L’annexion de la Cisjordanie, cet horizon si proche soudain
Dans l’avion du retour, tout le monde exultait. La signature lundi par le président américain Donald Trump d’un document reconnaissant la souveraineté israélienne sur le Golan a mis en joie la délégation israélienne revenue de Washington, où elle escortait le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Le texte précise que cette région a été prise aux Syriens pour se défendre de menaces extérieures lors de la guerre des Six Jours de juin 1967 qui a vu la victoire de l’État hébreu face à l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban. En d’autres mots: tant pis pour les perdants!
Le Golan offert sur un plateau, voilà une «victoire historique» pour l’État hébreu comme l’a qualifiée Netanyahou, mais aussi un cadeau électoral appréciable. En effet, les Israéliens ont toujours soutenu massivement la reconnaissance de leur souveraineté sur cette zone tampon située au nord d’Israël et servant de frontière avec la Jordanie, la Syrie et le Liban. Ce territoire revêt une importance militaire cruciale. «Le Golan a toujours été un lieu stratégique essentiel. Aujourd’hui, les Syriens contrôlent 93% des 150 kilomètres du Mont Hermon ceinturant ce plateau; ils peuvent voir Israël comme dans la paume de leur main, et le Hezbollah et l’Iran tentent de s’y installer pour mieux attaquer l’État hébreu», précise Stéphane Cohen, officier de liaison au commandement nord de l’armée israélienne et cofondateur de NorthStar, société de consulting en géostratégie et sécurité nationale. Ainsi, en signant l’acte de reconnaissance, «Trump, gonflé à l’hélium par les conclusions du rapport Mueller, vote Netanyahou» relève avec humour une source proche du dossier.
Mais au-delà du jeu électoral israélien, l’annonce pèse de tout son poids sur le destin d’un territoire particulier: la Cisjordanie. Il n’a été question que d’elle dans l’avion qui ramenait les politiciens israéliens à Tel-Aviv. «On a toujours entendu qu’il était impossible de garder un territoire occupé, mais ce qui vient de se passer prouve le contraire. S’il a été occupé lors d’une guerre défensive, il est à nous», ont-ils jubilé, selon les propos d’un haut responsable israélien au quotidien Haaretz.
«Si la souveraineté israélienne sur une terre syrienne est reconnue, pourquoi n’en irait-il pas de même sur un territoire qui n’est pas revendiqué par un État?», s’interroge un expert qui préfère rester anonyme. Il estime que le projet d’un gouvernement tenu par Netanyahou, s’il est réélu, serait de «laisser une forme d’autonomie aux Palestiniens dans le chapelet de villes qui s’étale du nord au sud de la Cisjordanie et asseoir la souveraineté israélienne sur le reste».
Annexer la Cisjordanie, voilà une idée qui fait son chemin en Israël, 25 ans après les Accords d’Oslo. Ainsi, 42% des Israéliens la soutiennent contre 28% qui s’y opposent et 30% d’indécis, selon un sondage réalisé par le quotidien de gauche Haaretz. Auteur d’un livre, «Le grand secret d’Israël», dans lequel il fait l’hypothèse qu’il n’y a pas d’autre solution, le journaliste Stéphane Amar donne trois arguments dans ce sens. «Après 52 ans d’une colonisation pensée pour couper toute continuité territoriale palestinienne, toute séparation est devenue physiquement impossible. Ensuite, elle ne satisferait personne: chacun des peuples convoite ce qui se trouve de l’autre côté de la ligne d’armistice. Les Palestiniens rêvent des villes côtières israéliennes et les Israéliens, des sites bibliques de Cisjordanie. Enfin, l’expansion démographique crée les conditions pour une annexion. Les Israéliens dont 80% vivent coincés dans un espace de 100 km autour de Tel-Aviv ont besoin d’agrandir leur territoire», affirme-t-il.
La démographie distingue clairement l’occupation israélienne du Golan et de la Cisjordanie. Tandis que le premier compte 40'000 habitants, tous Israéliens, et a été très peu colonisé, 2,88 millions de Palestiniens et quasi 450'000 colons israéliens (chiffres 2018) vivent dans la deuxième.
Israël pourra-t-il rester un État juif en intégrant cette population, sans compter les problèmes sécuritaires que cela pose? Et les Palestiniens, seront-ils d’accord de vivre dans un État juif? Autant de questions que balaie Stéphane Amar: «Israël est parfaitement capable d’intégrer des citoyens non-juifs, on le voit avec les Arabes israéliens. De toute façon, il n’y a pas le choix: on ne peut pas maintenir pour toujours un peuple sous apartheid!»
Enterrer le rêve palestinien d’un État, voilà ce à quoi travaillent les Américains depuis plusieurs mois, selon un analyste qui énumère: «ils n’ont plus de contact avec l’Autorité palestinienne, ont coupé toutes les ressources qu’ils lui octroyaient — si ce n’est en matière de sécurité, sur demande des Israéliens — ont fusionné le bureau de Jérusalem chargé des affaires palestiniennes à l’ambassade… Si les Américains voulaient démanteler un projet national, ils ne feraient pas autrement!»
Serait-ce l’heure d’un éloge funèbre pour la solution à deux États? «Vous allez un peu vite en besogne», s’agace Colette Avital. Ancienne membre de la Knesset, cette ambassadrice de carrière qui a connu Itzhak Rabin et œuvré aux Accords de Genève estime qu’il faut attendre de voir ce que l’équipe de Trump qui prépare un accord de paix sortira de son chapeau. «Et par accord de paix, on entend qu’il y a deux parties et non une qui s’impose à l’autre!»
Elle qui a été de tous les rebondissements de la vie politique israélienne lors des dernières cinquante années appelle à voir le problème globalement. «Personne n’a jamais proposé d’alternative crédible aux deux États. Nous y arriverons donc un jour, mais comment et par qui ? L’histoire de la paix entre Israéliens et Palestiniens comporte tant d’erreurs, d’occasions manquées», déplore-t-elle. Celle du pouvoir n’en rate en revanche jamais aucune, comme on pouvait le lire lundi matin dans les sourires triomphants autour du bureau ovale de la Maison Blanche.