Le secret de l’aumônerie menacé par le Renseignement
À l’heure actuelle, tout ce qui est confié à un aumônier est protégé par le secret professionnel, comme c’est également le cas dans le milieu médical. Les aumôniers ne peuvent ainsi pas être mis sur écoute. Une proposition du Conseil fédéral pourrait pourtant changer cela, s’est alarmée l'Église évangélique réformée de Suisse (EERS).
Dans le cadre de la révision de la loi fédérale sur le renseignement, le Conseil fédéral a en effet proposé de supprimer un alinéa de l'article 28. Celui-ci stipule que le service de renseignement ne peut pas effectuer de mesures de surveillance soumises à autorisation sur des personnes tenues au secret professionnel. Concrètement, cela signifie par exemple que le service de renseignement ne peut pas mettre sur écoute des avocats, des médecins ou des aumôniers – à l’exception du cas où ces personnes feraient elles-mêmes l'objet d'une enquête.
Dans une prise de position, l’EERS s’oppose fermement à la suppression de l’article en question et argumente pour que le secret de l’aumônerie reste protégé. «L'aumônerie repose essentiellement sur la confiance, elle ne peut "fonctionner" que si les personnes en quête d'aide peuvent compter sur le fait que l'entretien se déroule dans un cadre protégé et ne sorte de ce cadre qu'avec leur accord», formule le Conseil de l’EERS (Exécutif).
L’EERS exprime notamment des doutes quant aux questions de «la cohérence des droits fondamentaux et des droits de l'homme, la proportionnalité et les conséquences sociales attendues». Concrètement, la faîtière des Églises réformées craint qu'un assouplissement du secret professionnel ne nuise à la relation de confiance entre les aumôniers et leurs prestataires. «Le secret de l'aumônerie est un élément clé de l'accompagnement spirituel», stipule-t-elle encore dans cette déclaration.
D'une manière générale, l’EERS exhorte à ne pas affaiblir la protection des droits fondamentaux. La collecte légale d'informations par les services de renseignement constitue d’ailleurs également à ses yeux une violation des droits fondamentaux. «Le service de renseignement évolue ici dans une zone grise», explique David Zaugg, chargé des affaires publiques et de la migration à l’EERS. En effet, lorsqu’une personne est mise sur écoute, le service de renseignement restreint de fait son droit fondamental au respect de sa vie privée. «Ces restrictions peuvent parfois être nécessaires du point de vue de l'État en ce qui concerne la sécurité publique, c'est pourquoi elles ont besoin de limites restrictives par une loi forte. Et elles doivent être proportionnées et objectivement bien justifiées», insiste-t-il.
Or, selon l’EERS, c'est au niveau de la justification que le bât blesse. Le Conseil fédéral fait valoir que les détenteurs du secret professionnel pourraient abuser de leur privilège pour cacher quelque chose. Une hypothèse qui ne justifie pas encore la suppression de cette protection, argumente l’EERS, précisant qu’il faudrait plutôt lutter contre l'abus en lui-même. Et de conclure qu’il incombe au droit de lutter contre les abus et non aux abus d’annuler le droit.
Les partisans d’une extension des pouvoirs du service de renseignement invoquent également l’élément sécuritaire: davantage d'informations pourraient par exemple empêcher des attentats terroristes. L’EERS s'oppose à cela en disant que même des mesures de renseignement plus fortes ne garantissent pas la sécurité. Et d’attirer l'attention sur le prix de cette sécurité promise: «L'abandon de la protection particulière pour les groupes professionnels soumis au secret professionnel (...) favorise une attitude de suspicion générale du côté de l'État et de méfiance générale du côté de la population.» La conséquence n'en serait pas un État sûr, mais «une société insécurisée et irritée». L'État pourrait ainsi perdre en légitimité, craint l’Église réformée.
La Fédération suisse des avocats, la Fédération des médecins FHM et la Conférence des évêques suisses, entre autres, ont également émis des critiques à l'encontre de la modification prévue dans le cadre de la procédure de consultation, qui prenait fin au 9 septembre.