Algérie: pourquoi les Eglises protestantes sont toujours fermées
Le 27 février dernier, le président Abdelmadjid Tebboune a accordé la nationalité algérienne à l'archevêque d'Alger, le Français Jean-Paul Vesco. Au-delà de l’importance de son rôle pour l’Algérie, le pouvoir en place cherchait surtout, à travers cet hommage, à envoyer un message fort en direction de la communauté internationale qui épingle régulièrement l’Algérie sur la question du respect des minorités religieuses.
Le dernier rapport en date, émanant de la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF), et rendu public en novembre 2022, avait fait état de «la répression de la liberté du culte» en Algérie, et de la non-conformité de certaines lois locales (dont essentiellement l’ordonnance 06-03) avec le principe de protection juridique internationale de la liberté religieuse. Ce qui a valu à l’Algérie d’être mise «sous surveillance». Ce rapport a aussi inspiré l’Index 2022 de la persécution des chrétiens dans le monde de l’ONG Portes Ouvertes, plaçant l’Algérie à la 22e place sur une liste de 50 pays.
En juin 2022, le chef de la diplomatie américaine avait évoqué les atteintes à la liberté de la communauté chrétienne en Algérie, qui se traduisaient par la fermeture d’une trentaine de communautés religieuses protestantes. En ce sens, l’hommage rendu au représentant de l’Eglise catholique semble trahir l’impression d’un deux poids deux mesures avec lequel les autorités algériennes traitent l’Eglise protestante.
Selon un dernier décompte datant du printemps 2022, dix-sept églises avaient été fermées depuis 2017 et d’autres lieux de culte étaient toujours sous la menace de fermeture en application d’un arrêté du wali (préfet). La pire année pour les fidèles a été incontestablement 2019, avec la mise sous scellés de 13 lieux de culte dédiés au rite protestant, la majorité se trouvant en Kabylie. Tout s’est passé en pleine effervescence des manifestations populaires réclamant une réforme politique radicale.
Pour justifier leurs décisions, les autorités disent soupçonner ces églises – ou ce qui en faisait office – d’abriter des activités de prosélytisme, et leurs promoteurs de ne pas se conformer à la loi régissant le culte en Algérie. Cette loi dite 06/03 du 28 février 2006 interdit toute activité dans les lieux «destinés à l'exercice du culte contraire à leur nature et aux objectifs pour lesquels ils sont destinés». Elle stipule, en outre, que toute modification d'un édifice destiné à la pratique du culte non musulman «soit soumise à l'approbation préalable du gouvernement et que ledit culte soit strictement exercé dans des bâtiments destinés et approuvés exclusivement à cet effet». Ce qui est appelé «prosélytisme» est puni de deux à cinq ans de prison.
Ce raidissement des autorités s’expliquerait par la crainte d’une collision entre les évangélistes, très présents sur les chaînes satellitaires diffusées en langue arabe et captées en Algérie, avec les partisans de l’autonomie de la Kabylie, dont beaucoup ont choisi, souvent par réaction à la religion d’Etat, de se convertir au christianisme.
Le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie est classée organisation terroriste depuis 2021. Ce qui fait que les nouveaux adeptes de l’évangélisme vivent désormais en reclus pour fuir les persécutions, tout en continuant à résister à travers notamment les réseaux sociaux. Selon des sources recoupées, on dénombrait, en 2015, 380 000 Algériens convertis au christianisme, dont la plupart vivent en Kabylie.
A Akbou, gros bourg distant de 67 kilomètres de Béjaia, nous avons rencontré un de ses nouveaux convertis. Mohamed*, 46 ans, marié, dit que lui et ses coreligionnaires de la ville – quelques dizaines – bravent l’interdit, en continuant à se rencontrer pour les prières et les échanges dans une maison allouée à cette fin par un «frère». «Depuis qu’on nous a scellés les deux églises de la ville, nous nous débrouillons pour maintenir notre activité religieuse», ajoute Mohamed, l’air dépité mais ne regrettant pas son choix confessionnel. «Dans le catholicisme, il y a trop de protocoles, de rigueur, contrairement au protestantisme», explique-t-il. «A cela, il faut ajouter la nature historiquement rebelle du protestantisme qui colle bien avec l’esprit frondeur des Kabyles».
A 12 kilomètres plus au nord, à Ighzer-Amokrane, c’est le même calvaire. Kamel, 35 ans, nous décrit une situation intenable pour les chrétiens depuis la fermeture, en 2020, de leur église Prince de paix. «Nous avons frappé à toutes les portes pour demander la réouverture de notre lieu de culte, mais en vain», raconte-t-il. «Aujourd’hui, nous faisons nos prières n’importe où, ce qui a fini par démotiver bon nombre d’entre nous. Nous ne nous considérons pas comme des citoyens à part entière dans notre pays, puisque nous sommes interdits d’exercer notre culte dignement», lâche-t-il.
Cette paranoïa cultivée à l’encontre de l’Eglise protestante remonte à 2008, lorsque deux églises avaient été fermées à Tizi Ouzou. Le ministre des Affaires religieuses de l’époque Bouabdallah Ghlamallah avait déclaré que les deux lieux «participaient à la constitution d’une minorité visant à servir d’alibi pour une intervention étrangère».
De son côté, l’Eglise catholique en Algérie ne semble pas se plaindre des mêmes persécutions. Dans une déclaration en juin 2018, l’archevêque d’Alger, monseigneur Paul Desfarges, a réfuté les accusations portées par des ONG à l’encontre de l’État algérien l’accusant d’atteinte à la liberté de culte. «J'affirme que le problème de la liberté de culte ne se pose pas en Algérie», a-t-il déclaré, en ajoutant que «l'Église catholique en Algérie dispose de ses lieux de culte qui sont reconnus par la loi». Allusion claire aux lieux de culte relevant de l’Eglise protestante qui, eux, ne sont pas tous reconnus, bien que celle-ci soit agréée depuis 1974.
Le même langage dont usera, en décembre 2022, l’actuel ministre des Affaires religieuses, Youcef Belmehdi, en réaction aux stigmatisations américaines, en soutenant que les chrétiens ne subissaient «aucun harcèlement en Algérie», et en jurant qu’«aucune église n’a été fermée».
Cela dit, l’Eglise catholique n’est pas toujours au-dessus de tout soupçon. Par exemple, en septembre 2022, les autorités ecclésiastiques locales ont été choquées d’apprendre l’interdiction ordonnées par les autorités algériennes de son service caritif, Caritas. L’archevêque d’Alger, Jean-Paul Vesco, a expliqué qu’il devait y avoir confusion avec le réseau mondial portant le même nom, mal vu en Algérie, mais, a-t-il dit, «nous ne souhaitons pas entrer en conflit avec les autorités.»
A cela s’ajouterait une autre dimension: les Algériens nouvellement convertis choisissent le protestantisme, alors que les catholiques sont généralement des Européens vivant en Algérie. Ce qui accentue les soupçons de prosélytisme chez les premiers et les expose plus facilement aux persécutions.
En Algérie, il y a aussi le regard de la société qui n’est pas toujours indulgent envers toue conversion à d’autres religions. Interrogé, le chercheur Saïd Djabelkheir en voit trois raisons: «La première: l'école algérienne continue à enseigner le fanatisme religieux à la place des valeurs républicaines dont la tolérance, l'ouverture sur l'altérité, le droit à la différence et le respect et l'acceptation de la différence, la diversité linguistique, culturelle et cultuelle, l'égalité et le respect des libertés individuelles», pose-t-il. «La deuxième le discours médiatique destiné aux Algériens est de plus en plus fanatique, renfermé sur lui-même et intolérant.» Et de conclure avec la troisième cause à ses yeux: «Le discours religieux diffusé dans les mosquées, les médias et les réseaux sociaux ne répond plus aux questionnements et aux attentes de l'homme moderne et des nouvelles générations.»