Hijab: l’Iran s’attaque aux entreprises
Pendant des mois, les autorités iraniennes n'ont pas fait grand-chose pour faire appliquer la loi quant à l’obligation faite aux femmes de se couvrir les cheveux en public. A l’approche du premier anniversaire de la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre dernier, qui avait suscité une vague de manifestations dans tout le pays, le ton a changé. Alors que les femmes non couvertes sont encore monnaie courante ces jours-ci dans les rues de Téhéran, les autorités ont commencé à faire des descentes dans les entreprises où des employées ou des clientes ont été vues sans foulard ni hijab.
Les entreprises semblent en effet être devenues le nouveau champ de bataille de la République islamique sur la question du voile. Le Parlement iranien est d’ailleurs actuellement en train de préparer une loi qui augmenterait non seulement les sanctions à l’encontre des femmes non couvertes, mais également à l’endroit des entreprises qu'elles fréquentent.
Les autorités ont commencé à envoyer des SMS d'avertissement aux femmes vues sans voile dans les voitures: environ 1 million de messages ont été envoyés. Le bilan actuel est de quelque 2000 voitures confisquées et plus de 4 000 femmes déférées devant la justice. Ensuite, les forces de sécurité ont parcouru les médias sociaux à la recherche d'entreprises postant des images de femmes non couvertes sur leur lieu de travail. L'un des bureaux de Digikala (un site web de vente au détail numérique extrêmement populaire avec plus de 40 millions d'utilisateurs mensuels actifs) a été fermé. La librairie en ligne Taghcheh et le marché de l'assurance Azki ont également été brièvement fermés.
La répression s'est étendue au-delà de la capitale de Téhéran. Dans la ville de Lahaijan, dans le nord du pays, les autorités sanitaires locales ont ordonné aux hôpitaux et aux cliniques de cesser de fournir des services aux femmes non couvertes. À Damavand, une ville située à environ 60 kilomètres à l'est de Téhéran, les procureurs ont ordonné l'arrestation d'un directeur de banque et d'un caissier pour avoir servi une femme ne portant pas le hijab.
Les sièges de café en plein air sont désormais interdits aux femmes non couvertes dans la ville de Mashhad, dans le nord-est du pays, et les partisans de la ligne dure d'Ispahan, au centre du pays, veulent interdire le travail mixte des hommes et des femmes dans les magasins.
L'industrie du divertissement est également surveillée. La police a menacé de fermer les productions cinématographiques dans lesquelles des femmes sans foulard travaillent derrière des caméras.
Les juges ont également condamné des célébrités féminines reconnues coupables de ne pas porter le voile à des travaux d’intérêt général dans des morgues, à défaut d’une peine carcérale. Elles devront également obtenir un certificat de santé mentale auprès d'un psychologue avant de pouvoir reprendre leur travail habituel.
Un nouveau projet de loi devant le Parlement iranien pourrait aggraver encore les peines infligées aux femmes non voilées. Il prévoit des amendes allant jusqu'à 360 millions de rials iraniens (720 dollars) et des peines de prison. Le projet de loi appelle également à une ségrégation plus stricte des sexes dans les écoles, les parcs, les hôpitaux et autres lieux publics.
Le texte en discussion projette également des amendes pour les entreprises dont le personnel féminin et les clientes ne portent pas le hijab allant jusqu'à trois mois de revenus, tandis que les célébrités fautives peuvent se voir interdire de quitter le pays et de travailler.
«Au lieu de répondre aux griefs légitimes des gens, le régime continue d'être obsédé par le hijab et d'agir comme si sa survie même dépendait de la façon dont les femmes s'habillent», a réagi l'universitaire irano-américaine Haleh Esfandiari, ancienne directrice du programme du Moyen-Orient du Wilson Center, incarcérée par ailleurs plusieurs mois en 2007 par le régime de Téhéran.
«Si je fais face à des amendes et à des peines de prison, je porterai le foulard étant donné que je suis dans une position importante», formule Parvaneh, une médecin qui a soigné des manifestants blessés lors des manifestations à l’automne dernier. Comme plusieurs autres interlocutrices, elle a demandé à ce que seul son prénom soit utilisé par crainte de représailles. Et d’ajouter: «Mais les jeunes que j'ai soignés pendant les manifestations ne reculeront pas.»
Dans les rues du pays, de nombreuses femmes et filles iraniennes renoncent encore à se couvrir les cheveux, et ce malgré les conséquences possibles. «Après avoir entendu parler du projet de loi, j'ai pris ma décision. J'irai à mon école avec le hijab complet mais j'encourage mes élèves à l'enlever chaque fois que c'est possible», exprime Mojgan, une enseignante du secondaire de 37 ans. «Mes étudiantes sont déjà en avance sur moi là-dessus», admet-elle encore.
Du côté des officiels, la critique du projet de loi proposé mijote déjà. Ezzeatollah Zarghami, actuel ministre du Tourisme et ancien membre du Corps des Gardiens de la révolution islamique, a déjà fait part de son scepticisme, avertissant que des peines sévères telles que les travaux obligatoires à la morgue «causeront des problèmes plus importants tout en ne résolvant pas le problème du hijab».
L'éminent avocat Mahmoud Alizadeh Tabatabei a, pour sa part, qualifié le projet de loi de vide de sens puisque «la majorité des femmes n'y croient pas», rendant ainsi cette «loi inapplicable» à ses yeux. L'ancien président Mohammad Khatami, l'un des réformistes les plus en vue du pays, a quant à lui émis des doutes quant au fait que l’obligation de porter le hijab soit une politique «sage et productive».
Alors que les partisans d’une ligne dure dominent au Parlement, la question du voile pourrait devenir un des thèmes de campagne majeurs en vue des prochaines élections législatives devant se tenir en mars 2024.