Les incendies en Amazonie creusent un fossé entre les chrétiens
La controverse a commencé en juillet, lorsque Jair Bolsonaro a contesté la véracité des données montrant le taux de déforestation croissant de l'Amazonie. L'Institut national de recherche spatiale (INPE) brésilien avait alors signalé que la dévastation de l'Amazonie avait augmenté de 278% en juillet 2019 par rapport à juillet 2018. Les commentaires du président brésilien ont conduit au renvoi de Ricardo Galvão, le physicien à la tête de l'institut.
Les incendies de forêt sont fréquents pendant la saison sèche en Amazonie, mais il existe des preuves d'actes criminels perpétrés par de grands propriétaires fonciers de la région, qui utilisent les incendies pour défricher la forêt et étendre leurs terres agricoles. Le magazine brésilien «Globo Rural» a récemment publié un article sur un groupe d'agriculteurs et de mineurs de l'État amazonien du Pará qui a utilisé une application de messagerie pour appeler à une «journée du feu». Selon le magazine, les hommes engagés par le groupe ont incendié une grande réserve le 10 août, provoquant le plus grand incendie de l'histoire de l'État. Leur but était de protester contre les lois environnementales actuelles et de montrer leur soutien aux plans de Bolsonaro visant à assouplir les restrictions imposées aux entreprises dans la région. Le président brésilien a, à son tour, accusé les organisations non gouvernementales d'avoir déclenché les feux de forêt, sans citer aucune preuve, arguant qu'elles voulaient fomenter une opposition contre lui et le gouvernement brésilien.
Le 22 août, le Forum œcuménique ACT Brésil, un conseil de confessions protestantes et catholiques, a publié une déclaration dans laquelle elle affirme que les politiques de l'administration Bolsonaro «ont conduit à une vague de dévastation de l'environnement» dans ce pays. Le lendemain, la Conférence nationale des évêques du Brésil a aussi publié une déclaration, sans mentionner le nom du président: «Ce n'est pas le moment d’avoir des réflexions ou de tenir des discours absurdes.» Les évêques ont également demandé une action urgente visant à sauver une «région cruciale pour l'équilibre écologique de la planète».
Cette semaine, les évêques catholiques de l'Amazonie se réunissent dans l'État du Pará pour assister à la dernière réunion préparatoire du prochain Synode pour la région panamazonienne, qui se tiendra au Vatican en octobre. La défense de l'Amazonie et de ses peuples est une partie centrale des débats concernant le Synode. Plus tôt cette année, l'activisme de l'Église catholique pour la défense de la forêt tropicale a soulevé des soupçons parmi les membres de l'administration Bolsonaro, qui craignaient qu’elle n'agisse comme un groupe d'«opposition de gauche».
Depuis le début de la crise, les organisations évangéliques, qui représentent environ 22% des Brésiliens, n'ont fait aucune déclaration publique sur les craintes de déforestation. Alors que de petits groupes d'évangéliques ont assisté à des manifestations dans les rues à São Paulo et dans d'autres villes contre la destruction de l'Amazonie la semaine dernière, les plus grands organismes évangéliques, tels que l'Assemblée de Dieu et l'Église universelle du Royaume de Dieu, ont préféré ignorer ce problème.
Le pasteur luthérien Inácio Lemke, président du Conseil national des Églises chrétiennes du Brésil, a affirmé qu'aucun chrétien ne devait garder le silence sur la destruction de l'Amazonie. «Le Brésil est censé être un pays chrétien, mais de nombreux Brésiliens semblent accepter une violence extrême. Le bloc évangélique soutient ceux des propriétaires fonciers et des armes à feu. Ils n'ont pas de véritable engagement envers l'Évangile.»
Certains observateurs politiques ont fait écho aux critiques de Inácio Lemke. «En raison de leur alliance avec Jair Bolsonaro, les évangéliques ont commencé à s'opposer à la protection de l'environnement. Ils ont assimilé l'idée que l'écologie est un déguisement pour les communistes et pour les dirigeants internationaux qui veulent prendre l'Amazonie au Brésil», a déclaré Renan William dos Santos, chercheur à l'Université de São Paulo qui étudie les relations des chrétiens avec l'écologie.
Les évangéliques ont une présence significative dans le cabinet de Bolsonaro et au Congrès. Sur les 513 sièges de la Chambre des députés (chambre basse), plus de 100 législateurs se reconnaissent comme évangéliques, dont beaucoup sont des pasteurs et des leaders dans leur congrégation. «Le bloc évangélique a une ancienne alliance avec le bloc des propriétaires terriens», précise Cleber Buzatto, qui dirige le Conseil missionnaire indigène, une commission de la conférence épiscopale qui travaille avec les peuples indigènes au Brésil. «Sur les questions morales, les propriétaires fonciers ont tendance à se ranger du côté des évangéliques; quand les questions foncières et environnementales sont en jeu, les évangéliques se rangent du côté des propriétaires fonciers.»
Depuis 2011, Cleber Buzatto suit l'évolution de la législation en cours d'examen par le Congrès et surveille toutes les mesures qui pourraient être préjudiciables aux peuples autochtones. La semaine dernière, les législateurs ont débattu d'un projet de loi qui permettrait aux agriculteurs non autochtones de planter dans des parties des réserves autochtones qui sont actuellement protégées, ce qui pourrait contribuer à la déforestation. «Au cours de la discussion, l'un des dirigeants du bloc évangélique a prononcé un discours qui faisait écho aux arguments anti-ONG du président Bolsonaro et des propriétaires fonciers», révèle Cleber Buzatto. Le vote sur le projet de loi est actuellement suspendu.
Selon William dos Santos, la position évangélique sur l'Amazonie est influencée par leur vision apocalyptique du monde. «De leur point de vue, il ne sert à rien de lutter contre les grands problèmes écologiques, étant donné que le monde touche à sa fin et que ces problèmes sont les signes du temps. Beaucoup refusent également de s'engager dans une analyse systémique lorsqu'il s'agit de questions environnementales.
Le pasteur Leonardo Cortez, leader d'une congrégation de l'Assemblée de Dieu dans la ville amazonienne de Cacoal, affirme que les incendies de cette année ne sont pas aussi importants que les années précédentes - même si les données démontrent le contraire. Il croit aussi que les causes de l'incendie sont naturelles. «Avec moins d'humidité et un temps intensément chaud, les incendies se produisent naturellement», a-t-il confié à l’agence RNS. Le pasteur, qui ne voit aucune contradiction dans l'alignement politique des évangéliques avec Bolsonaro, a déclaré que la crise actuelle avait été amplifiée par des personnes ayant des divergences économiques et politiques avec l'administration. «Les militants écologistes ne comprennent pas que nous tirons de la Terre une grande partie de nos moyens de subsistance et des produits que le Brésil exporte. Il nous faut donc trouver un équilibre.»
Cette semaine, le gouvernement a annoncé une série de mesures pour lutter contre les feux de forêt, notamment le déploiement de troupes militaires dans la région.