Un entrepreneur commercialise de la viande interreligieuse
Après la dernière vague d'attaques contre des lieux de culte à Poway, en Californie, au Sri Lanka, en Nouvelle-Zélande et à Pittsburgh, Mohammad Modarres a ressenti le besoin de faire quelque chose au sein même de son entreprise, Abe's Eats. Cet entrepreneur irano-américain cherche à unir les communautés musulmane et juive en produisant des viandes qui répondent aux lois alimentaires les plus strictes des deux religions. Il espère que son entreprise va aider les communautés musulmane et juive, souvent considérées comme opposées, à combattre la montée du sectarisme et des crimes haineux.
Pour s'assurer que la viande atteigne le plus haut standard halal et casher, le processus de boucherie est supervisé par un Shokhet, ou abatteur casher, et son équivalent musulman qui fait une prière au moment du sacrifice de l’animal. Avant de fonder Abe's Eats, Mohammad Modarres, lui-même musulman, a créé Interfaith Ventures, un organisme sans but lucratif qui organise des dîners interconfessionnels le vendredi soir, connus dans tout le pays sous le nom de Shabbat Salaam.
Les attaques de synagogues et de mosquées s'inscrivent dans le cadre d'une forte augmentation des crimes haineux antisémites et islamophobes. Un rapport du FBI de 2017 a montré qu'aux États-Unis, ce genre de crimes avaient augmenté pour la troisième année consécutive, avec une hausse de près de 23% des crimes haineux à caractère religieux et de 37% des crimes haineux antisémites seulement.
«Lorsqu'une communauté d'immigrants bien établie aide une autre communauté à mieux s'intégrer, cela signifie que nous devenons tous plus forts», a affirmé Mohammad Modarres à la fin d'une conférence qu'il avait donnée l’année passée et qui s’intitulait «Comment bâtir une table plus inclusive».
Mohammad Modarres n'a pas tardé à remarquer qu’Abe's Eats n'est pas seulement une entreprise de viande. «Nous utilisons quelque chose d'aussi tangible que la nourriture pour normaliser notre diversité religieuse. La viande est l'un des aliments les plus complexes à produire en vertu des lois diététiques casher et halal, j'ai donc commencé par là.»
«En ces temps tumultueux, c’est vraiment important de créer des ponts», a relevé James Chambers, directeur exécutif de la Halal Food Standards Alliance of America. Il a ajouté être intrigué par le concept des aliments d'Abe's Eats, soulignant que la production de viande halal et casher était un processus complexe. Il s'est dit préoccupé par le fait qu’Abe's Eats ne ferait pas de la compréhension interconfessionnelle une priorité se focalisant sur les questions d’abattage.
Au cours des dernières années, Mohammad Modarres a travaillé avec des mashgiachs (superviseurs casher), des experts halal, des imams, des rabbins et des agriculteurs durables pour créer un produit qui, selon lui, favorisera l'inclusion et comblera les divisions religieuses par le biais de la nourriture.
«L'idée est née lorsque j'ai invité mes amis musulmans et juifs à des dîners Shabbat Salaam en Californie, il y a deux ans. Nous y avons discuté de la manière dont nous allions nous attaquer à la dernière vague de sectarisme religieux», a raconté Mohammad Modarres. «J'ai trouvé fascinant que même si nous nous réunissions à ces événements pour célébrer nos points communs, nous nous dissociions toujours sur nos habitudes alimentaires.»
Fin 2017, Mohammad Modarres a organisé un rassemblement interconfessionnel en plein air à Times Square, attirant 600 personnes qui ont allumé des bougies de shabbat et célébré la diversité religieuse. Ce succès l’a inspiré à produire des aliments religieux de haute qualité qui ne se limitent pas à une seule communauté religieuse.
Abe's Eats a aussi un modèle d'affaires solide. Avec l'industrie des aliments casher et halal estimée à 38 milliards de dollars rien qu'aux États-Unis, l'entreprise sera en mesure de servir «de multiples communautés religieuses tout en permettant aux juifs et aux musulmans de manger dans la même assiette». Par ailleurs, 85% des aliments casher et halal sont achetés par des Américains qui n'ont aucune affiliation ni avec le judaïsme ni avec l'islam. «Le potentiel de consommation de cette viande est énorme et elle est produite selon des normes élevées.»
«La demande d'aliments d'origine durable qui ne se trouvent pas dans l'agriculture industrielle ne cesse de croître», a ajouté Mohammad Modarres, c'est pourquoi son entreprise promet aux consommateurs soucieux de l'environnement une viande 100% biologique produite par des éleveurs américains.
Cet été, il lancera une campagne de financement participatif en utilisant le hashtag #UnityInDiversity, qui selon lui est conçu pour «montrer au monde que derrière la couleur de notre peau et les stéréotypes de nos convictions religieuses ou culturelles, il existe des rêves et des passions qui peuvent avoir un impact humain». Mohammad Modarres estime que cette campagne permettra également de prouver que l'identification aux communautés islamiques et juives peut résister aux attaques contre les communautés religieuses.
Jonathan Harounoff, New York, RNS/Protestinter