Putschistes brésiliens: populistes ou évangéliques?
La tentative de putsch, opérée dimanche par des militants bolsonaristes à Brasilia, porterait-elle également une dimension religieuse? La question mérite d’être posée alors que l’ancien président brésilien est largement soutenu par la mouvance évangélique, déjà mise en cause lors de l’assaut du Capitole en janvier 2021.
«Les évangéliques brésiliens, majoritairement bolsonaristes, ont sans nul doute participé à cette tentative de coup d’Etat», confirme Kelber Pereira Gonçalves, spécialiste de la communication religieuse et de la politique en Amérique latine à l’Université de Tours. «Il ne faut cependant pas oublier que de nombreux catholiques conservateurs, issus du renouveau charismatique catholique, se rangent aussi derrière Bolsonaro», précise-t-il.
Pour autant, «Lula n’aurait pas été réélu sans les évangéliques», nuance Sébastien Fath, historien et sociologue spécialisé dans le protestantisme évangélique au CNRS. «En 2006 déjà, quand le président Lula n’avait pas été soutenu par les catholiques, celui-ci s’était d’ailleurs clairement appuyé sur l’électorat évangélique.»
Tous les évangéliques brésiliens ne seraient donc pas marqués à droite. «Il faut préciser qu’au Brésil, tout chrétien qui n’est ni catholique romain ni orthodoxe est appelé évangélique», pointe Kelber Pereira Gonçalves. «Avec la privatisation du religieux qui a permis la création d’Eglises jusque dans des maisons et des garages, ces chrétiens ont tous été mis dans le même panier.» Or, comme l’exprime Sébastien Fath, «l’évangélisme au Brésil est extrêmement hétérogène. Il faut sortir du prisme d’unité: les évangéliques sont d’une grande diversité.»
«Il s’agit globalement de populations différentes», précise encore Kelber Pereira Gonçalves. «Issus de milieux populaires, métis et peu éduqués, les conservateurs vivent la plupart du temps en périphérie. Largement issus des Eglises protestantes historiques, les évangéliques de gauche sont plus Blancs et ont un meilleur niveau socioculturel.» Reste que «la majorité des évangéliques au Brésil sont pentecôtistes et néo-pentecôtistes, soit très conservateurs», pose Kelber Pereira Gonçalves. Et d’ajouter: «Ces Eglises sont d’autant plus visibles qu’elles ont les moyens d’acheter des médias.»
Au-delà de l’identité religieuse, les bolsonaristes se caractérisent principalement par leur conservatisme. «Il faut dire que Bolsonaro s’est présenté comme le seul candidat capable de sauver le pays d’un communisme supposément anticlérical qui restreindrait la liberté religieuse», formule Kelber Pereira Gonçalves «Le politicien a d’ailleurs garanti qu’il rétablirait un ordre moral dévoyé par la gauche, accusée de corruption spirituelle». Il explique: «L’instauration , entre 2000 et 2015, de politiques publiques progressistes, comme l’extension des droits pour les personnes homosexuelles, a été vue comme une menace pour le modèle chrétien de la famille.» Et d’asséner: «Les nombreux scandales de corruption dans lesquels a trempé le parti de Lula participent d’ailleurs de cette image immorale combattue par les évangéliques.»
Toutefois, pour Sébastien Fath, «s’il y a une affinité conjoncturelle entre Bolsonaro et l’évangélisme, en particulier autour de la question de la corruption et de la famille nucléaire, il ne faudrait pas non plus surestimer le facteur religieux: toutes sortes d’élément socio-économiques entrent en jeu dans ces mobilisations populistes.» Il en veut pour preuve le mouvement des Gilets jaunes, également prêt à marcher sur l’Elysée en 2018.
Le chercheur du CNRS préfère parler de «phénomènes populistes transnationaux» ainsi que de «l’avènement d’une religion politique»: «En raison d’un phénomène de sécularisation interne, une grande partie de ces évangéliques a transféré sa dévotion pour le Dieu des Evangiles vers le nationalisme. On le voit dans l’évangélisme trumpiste comme dans le catholicisme zemmouriste, où le religieux est utilisé comme un artefact identitaire.»
Sébastien Fath préfère donc rester prudent quant aux dessous religieux de cette tentative de putsch. «Il y a certes quelque chose de très bottom up dans la culture évangélique qui ne jure que par la communauté locale», admet-il. « Si on y trouve donc facilement un discours anti-élites et anti-système, la culture évangélique brésilienne cherche à évangéliser et ne vise pas à prendre le pouvoir ou devenir une Eglise nationale.»