La bataille pour la présidence du Brésil se la joue spirituelle
C’est à l’occasion d’un service religieux, donné le 7 août dans une église baptiste de la ville de Belo Horizonte (est du pays), que la première dame brésilienne a pris la parole pour évoquer la course à la présidentielle et défendre la candidature de son mari, Jair Bolsonaro. À ses yeux, le scrutin relèverait ni plus ni moins d’une bataille spirituelle.
«Pendant de nombreuses années, le palais présidentiel a été livré aux démons. Aujourd’hui, il est dédié au Seigneur Jésus», a-t-elle ainsi formulé, en allusion aux treize années pendant lesquelles le Parti des Travailleurs (PT) de gauche a gouverné le pays (2003-2016). «Quand j'entre dans le bureau présidentiel et que je regarde sa chaise, je me dis que ce siège appartient au grand président, que c'est notre Roi qui gouverne cette nation», s’est-elle exclamée en faisant référence au Christ. Des propos que l’actuel président s’est empressé de prendre à son compte, quelques instants plus tard, en déclarant qu’il considérait également son rôle tel une «mission divine».
La campagne électorale pour la présidence du Brésil a officiellement commencé une semaine plus tard, le 16 août. Le 2 octobre, les Brésiliens décideront si Jair Bolsonaro obtiendra un nouveau mandat ou si l'ancien président progressiste Luiz Inácio Lula da Silva, en tête dans les sondages, le remplacera (il a précédemment dirigé le pays sud-américain entre 2003 et 2010, ndlr.).
De l’avis de plusieurs analystes, la campagne actuelle mettra certainement l’accent sur les thèmes religieux. «Avec la crise économique et son incapacité à contrôler la pandémie de Covid-19, les seuls sujets que Jair Bolsonaro peut utiliser pour tenter de gagner des voix sont la religion et sa défense de la famille», déclare Jung Mo Sung, théologien catholique et professeur à l'Université méthodiste de São Paulo.
Avec 682’000 morts, le pays a en effet été durement impacté par la pandémie. Jair Bolsonaro n'a pas imposé de confinement national (il s'est même opposé aux restrictions établies par certains gouverneurs) et n'a pas réussi à contrôler la contagion, entraînant l'effondrement du système de santé.
Les conséquences n’ont pas manqué de se faire ressentir également sur le plan économique. Les hausses de prix ont été fréquentes. En juillet, le taux d'inflation sur douze mois était de 10%. Le prix des aliments ont augmenté plus vite que l’inflation, affectant principalement les Brésiliens les plus pauvres.
«Le président actuel n'a pas de proposition pour la nation, il instrumentalise donc la religion dans le processus électoral», confirme la pasteure Romi Bencke, secrétaire générale du Conseil national des Églises chrétiennes au Brésil.
Malgré ces problèmes, une grande partie de l'électorat évangélique est favorable à la réélection de Jair Bolsonaro. Selon l'institut de recherche PoderData, les intentions de vote pour Jair Bolsonaro s’élèvent à 40% seulement. Chez les évangéliques, cependant, il atteint 55%.
«Nous ne voulons pas nécessairement un président évangélique, mais un président qui croit en Dieu. Malgré ses défauts, nous croyons qu'il répond à nos attentes», affirme le pasteur baptiste Aloizio Penido, qui a célébré la semaine dernière le premier service évangélique de la campagne de Jair Bolsonaro, dans la ville de Juiz de Fora (sud-est du pays).
Pour le pasteur baptiste, les évangéliques pourraient très bien soutenir certaines mesures prônées par la gauche, telles que des programmes d'aide au revenu pour les plus pauvres, mais ils se refusent à accepter des propositions présumées «de gauche, telles que la dépénalisation totale de l'avortement et de la drogue».
«Pendant la pandémie, la gauche a fermé nos églises. Nous avons perdu des membres et en avons ressenti le choc financier», poursuit-il. Et d’asséner: «Il est devenu clair que la gauche est fondamentalement athée et veut nous faire taire.»
Aloizio Penido déclare que les fidèles de son Église ont réagi très positivement au récit qu'il a fait de sa rencontre avec Jair Bolsonaro et la première dame. «Je respecte l'opinion de chacun, mais en tant que leader communautaire, je dois exprimer mon opinion. Et la grande majorité est d'accord avec moi: je ne vois presque aucun évangélique dire qu'il votera pour Lula», argue-t-il. Selon l'institut Datafolha, Lula bénéficie à l’heure actuel de 47% d'intentions de vote, contre 32% pour Bolsonaro. Mais 49% des évangéliques déclarent voter pour Bolsonaro et seulement 32% soutiennent Lula. Les évangéliques représentent 27% de l'électorat brésilien.
Le pasteur Zedequias Nunes, membre d'une église néo-pentecôtiste, estime également que le PT et la gauche en général ont l'intention de restreindre les activités des évangéliques au Brésil. «Si nous votons pour la gauche et pour Lula, quelque chose de similaire à ce qui se passe au Nicaragua, à Cuba, au Venezuela et dans d'autres pays communistes pourrait se produire ici», exprime-t-il. L’homme est un militaire à la retraite – comme Bolsonaro – et a été assistant parlementaire du député fédéral Hélio Lopes, un grand ami du président. «En tant que chrétien, mon rôle est d'avertir mes frères que Dieu n'est pas dans l'union affective de deux femmes ou de deux hommes, ni dans la libération de la drogue ou de l'avortement», affirme-t-il.
Au cours de ses deux mandats, Lula n'a pourtant pas apporté de changements substantiels à la législation brésilienne sur ces questions. Les unions civiles homosexuelles, par exemple, ne sont devenues possibles au Brésil qu'en 2011, par décision de la Cour suprême fédérale.
Qu’à cela ne tienne, le professeur Jung Mo Sung pointe sans détours: «On sait que la gauche a cessé de donner la priorité aux questions économiques au cours des dernières décennies et a commencé à se concentrer sur les questions liées aux identités de genre et aux mœurs.» Par conséquent, les chrétiens conservateurs voient le PT comme «une alliance démoniaque entre communistes et homosexuels», soutient-il.
C'est peut-être pour cette raison que les coordinateurs de la campagne de Lula avaient décidé d'éviter les débats religieux et d’ordre éthique et de ne parler que de l'économie et des droits des plus pauvres. Mais les accusations constantes des bolsonaristes selon lesquelles le PT persécutera les chrétiens s'il revient au pouvoir ont amené le parti à repenser sa stratégie.
«Si Lula ne parle pas de religion, il donnera l'impression qu'il ne considère pas important de parler de Dieu», observe le théologien catholique Jung Mo Sung. «Or, au Brésil et en Amérique latine dans son ensemble, les gens comprennent et organisent le monde à travers le langage religieux. Lula est obligé de se battre également dans cette arène.»
Apparemment, Lula s'en est déjà rendu compte. Lors d'un meeting samedi 20 août, il a dénoncé «les gens qui utilisent les églises comme d’une tribune politique». Et il a rappelé qu’à ses yeux, les Églises ne devraient pas avoir de préférence pour des partis politiques.