse y avoir, au sein du gouvernement de Bernardo Arévalo, une sorte de «persécution indirecte» des évangéliques, par la voie des impôts ou l’ouverture d’enquêtes. Il espère donc que le président élu ne puisse pas prendre le pouvoir en janvier 2024. «Nous prions intensément dans ce sens», confie-t-il.
Si les dirigeants évangéliques du pays se sont abstenus d’organiser des manifestations contre le président élu ou de publier des vidéos contestataires par crainte de représailles , ils restent mobilisés contre lui et utilisent leur position dans les Eglises pour le critiquer. Le pasteur Cesar Ayala pense, par exemple, que les élections ont été volées avec le soutien des États-Unis et de l'Organisation des États américains (OEA).
«De nombreux dirigeants évangéliques sont d'accord avec les actions de certaines autorités qui veulent empêcher Bernardo Arévalo de prendre le pouvoir en janvier. C’est pourquoi ils ne disent rien ouvertement», explique Claudia Dary. Ainsi, le silence qu’ils ont maintenu publiquement depuis l’annonce des résultats des élections est qualifié de «silence complice» par de nombreux analystes, à l’instar de l’anthropologue.
L'Église catholique a défendu les résultats des élections. Le 30 septembre, la conférence épiscopale a publié une note critiquant les actions des procureurs contre le tribunal électoral et demandant aux autorités du pays d'œuvrer pour la démocratie et la légalité. De leur côté, la plupart des Eglises protestantes historiques, telles que les Eglises luthériennes et presbytériennes, sont également préoccupées par un éventuel coup d'Etat contre Bernardo Arévalo. Dans les campagnes notamment, des mouvements populaires indigènes ont manifesté contre les tentatives visant à invalider les élections, allant même jusqu'à promouvoir la fermeture des routes.
Selon le sociologue espagnol Santiago Otero, basé au Guatemala depuis quarante-neuf ans, les oligarchies guatémaltèques (propriétaires fonciers, grands hommes d'affaires, forces armées, représentants politiques) seraient derrière cette tentative de coup d'État. Or, dans l'actuel gouvernement, les pasteurs des méga-Eglises – présentes surtout dans les zones urbaines – ont acquis un grand pouvoir politique. «Le président Alejandro Giammattei entretient des relations de longue date avec les dirigeants de ces Eglises», poursuit le sociologue, qui qualifie d’ailleurs de «pacte des corrompus» les liens anciens que ces Eglises entretiennent avec ces oligarchies, notamment valorisées par leur «théologie de la prospérité» (qui enseigne que l'aisance financière des chrétiens est un signe de santé spirituelle, ndlr.)
En avril, un groupe de jeunes militants a créé une plateforme pour surveiller et recevoir les plaintes concernant les dirigeants religieux qui faisaient campagne au prêchoir. En six mois, le site Internet – appelé article 67, en référence à l’article de la loi électorale qui interdit les campagnes partisanes dans les Eglises – a déposé des centaines de plaintes.
«Pendant les élections, nous avons constaté une grande implication de la part des méga-Eglises dans la promotion de certains candidats. Ils ont aussi créé des fake news contre Bernardo Arévalo, faisant toujours référence à l’idéologie du genre et à l’avortement», communique Jennyfer Aquino, directrice de la plateforme soutenue par Diaconia, une organisation protestante internationale, et par des groupes guatémaltèques défendant les droits politiques et la démocratie.
Pour Santiago Otero, les risques que Bernardo Arévalo n'assume pas la présidence sont faibles, mais le danger demeure. «Ces élections ont été très propres et transparentes et même l’oligarchie le sait. Mais on est face à un coup d'Etat continu», déplore-t-il.