Les chrétiens de Gaza privés des joies de Noël
La foule devient plus dense à mesure que l’on approche de la Basilique de la Nativité. Russes, Italiens, Anglais, Espagnols… La Place de la Mangeoire qui fait face au vénérable édifice est une vraie tour de Babel. À Bethléem, les habitants se préparent au Noël le plus lucratif du point de vue touristique depuis deux décennies. La petite ville de Cisjordanie, dont les visiteurs augmentent constamment depuis trois ans, en a reçu près d’1,5 million l’an passé. Elle se prépare désormais à un afflux plus grand encore: pour la première fois, les autorités ont étendu les heures d’ouverture de la Basilique jusqu’à 20h et s’apprêtent à exiger des groupes qu’ils s’enregistrent en avance.
Rassurés par la stabilité sécuritaire, les touristes sont toujours plus nombreux en Israël. Parmi eux, l’on compte une majorité de chrétien : 55% des 4,5 millions de visiteurs en 2019 adhéraient à cette confession, selon le Ministère israélien du tourisme. Parmi eux, 43% de catholiques, 31% de protestants – dont 83% d’évangéliques – et 24% d’orthodoxes. Et un chrétien sur quatre déclarait être venu pour un pèlerinage – soit 165'000 visiteurs sur les 660'000 qui se pressent en Terre Sainte entre décembre et janvier. «C’est vraiment extraordinaire de voir ces lieux. Et nous sommes tellement bien accueillis!» affirme une Espagnole devant la Basilique, avant de courber la tête pour s’y engouffrer.
Cette joie et cette liberté contrastent cruellement avec la situation des chrétiens de Gaza. Deux jours après le communiqué du Ministère du tourisme faisant état d’un nombre record de chrétiens étrangers, l’État d’Israël a en effet annoncé qu’il leur refusait tout permis d’entrée en Israël ou en Cisjordanie. Sur les 1200 personnes de cette confession qui vivent encore dans la bande côtière – pour une population totale de quasi 2 millions –, 995 en avaient fait la demande. Les hauts responsables des Églises ont fait appel auprès du Gouvernement israélien, mais leur colère a peu de chances d’être écoutée.
Ce refus est une première. En 2018, 700 Gazaouis avaient encore reçu l’autorisation de se déplacer à Bethléem, Jérusalem ou Nazareth pour Noël. En avril, l’étau s’était resserré : il avait fallu toute la force de persuasion des Églises pour qu’Israël consente à ce que 300 Gazaouis chrétiens se rendent en Cisjordanie et sur son territoire pour Pâques. Cette fois-ci, le gouvernement hébreu n’a accepté que de délivrer une centaine de permis à des personnes de plus de 45 ans pour se rendre à l’étranger par la frontière jordanienne, et pas en Israël. Le prétexte avancé, comme souvent, est la sécurité. En réalité, il s’agit d’un pas de plus dans une politique visant à intensifier la division entre Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Et d’empêcher des Palestiniens de Gaza de s’en échapper en profitant d’un permis temporaire, quitte à vivre en Cisjordanie illégalement aux yeux des Israéliens.
Dans ce contexte, l’autorisation donnée par le Hamas de procéder à l’allumage d’un sapin de Noël en public pour la deuxième année consécutive est une bien maigre consolation pour ces chrétiens. D’autant plus que certaines familles sont prisonnières de Gaza depuis de nombreuses années. Pour des raisons économiques, d’abord: le désastre de la vie dans ce territoire surpeuplé et sous blocus depuis 2007 ne les épargnant pas, ils n’ont souvent pas les moyens financiers de se déplacer. «Nous recevons régulièrement des appels au secours de mes frères et sœurs qui n’ont plus un centime pour acheter de la nourriture au supermarché», témoigne ainsi Fady, un chrétien protestant originaire de Gaza qui vit en Cisjordanie.
Ensuite, le fait que des permis de sortie aient été délivrés par Israël les années précédentes ne signifie pas que les personnes concernées ont pu en profiter. Le quota arbitraire auquel recourent les autorités ne prend pas en compte le contexte familial, ce qui mène à des situations ubuesques. Par exemple, les enfants sont autorisés à voyager, mais pas les parents. Ou alors, tout le monde reçoit une autorisation, sauf un membre de la famille. «Pouvez-vous imaginer une seconde célébrer Noël sans votre mère, ou envoyer vos enfants mineurs à l’autre bout du pays sans vous?» fulmine le directeur des relations publiques de l’Église orthodoxe de Gaza Kamel Ayyad qui parle de «permissions bidon».
Dans la communauté chrétienne palestinienne, le chagrin le dispute à la colère. «Le refus des Israéliens est d’autant plus injuste qu’ils savent bien que les chrétiens ne posent jamais aucun problème de sécurité», affirme Fady. Lui qui a profité d’un permis provisoire pour fuir «un monde de mort et de destruction où l’avenir est un mot tabou» n’a pas vu ses frères et sœurs depuis cinq ans. «Mes parents et moi n’avons jamais pu serrer leurs enfants dans nos bras. Nous ne les connaissons qu’à travers un écran. Nous ne rêvions que d’une chose: nous retrouver tous au pied du sapin.»