Palestine et Isräel: les yeux rivés sur Karlsruhe
Rifat Kassis a fait le voyage à Karlsruhe, car l'assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises (COE) pourrait bien couronner quinze années de lutte obstinée. Ce Palestinien chrétien originaire de Beit Sahour, dans la banlieue de Bethléem, milite pour l'adoption d'un texte commun dénonçant un «apartheid» israélien contre le peuple palestinien.
«La résolution proposée par les Églises d'Afrique du Sud est une feuille de route pour la justice pour tous les peuples de la région», indique Rifat Kassis, joint par téléphone ce samedi 3 septembre. L'apartheid est une définition légale et une grave préoccupation pour toutes les églises de la région. «De nombreuses organisations réputées de défense de droits de l'Homme, internationales, israéliennes ou palestiniennes, définissent les pratiques israéliennes à l'égard du peuple palestinien comme un apartheid. La résolution proposée invite les Églises à reconnaître ce fait et à travailler ensemble et avec d'autres confessions pour mettre fin à ces pratiques. C'est une précondition pour obtenir une paix juste pour tous les peuples de la région basée sur l'égalité et les droits humains.»
La démarche de Rifat Kassis débute en 2009. Il élabore alors un texte signé par l'ensemble des dignitaires chrétiens de Terre sainte. Disponible en français sur le site Internet de l'organisation Kaïros Palestine, le document résume déjà la philosophie de la motion en passe d’être soumise cette semaine à Karlsruhe. Il enjoint les Églises du monde à «se lever contre l’injustice et l’apartheid» et dénonce la «tyrannie du plus fort et sa volonté d’imposer davantage de séparation raciste, de promulguer des lois qui bafouent notre dignité et notre existence».
Identifiant la lutte des Palestiniens à celle des Noirs d'Afrique du Sud, les signataires tournent le dos à la solution à deux États. Selon eux les négociations entre l'Autorité palestinienne et Israël ne mèneront à rien. Ils préconisent l'établissement d'un État unique, «de tous ses citoyens», entre la mer Méditerranée et le Jourdain, dépourvu de caractère juif.
Ces dernières années, la dénonciation de l'apartheid israélien a été reprise par maintes Églises à travers le monde. En 2016, le pasteur Jerry Pillay, élu récemment au secrétariat général du Conseil œcuménique, a publié un texte titré: «Apartheid en Terre sainte, réflexion théologique sur la situation en Israël et/ou Palestine d'une perspective sud-africaine». En conclusion, il jugeait la comparaison entre les deux régimes «justifiable». Dans un communiqué diffusé en juin dernier, le COE dénonçait une discrimination contre les Palestiniens «ouverte et systémique», sans employer toutefois le terme d'apartheid.
Dans le même temps, parmi les organisations de défense des droits de l'Homme, l'accusation d'apartheid se généralise. En février dernier, Amnesty International publiait un rapport au vitriol intitulé «L’apartheid d’Israël contre la population palestinienne: un système cruel de domination et un crime contre l’humanité». Dans cet épais document, truffé de témoignages et d'exemples concrets, l'organisation pointe des discriminations tant dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza qu'à l'intérieur des frontières reconnues d'Israël. Les organisations israéliennes de défense des droit l'Homme israéliennes comme Yesh Din ou Betselem dressent régulièrement ce type de réquisitoire.
Les accusations d'apartheid et l'analogie avec l'Afrique du sud des Afrikaners scandalisent les Israéliens. Lors de la publication du rapport d'Amnesty International, le Premier ministre Yaïr Lapid, alors ministre des Affaires étrangères, avait dénoncé une démarche «antisémite» et un «recyclage de mensonges». «Israël n'est pas parfait, mais c'est une démocratie attachée au droit international, ouverte à la critique, avec une presse libre et une Cour suprême forte», avait alors déclaré Yaïr Lapid.
Quant aux positions du Conseil œcuménique, elles suscitent des réactions indignées en Israël. À Jérusalem, l'organisation NGO-monitor examine à la loupe les déclarations du COE et de ses organisations affiliées comme Kaïros Palestine. «Le COE a un vrai problème d'antisémitisme», lance d'emblée Itaï Reouveni, auteur de plusieurs rapports sur le sujet pour NGO-monitor.
Pour lui, la symétrie avec l'Afrique du Sud n'a guère de sens quand plus de deux millions de Palestiniens citoyens d'Israël disposent de tous les droits civiques, élisent des députés à la Knesset et comptent même des ministres au gouvernement. «Kaïros Palestine élabore un discours où se mêlent l'antijudaïsme chrétien et le nationalisme palestinien. En substance, ils disent: "Les Israéliens font aux Palestiniens ce que les Juifs ont fait à Jésus". Les déclarations du COE nous inquiètent car les fidèles chrétiens sont très influencés par leurs Églises. Certains propos peuvent enflammer les esprits et justifier le recours à la violence», déplore Itaï Réouveni.
Au sein même du monde chrétien, les positions anti-israéliennes du COE divisent. Tomas Sandell, un journaliste finlandais membre d'un lobby chrétien pro-israélien accrédité auprès de l'Union européenne, a publié récemment une tribune à l'occasion de l'assemblée générale du Conseil œcuménique de Karlsruhe. Dans son texte il s'étonne du refus de l'organisation d'adopter la définition de l'antisémitisme proposée par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA). Cette réticence s'explique aisément: la définition de l'IHRA engloberait les politiques des Églises-membres qui mènent une campagne active contre l'État juif et promeuvent le mouvement de boycott BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions, ndlr.).
Notant que l'assemblée générale du COE se déroule dans la même région et à la même période que les célébrations du 125e anniversaire du premier Congrès sioniste de Bâle, Tomas Sandel appelle à la réconciliation. «Aucune nation n'est parfaite, l'Église non plus. Le temps est désormais venu pour toute la communauté chrétienne d'embrasser l'État juif», conclut-il.