La présidentielle argentine pourrait être remportée par un sacré excentrique
Avec 30% des voix, le succès du candidat argentin Javier Milei, lors des primaires à la présidentielle du 13 août, a abasourdi les observateurs de tous bords. Et pour cause: dans ce pays d'Amérique du Sud, cet économiste et député ultra-libéral était jusqu'alors considéré comme un «fou», selon le titre même de la biographie qui lui est consacrée. «Beaucoup de ses camarades de classe l’appelaient El Loco (le fou) en raison de sa coiffure et de son agressivité», révélait d’ailleurs le journaliste Juan Luis González, auteur de l’ouvrage précisément intitulé El Loco.
Deux récents sondages d'opinion montrent pourtant que, si les élections avaient lieu aujourd'hui, Javier Milei en ressortirait vainqueur. Publiée le 30 août, l'enquête réalisée par le cabinet Opinaia indiquait que ce dernier obtiendrait 35% des voix, contre 25% pour le candidat de gauche Sergio Massa et 23% la candidate de droite Patricia Bullrich.
La religiosité sui generis de Javier Milei contribue largement à l'exotisme de sa personnalité publique. Élevé dans une famille catholique, il noue une relation étroite avec un rabbin et étudie la Torah chaque semaine. Il se dit aujourd’hui sur le point de se convertir au judaïsme.
Mais ce n’est pas tout. Le journaliste Juan Luis González a également décrit la relation que le candidat entretient avec l’occultisme. Passionné par ses chiens, il a d’ailleurs sollicité les services d'un vétérinaire médium afin de communiquer avec Conan, son chien préféré, décédé en 2018. Dans ses messages d’outre-tombe, l’animal aurait d’ailleurs transmis à son ancien propriétaire qu’il se trouvait «assis à côté de Dieu» et que ce dernier «lui confiait la mission de devenir président».
Le chien décédé a été cloné par Javier Milei aux États-Unis et a donné naissance à cinq chiots, nommés d'après ses économistes préférés, tels que Milton Friedman et Murray Rothbard. L’homme prétend d’ailleurs pouvoir converser non seulement avec ses chiens, mais également avec des penseurs décédés, comme les économistes qui ont inspiré le nom de ses animaux.
Ultra-libéral, Javier Milei, qui se décrit comme un «anarcho-capitaliste» partisan d'une réduction radicale de l'État, s’est surtout fait connaître du grand public, ces dernières années, pour ses récurrentes insultes à l’endroit du pape François, son compatriote. Il a ainsi déclaré sur les réseaux sociaux que le souverain pontife était un «fils de p* de gauche qui prêche le communisme dans le monde entier». Une autre fois, il affirmait que le pape représentait le malin dans la maison de Dieu, n’était ni plus ni moins qu’un «connard».
En cause, des différences idéologiques tant sur le plan social qu’économique. Tandis que le Saint-Père défend un système économique plus équitable, dans lequel l'État s’implique pour les plus pauvres, Javier Milei défend l’idée d’un État minimal, avec des impôts bas et peu de services publics gratuits.
Des injures qui ne porteront pas à conséquence, formule Marcos Carbonelli, chercheur au Conseil national de recherches scientifiques et techniques. «Le pape n'a joué aucun rôle dans les élections, donc les insultes de Javier Milei n'auront aucun impact électoral», assure cet expert de la dynamique sociale du christianisme en Argentine. Selon lui, les électeurs sont beaucoup plus préoccupés par les incertitudes économiques, l'inflation et la dévaluation brutale du dollar.
«Certains jeunes ont été séduits par le discours incisif de Javier Milei et ses critiques de ce qu'il appelle la caste politique», explique le sociologue Fortunato Mallimaci, professeur à l'université de Buenos Aires et chercheur sur le christianisme argentin. «Beaucoup de ses électeurs sont des hommes aux revenus insuffisants et sexistes. Ils sont déçus par la politique et par l'Etat, et ils ont trouvé une personne qui leur dit qu'il est temps d'exprimer leur colère», analyse-t-il.
Beaucoup comparent l’Argentin à l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, également célèbre pour ses idées radicales de droite. Mais Marcos Carbonelli et Fortunato Mallimaci soulignent tous deux que Javier Milei, contrairement à Bolsonaro, n’a pas réussi à attirer le vote massif de la population évangélique, dont avaient largement profité Donald Trump et Jair Bolsonaro.
«Le principal pont serait son rejet de la loi qui a légalisé l'avortement en 2020», estime Marcos Carbonelli. De son côté, Fortunato Mallimaci souligne que le lien des électeurs de Javier Milei avec les phénomènes Trump et Bolsonaro est plus idéologique que social. Pour autant, selon le pasteur Ariel Díaz qui préside la Fédération argentine des pasteurs évangéliques, Javier Milei ne semble pas rechercher l’adhésion des évangéliques. «Nous avons publié une déclaration expliquant que nous ne soutiendrions aucun candidat», précise-t-il d’ailleurs.
Habituellement, les évangéliques argentins penchent vers le péronisme (mouvement défendant historiquement la justice sociale et les travailleurs, ndlr.), indique Ariel Diaz. Les positions pro-vie de Javier en ont cependant attiré certains, notamment chez les plus jeunes. Le propre fils du pasteur, Gabriel, un étudiant de 18 ans, en est un exemple. «J'ai voté pour lui à la primaire et ferai de même en octobre en raison de ses propositions économiques, sa critique de l'avortement et sa position contre l'endoctrinement de gauche dans les écoles», résume-t-il.
Gabriel dit que ses amis chrétiens donneront également leur suffrage à Javier Milei. Ils ne voient aucun problème avec certaines déclarations controversées du candidat, comme sa défense du commerce d'organes. «Il parle de façon outrée, ce qui choque les personnes âgées, habituées à des politiciens d'un autre type», argumente-t-il. Gabriel rêve qu’un jour un candidat véritablement chrétien puisse émerger. «Mais un candidat chrétien aurait les mêmes propositions économiques que Javier Milei», conclut-il.
Les élections auront lieu le 22 octobre. Selon Marcos Carbonelli, le candidat ultra-néolibéral a de «fortes chances» d'être élu.