Frontex: le vote des chrétiens balance
Les chrétiens ne badinent pas avec les droits humains. Le référendum sur le soutien de la Suisse à l’extension de Frontex soumis au peuple le 15 mai est l’occasion de le rappeler. En raison des accusations récurrentes d’abus et de violations des droits humains à l’encontre de l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, les chrétiens sont unanimes: le fonctionnement de Frontex est à revoir. Mais les voix divergent sur la façon d’y parvenir. Dimanche, les chrétiens seront partagés dans l’isoloir.
Pour rappel, Frontex est chargée d’aider les États membres de l’espace Schengen à effectuer les contrôles aux frontières extérieures, la décision de renvoi de personnes reste du ressort des États. Face au manque de ressources et de personnels révélé par la crise migratoire de 2015, l’Union européenne (UE) a décidé de développer l’agence et de passer à 10'000 gardes-frontières d’ici à 2027. La réforme prévoit également que l’officier indépendant, chargé du respect des droits fondamentaux «disposera de 40 observateurs qui pourront se rendre sur les zones d’intervention de Frontex pour constater les éventuelles violations. Le cas échéant, ils feront en sorte que des mesures soient prises», explique-t-on dans le matériel de vote publié par le Conseil fédéral.
La Suisse, qui participe à Frontex depuis 2011 en tant qu’État associé aux accords de Schengen-Dublin, est impliquée. Le texte attaqué en référendum prévoit que, d’ici à 2027, le nombre de garde-frontières mis à la disposition de Frontex passe de 6 à 40 et la contribution financière de 24 à 61 millions de francs.
Des propositions qui divisent les rangs chrétiens. Dans le camp des opposants, le comité œcuménique «Églises contre l’extension de Frontex», composé notamment de ministres et d’aumôniers. Pour celui-ci, «la violation des droits humains n’est pas négociable», affirme Pierre Bühler, professeur émérite de théologie aux universités de Neuchâtel et Zurich et membre du comité. En martelant le «non», le comité espère la révision des conditions de fonctionnement de l’agence européenne, un code déontologique et la fin des refoulements illégaux.
Le son de cloche n’est pas si différent dans le camp des partisans de la réforme. «Nous ne sommes pas dupes. Il y a eu des abus, des renvois illégaux et des violations flagrantes des droits humains. Il est nécessaire d’investir dans la formation du personnel de Frontex et la supervision des processus en place», explique François Bachmann, vice-président du Parti évangélique suisse (PEV), en faveur du soutien de la Suisse au développement de l’agence. «La Suisse bénéficie d’une expérience et d’un savoir-faire en matière de fédéralisme qui pourrait être profitable au fonctionnement de cette agence», argue le politicien. Plutôt que de claquer la porte, mieux vaut donc, pour le PEV, être partie prenante du développement de Frontex, «qui n’a pas encore atteint sa maturité». «Le moment est propice aux améliorations, puisque l’ancien directeur de Frontex vient de démissionner», ajoute le vice-président du PEV.
En effet, l’agence européenne est sous le feu des critiques. Selon plusieurs ONG et de récentes enquêtes parues dans les médias, Frontex aurait répertorié une série de refoulements illégaux par des garde-côtes nationaux en Méditerranée. Frontex serait donc au courant de ces violations des droits et détournerait le regard. En avril, le directeur de Frontex a démissionné et, début mai, le Parlement européen a reporté sa décision sur la validation des comptes 2020 de Frontex, mettant notamment en avant «les enquêtes en cours lancées par l’Office européen de la lutte anti-fraude au sujet d’incidents liés aux droits fondamentaux, y compris le refoulement de migrants», stipule le communiqué du Parlement.
Face à cette situation, «nous ne pouvons pas simplement nous retirer et donner l’impression à l’UE que nous nous en lavons les mains. Il en va de notre responsabilité de chrétiens de nous engager pour atténuer la souffrance qu’endurent les personnes dont les droits fondamentaux sont violés», affirme François Bachmann.
Une responsabilité chrétienne partagée par les opposants: «La défense des plus faibles fait partie de notre ADN chrétien. À ce titre, il est de notre devoir de faire entendre nos convictions et de mettre au premier plan le débat sur la valeur de l’humain», explique Virginie Hours, aumônière catholique de l’aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d’asile (AGORA) et membre d’«Églises contre l’extension de Frontex». Plus que financier, l’enjeu du vote est donc bien éthique.
Si les Églises réformées et catholiques n’ont pas donné de consignes de vote, le respect et la protection des personnes qui cherchent un refuge et la garantie du droit d’asile sont une priorité. «Il est extrêmement choquant de constater que des violations des droits humains sont tolérées, voire co-organisées par une agence de l’UE cofinancée par la Suisse», explique David Zaugg, chargé des affaires publiques et de la migration pour l’Église évangélique réformée de Suisse. «La protection des frontières doit se faire de manière transparente, dans le respect des droits humains et de la convention de Genève. Pour autant, les responsabilités sont partagées entre Frontex et les autorités nationales chargées de la surveillance des frontières», poursuit-il. La Commission nationale suisse Justice et Paix de la Conférence des évêques suisses rappelle quant à elle dans un communiqué que la protection des frontières doit aussi constituer une protection des réfugiés. Or un «traitement digne des réfugiés et demandeurs d’asile n’est pas garanti aux frontières extérieures de l’Europe». Et d’affirmer que «Frontex doit être soumis à un contrôle démocratique renforcé et son travail concret doit être soumise à des règles strictes. L’augmentation de la contribution suisse au travail de Frontex doit être liée à ces conditions.»