Lula au chevet des peuples indigènes
Lundi 30 janvier, le président Luiz Inácio Lula da Silva a décrété une série de mesures pour lutter contre l'exploitation minière illégale sur le territoire indigène yanomami, en Amazonie brésilienne. Une réaction attendue après que des photos d'enfants et de personnes âgées de ce peuple, émaciés et souffrant de paludisme, ont parcouru le monde et révélé les problèmes de la politique indigéniste de l'ancien dirigeant, Jair Bolsonaro.
Selon le ministère de la Santé, 99 enfants âgés de moins de 5 ans seraient en effet morts dans ce territoire isolé au cours de l’année 2022. En cause, des problèmes de malnutrition sévère ainsi que la contamination des rivières au mercure, substance utilisée pour l’extraction de l’or. Le 23 janvier, le ministre de la Justice Flavio Dino annonçait d’ailleurs avoir engagé une enquête de police sur «un éventuel génocide»: «Nous considérons qu’il y a de très fortes indications quant à un refus d’assistance alimentaire et sanitaire envers ces populations indigènes», formulait-il.
Les attentes des mouvements indigènes sont grandes. Ils espèrent non seulement que Lula mette fin à la crise yanomami, dont les terres ont été criminellement envahies et dégradées par au moins 20’000 chercheurs d’or clandestins, mais qu'il transforme réellement les relations entre l'Etat brésilien et les peuples autochtones. D’une part en reprenant la politique de restitution de leurs territoires d'origine, et d’autre part en promouvant leur diversité ethnico-culturelle.
«Nous avons été confrontés, au cours des quatre dernières années, aux politiques radicalement anti-indigènes de Bolsonaro», explique Alberto Terena, pasteur protestant et membre du peuple indigène Terena, de l'Etat du Mato Grosso do Sul, limitrophe du Paraguay. «Il a promu l'agro-industrie sur les terres indigènes, mis des militaires à la tête de la Fondation nationale de l'Indien (Funai, organisme public chargé de protéger les droits des indigènes, ndlr.) et encouragé la destruction de nos territoires.»
Comme le rappelle Alberto Terena, les peuples autochtones de tout le Brésil étaient continuellement encouragés à ouvrir leurs territoires à l'introduction de monocultures: «Quelque chose de curieux, étant donné que souvent nous n'avons même pas assez de terres pour notre subsistance», s’étonne-t-il encore. Et d’accuser: «Le pire, c'est que la religion a été utilisée pour atteindre cet objectif!»
«Fortement soutenu par les dirigeants évangéliques, Bolsonaro a non seulement favorisé ses alliés par des nominations à des postes au gouvernement, mais aussi dans ses politiques indigénistes», explique l'avocat Marcos Kaingang, membre du peuple kaingang , présent dans le sud du Brésil. «Avec sa devise "Dieu avant tout", il a promu l'évangélisation des peuples autochtones isolés à travers la Funai elle-même, autorisant l'action irrégulière des pasteurs et des Eglises.»
Si la présence souvent problématique des Eglises chrétiennes dans les communautés indigènes n'a pas commencé avec Bolsonaro, celle-ci s'est renforcée sous son gouvernement, comme l'expliquent les experts. «Le fondamentalisme chrétien est présent au Brésil depuis quelques décennies et a gagné en puissance avec le projet de manipulation religieuse de Bolsonaro. Cela se traduit par une perspective coloniale d'évangélisation», analyse Luís Ventura, missionnaire catholique laïc et secrétaire adjoint du Conseil missionnaire autochtone (CIMI), un organe de la Conférence nationale des évêques du Brésil.
Marcos Kaingang confirme que le problème n'est pas nouveau. Dans son enfance, il a ressenti de première main les conséquences d'une «perspective coloniale» de l'évangélisation, comme il la décrit. «Nous aimions jouer au tir à l'arc dans le village. Une église pentecôtiste de notre communauté a désapprouvé nos jeux, affirmant qu'aux yeux du Seigneur, nous avions eu tort de tuer les petits animaux », illustre-t-il.
Si l’avocat ne croit pas que l'adhésion à une religion chrétienne soit nécessairement un problème, il critique l'idée qu'un modèle s'impose par la force. «Si une religiosité peut compléter notre spiritualité et notre culture, elle peut être la bienvenue. Mais il est important que nos manières d'être soient respectées. Nous ne pouvons pas accepter l'imposition de modèles racistes ou de modèles qui promeuvent la soumission féminine», précise-t-il.
Militant du Conseil pour la mission parmi les peuples autochtones de l'Église luthérienne (Comin), Marcos Kaingang vient d'être nommé à la tête d'une branche du nouveau ministère des Peuples autochtones. La création de ce ministère par Lula, en plus de la nomination d'une femme indigène – Sônia Guajajara – à sa tête, a d’ailleurs été perçue comme un signe d'espoir par les indigènes et les militants de la cause. «Nous sommes confrontés à un scénario totalement différent. Lula devrait reprendre la démarcation des territoires non encore délimités et fournir des services de santé de manière adéquate. Il a le défi d'aller au-delà des gestes symboliques et de poser des gestes concrets», souligne Luis Ventura.
Pour le pasteur Sandro Luckmann, coordinateur général de Comin, l'essentiel sera que les protagonistes du processus de reconstruction des politiques indigènes soient les peuples indigènes eux-mêmes. «En 1988, lorsque la Constitution actuelle a été promulguée, plusieurs entités chrétiennes qui travaillaient avec les peuples autochtones se sont battues pour inclure leurs droits dans le document. Nous sommes dans un moment similaire, nous devons être à leurs côtés», analyse-t-il. Et de souligner que la participation des peuples autochtones à la politique a considérablement augmenté au cours des dix dernières années: «Leur devise actuelle est "Plus jamais sans nous".»
De son côté, Junior Hekurari, dirigeant d'une organisation de santé yanomami, semble très satisfait de la mise en place du gouvernement Lula. Depuis quatre ans, il dénonce l'abandon de son peuple par le gouvernement. Sa voix n'avait jamais été entendue. La semaine dernière, les photos qu'il a publiées sur l’état de santé des Yanomami ont non seulement atteint la presse, mais également incité le président Lula à se rendre sur le territoire indigène. Une visite qui s’est traduite par l’adoption de plusieurs mesures d’urgence.
Dans le décret du 30 janvier, le président a ordonné que l'armée de l'air surveille l'espace aérien du territoire yanomami, dont l'invasion est facilitée par les avions des mineurs, qui amènent du matériel et des personnes. Et la Force nationale devra également assurer la sécurité des équipes de santé qui y travaillent. «C'est le seul président qui ne nous a pas ignorés. Il est venu ici sans tarder. J'ai beaucoup d'espoir», exprime Junior Hekurari. D’après lui, parmi les 304 communautés yanomami, 120 ont été directement impactées par la présence des mineurs. Junior Hekurari espère que «le président Lula soutiendra l'enquête sur ces crimes et l'élimination des envahisseurs».