Pourquoi les évangéliques soutiennent-ils Trump?
«Parmi les personnes qui se sont battues pour nous, nous n’en avons aimé aucune plus que Donald Trump.» Cette déclaration a été faite fin juin 2019 par Ralph Reed, fondateur du think tank américain Faith and Freedom Coalition, un groupe d’influence politique composé majoritairement d’évangéliques.
Pour Peter Wehner, cette déclaration est emblématique de la popularité indéfectible du président dans cette frange de la population. Dans une colonne publiée le 5 juillet 2019 dans le mensuel de Boston The Atlantic, l’écrivain et observateur politique estime qu’il s’agit de «l’un des développements les plus significatifs de l’ère Trump». Peter Wehner, lui-même proche des milieux conservateurs américains, se pose ainsi la question: «Comment se fait-il qu’un groupe qui, pendant des décennies – et plus spécialement durant la présidence Clinton – a insisté sur l’importance de la personnalité et de l’intégrité morale des élus, ne passe pas seulement sous silence ses transgressions morales et éthiques, mais également le défende constamment?»
Un sondage émis début 2019 note en effet que 70% des évangéliques blancs qui se rendent au culte au moins une fois par semaine soutiennent le président en fonction. Un constat étonnant face à un Donald Trump qui a accumulé, au cours de sa carrière, les scandales sexuels. En tout, ce sont 19 femmes, dont des actrices pornos et d’anciennes Miss, qui l’accusent de contraintes ou de vouloir les réduire au silence pour taire une liaison. Il est établi que l’un des ex-avocats du président a payé en 2016 la somme de 130’000 dollars à l’actrice porno Stormy Daniels, en échange de son silence sur la relation qu’elle entretenait avec le politicien.
Outre la morale sexuelle, l’éthique comportementale du président a souvent été mise à mal. Au-delà des nombreuses affaires de subornations et d’interventions inappropriées dans certains dossiers, il est démontré que Donald Trump n’est pas très à cheval sur la vertu de vérité. En avril 2019, le quotidien Washington Post a estimé que Donald Trump avait diffusé, depuis le début de son mandat, plus de 10’000 nouvelles ou annonces fausses ou trompeuses, les fameuses «fake news» du président.
Face à ce comportement moral douteux, l’étonnante indulgence des évangéliques aurait plusieurs explications. Peter Wehner considère tout d’abord que les évangéliques se considèrent comme engagés dans une «lutte existentielle» contre un «ennemi pervers». Un adversaire qui n’est pas la Russie, ni l’Iran ni la Corée du Nord. Peter Wehner met d’ailleurs en avant l’absence de critique des milieux évangéliques contre les louanges faites par Donald Trump au leader nord-coréen Kim Jong Un, dont le régime est l’un des plus actifs dans la persécution des chrétiens.
Ainsi «l’ennemi existentiel» désigné par les évangéliques serait plutôt la gauche et les libéraux américains. L’essayiste remarque le caractère souvent extrême et virulent des interventions des milieux pro-Trump contre ces groupes. Durant la campagne présidentielle de 2016, le télévangéliste Eric Metaxas affirmait: «La seule autre fois où nous avons été confrontés à une lutte existentielle, c’était pendant la Guerre civile (de Sécession) et la Guerre d’indépendance.»
Selon Peter Wehner, beaucoup d’évangéliques ressentent également de l’amertume et du ressentiment «parce qu’ils estiment avoir été humiliés, méprisés et déshonorés pendant de longues années par l’élite culturelle». Pour les Américains dans cet état d’esprit, Donald Trump n’est ainsi pas uniquement celui qui soutiendra leur agenda, mais quelqu’un qui peut se montrer «sans merci contre ceux qui menacent tout ce qu’ils connaissent et aiment». Le style souvent outrancier de Donald Trump face à ses adversaires serait en cela plus un atout qu’un désavantage.
Peter Wehner, lui-même de confession presbytérienne, dénonce dans son texte «la flagrante hypocrisie» qui règne dans les mouvements évangéliques concernant les positions envers Trump. L’essayiste, qui a servi dans trois gouvernements conservateurs (Ronald Reagan, George Bush, George W. Bush), note que ces phénomènes inquiètent également de nombreux chrétiens. Il cite l’influent pasteur protestant Karel Coppock, qui déplore l’effet de ce «spectacle d’horreur morale» pour les jeunes. «Nous sommes en train de perdre une génération entière. C’est l’une des pires choses qui soient arrivées à l’Église (protestante, ndlr.).»
Pour Peter Wehner, cette collusion entre un pouvoir immoral et les évangéliques nuit à l’ensemble de la chrétienté aux États-Unis. «Si les disciples de Jésus ne daignent pas dire la vérité au pouvoir et préfèrent se comporter comme des prêtres de cour, la crise de la chrétienté américaine va seulement s’aggraver, son témoignage dans la société va s’amoindrir et ses efforts pour être un agent de guérison dans un monde abîmé vont s’affaiblir.»