La foi: pour et contre le droit de vote des femmes
Cette semaine marque le centenaire de l'adoption par le Congrès américain du 19e amendement à la Constitution, qui garantit aux femmes le droit de vote. Adopté à la suite d'une guerre mondiale cataclysmique, il n'a cependant été ratifiée qu'en 1920. Dès lors, beaucoup de femmes qui avaient fait pression en sa faveur, comme Susan B. Anthony et Elizabeth Cady Stanton, étaient mortes. Cet amendement avait en effet été présenté pour la première fois au Congrès en 1878...
La foi a joué un rôle clé dans la lutte pour le droit de vote des femmes. Les convictions religieuses ont contraint beaucoup de gens à faire campagne en faveur du droit de vote des femmes — et beaucoup d'autres à lutter avec acharnement contre cette pratique.
Selon la journaliste Elaine Weiss (auteure de The Woman's Hour: The Great Fight to Win the Vote") et d'autres experts, la bataille pour le droit de vote a rassemblé des femmes de toutes les religions, des Quakers aux femmes actives dans le mouvement de la sainteté, qui considéraient la réforme sociale comme un moyen de témoigner de leur quête de la sainteté.
«De nombreux partisans du suffrage féminin, y compris des militantes comme Lucretia Mott, sont issus du mouvement abolitionniste. Ils considéraient le suffrage comme une question de justice divine et de droits de l'homme», expose la journaliste. D'autres femmes considéraient le droit de vote non seulement comme une question politique et sociale, mais aussi comme une question morale, tout comme leurs opposantes, d’ailleurs. «Le mouvement pour gagner des voix verra de nombreux ecclésiastiques des deux côtés, et ils utiliseront de la même façon des arguments bibliques pour renforcer leur camp», poursuit Elaine Weiss, qui a noté que de nombreuses confessions, notamment méthodistes, presbytériennes et catholiques, étaient divisées sur la question du vote.
Le suffrage des femmes était également une question qui divisait le clergé juif. Le rabbin réformiste Stephen S. Wise a parcouru le pays pour donner des conférences en faveur du droit de vote des femmes, relève l’auteure. Ce dernier, qui était à l'époque rabbin à la synagogue libre de New York, a d’ailleurs été membre fondateur de la Men's League for Women's Suffrage, société formée précisément dans le but de promouvoir cette cause.
«Stephen S. Wise a d’ailleurs dû se confronter violemment à un rabbin (Joseph Silverman, ndlr) du Temple Emanu-El, une grande synagogue de Manhattan», poursuit la journaliste. «Ils se sont disputés sur ce sujet pendant des années, chacun donnant sa propre interprétation religieuse.»
L'une des icônes du mouvement pour le suffrage féminin était Anna Howard Shaw, médecin et ministre qui devint présidente de la National American Woman Suffrage Association et la dirigea de 1904 à 1915. Elle mourut en 1919, avant que l'amendement soit ratifié.
Erin Sears, étudiante de deuxième année à la Candler School of Theology, a étudié cette figure à l'université. Jusque-là, elle n’avait jamais vraiment réalisé, confie-t-elle, que la foi avait joué un rôle dans cette lutte. «Il est très important que les femmes sachent que d'autres femmes les ont soutenues pendant des années et des années dans leur combat pour être traitées équitablement. En tant que femme en quête d'ordination, c'est vraiment une leçon d’humilité et inspirant de s’inscrire dans une lignée de femmes qui mettent leur foi en action», exprime-t-elle. «C'est un témoignage que la foi va au-delà des églises et que nous nous répandons dans le monde.»
D'autres partisans ont été entraînés dans la bataille pour le droit de vote des femmes dans le cadre du mouvement de tempérance dirigé par l'éducatrice et réformatrice sociale évangélique Frances Willard. En 1879, lorsque cette méthodiste est devenue présidente de la Women's Christian Temperance Union, elle a commencé à positionner le changement social comme une vertu domestique, explique l'historienne Kristin Du Mez du Calvin College. Pour les femmes touchées par la consommation d'alcool de leur mari, impuissantes à protéger leurs propres enfants, le vote est devenu un moyen d'acquérir le pouvoir politique et de faire le bien en même temps.
«Frances Willard attire stratégiquement de plus en plus de femmes dans l'activisme en faveur des droits des femmes, avec prudence et de façon progressive», raconte l’historienne. «Les femmes et les mères devaient voter. C'est le devoir d'une bonne chrétienne de voter. Ils devaient voter pour protéger leur famille.»
A la fin du XIXe siècle, formule encore Kristin Du Mez, le suffrage était devenu une cause respectable dans laquelle les femmes chrétiennes pouvaient s'engager.
Parallèlement, ceux qui se sont opposés à la campagne électorale ont amplifié leur propre rhétorique religieuse, relève Elaine Weiss. Ils «utilisent la religion comme un gourdin pour battre le mouvement pour le droit de vote», écrit-elle. «Si les femmes votent, la santé morale de la nation sera en danger.»
Utilisant des arguments basés sur des textes bibliques et accusant les suffragettes d'être immorales, les opposants proclament que la soumission d'Eve à Adam dans la Genèse était divinement ordonnée, poursuit l’auteure.
Les femmes afro-américaines comme Frances Ellen Watkins Harper, Mary Church Terrell et Harriet Forten Purvis étaient aussi profondément impliquées dans le suffrage féminin, mais elles ne sont pas aussi bien connues.
«Susan B. Anthony et Elizabeth Cady Stanton croyaient que les femmes blanches devraient avoir le droit de vote avant les hommes noirs» , s’est insurgé la révérende épiscopale Kelly Brown Douglas, doyennne de l'École épiscopale de l’Union theological Seminary . «C'est une question de race, de femmes blanches qui ont le sentiment d'avoir une prérogative et un privilège sur les Noirs.»
La journaliste en convient. «Le 19e amendement était daltonien», a-t-elle formulé, ajoutant que les suffragistes de premier plan avaient le sentiment qu'elles devaient tendre la main aux racistes blancs pour obtenir leurs voix. «Mais la façon dont il a été mise en œuvre ne l'était pas.»
Tout comme pour l'abolitionnisme, la campagne pour obtenir le vote des hommes noirs et celui des femmes a toujours été enraciné dans la communauté de foi noire, poursuit la révérende: il a été défini par la recherche de justice raciale, rejetant le récit chrétien des esclavagistes blancs. De l’autre côté, ajoute la journaliste, le rôle des Églises américaines blanches et de sa propre communauté (juive, ndlr.) a été plus compliqué: tantôt en faveur de la justice raciale, tantôt en faveur des privilèges structurels qui accompagnent le fait d'être blanche en Amérique.
Que peut-on tirer dès lors de ce moment historique? «Cet anniversaire peut devenir un catalyseur pour réfléchir sur l'histoire et la résolution d'agir pour remédier aux injustices raciales qui affligent encore l'Amérique d'aujourd'hui», suggère Kelly Brown Douglas . Et d’ajouter: «Je pense que la repentance est toujours due. Les Églises doivent dire la vérité sur leur propre histoire et se demander qui nous avons été et qui nous sommes dans la lutte pour la justice sociale et raciale.»