Derrière le Mur de Berlin, l'action des Églises de RDA
Le 9 novembre 1989, vers 19h, le secrétaire général du Parti socialiste unifié (SED), Günter Schabowski, crée la surprise. Lors d’une conférence de presse transmise en direct à la télévision et à la radio est-allemande, il annonce, en réponse à un journaliste, une nouvelle réglementation autorisant les voyages privés, y compris vers Berlin-Ouest. Des milliers de manifestants affluent au pied du Mur de Berlin. Désemparés, les garde-frontières ouvrent la barrière. Le mur de Berlin s’est ouvert, sans une goutte de sang. Les Allemands se retrouvent. Le chemin vers la transition démocratique de l’Allemagne de l’Est et la réunification du pays ne fait que commencer.
La guerre entre les deux blocs a été froide, et les Allemands de la République démocratique allemande (RDA) ont mené une révolution pacifique face au régime communiste. À leurs côtés, «les Églises protestantes de RDA ont joué un rôle d’accompagnement», explique Sylvie Le Grand, enseignante et chercheuse à l’Université Paris-Nanterre, dont les travaux portent sur la RDA et l’histoire religieuse en Allemagne.
Depuis les années 1980 en particulier, les Églises protestantes de RDA offrent un espace de liberté et de créativité aux différents groupes de réflexion et d’action réunis autour des thématiques de la paix, de l’écologie, les droits de l’homme et la justice, mais aussi des groupes de femmes ou d’homosexuels. Si tous ne sont pas chrétiens, ils se reconnaissent le plus souvent dans l’éthique chrétienne. Et l’Église leur permet de trouver un lieu de vie et d’expression, en mettant à disposition locaux et matériel. «L’alliance avec l’Église protestante est donc d’abord une alliance d’intérêt», précise la chercheuse. Dans une société muselée, le besoin croissant de liberté d’expression se fait ressentir, «les Églises commencent alors à jouer un rôle de suppléance, de substitut de la société civile», observe Sylvie Le Grand.
Mais elles ne sont pas pour autant dans l’opposition, car elles ne visent pas l’exercice du pouvoir. «La raison d’être des Églises n’est pas politique, mais théologique. La profession de foi chrétienne est constituante des assemblées chrétiennes et essentielle. Ainsi, les Églises accueillent tous les croyants dans leur diversité d’opinions politiques. Pour certains protestants reprenant les propos du théologien allemand Dietrich Bonhoeffer, elles sont aussi là ‘pour les autres’», explique Sylvie Le Grand. Mais que l’on ne s’y trompe pas, ce soutien ne fait pas l’unanimité au sein des paroisses des huit Églises provinciales de la RDA, réunies en Fédération séparée des Églises protestantes ouest-allemandes depuis 1969.
Les Églises protestantes ne remettent pas en cause l’État communiste. Elles restent loyales tout en faisant preuve de solidarité critique. Si elles protègent les groupes qu’elles abritent, les Églises cherchent aussi à calmer leurs ardeurs, notamment pour maintenir leurs acquis. Jusqu’à la fin de la Guerre froide, les Églises jouissent d’un statut privilégié, hérité de la République de Weimar. «Les Églises protestantes de RDA ne sont certes plus officiellement des corporations publiques après l’adoption de la constitution de 1968, mais en conservent nombre de caractéristiques», rappelle Sylvie Le Grand. Non inféodées à l’État, elles disposent jusqu’au bout d’une autonomie de fonctionnement, d’un réseau propre d’établissement socio-caritatifs ou de formation, même si l’aide de l’État pour la perception d’un impôt ecclésiastique ou la possibilité de dispenser un enseignement religieux dans les locaux scolaires sont remis en cause dès les années 1950. Il existe aussi des facultés de théologie publiques. La Constitution garantit la liberté de croyance et de conscience.
Face à cette liberté régulée, les groupes chercheront cependant à s’émanciper peu à peu de la tutelle ecclésiale pour se politiser et faire pression de façon plus active sur le pouvoir communiste. La colère provoquée par le trucage des élections municipales du 7 mai 1989, révélé par des opposants au régime, accélère leur prise d’autonomie.
Après la chute du Mur de Berlin, le rôle des Églises ne s’arrête pas. Leur expérience de la démocratie leur vaut notamment de jouer le rôle de médiatrices au sein de la Table ronde, qui réunit en décembre 1989 – après la démission du nouveau chef du gouvernement du Parti socialiste unifié (SED) –, différents représentants du SED-PDS et des autres partis de RDA ainsi que des nouveaux mouvements citoyens pour faire avancer les réformes de la RDA et organiser de nouvelles élections à la Chambre du Peuple, le Parlement est-allemand. Les protestants ne sont plus que 22,5% en Allemagne de l‘Est en 1990, contre 80% en 1946. Pourtant, les élections du 18 mars 1990 verront 21 théologiens, dont 19 pasteurs, siéger au Parlement est-allemand.