Eglises évangéliques et sectes: Une confusion empoisonnante
Les Eglises évangéliques véhiculent une réputation en demi-teinte et se trouvent parfois qualifiées de sectes
Ce jugement infondé a son origine dans les relations longtemps tumultueuses avec les Eglises officielles,les excès de quelques illuminés échappant à tout contrôle et un relatif éloignement du monde profane. Le préjugé sectaire demeure aujourd'hui encore, malgré l'engagement dans la dynamique œcuménique qui amène les Eglises évangéliques à se rapprocher des Eglises réformées traditionnelles. Généalogie d'une mauvaise réputation."Il arrive qu'on nous traite de sectes", indique Jean-Claude Barbezat, président de la Fédération des Eglises évangéliques libres (FEEL). "Beaucoup de membres de l'Eglise protestante officielle regardent les Eglises évangéliques comme des sectes", souligne Gabriel Mützenberg, historien et président jusqu'en 1999 de la Société évangélique de Genève. Cet amalgame infondé, les membres des quelque 140 Eglises évangéliques actives en Suisse romande – soit la troisième force chrétienne du pays - l'ont entendu des dizaines de fois. A l'instar des sectes, troubleraient-elles l'ordre public? Seraient-elles dangereuses pour leurs membres? Pas du tout! Leur activité est en tous points comparable à celles des Eglises officielles avec lesquelles elles collaborent de plus en plus étroitement. Malgré cela, le préjugé sectaire perdure. Le manque d'information en est une des causes, mais il convient aussi de compter avec une mentalité anti-évangélique qui puise ses racines autant dans l'histoire que dans la méfiance à l'égard de formes de culte différentes et plus émotionnelles, en décalage avec la foi tranquille de la majorité des chrétiens fréquentant encore les cultes des Eglises historiques.
§Indépendantes de l'EtatC'est au début du 19e siècle que s'est déclarée l'hostilité à l'égard des Eglises évangéliques. On acceptait mal leur volonté de rester indépendantes de l'Etat. Pour elles, il en allait de la sauvegarde d'une foi solide et cohérente, gage d'une identité chrétienne au plus près des Ecritures. Cette prise de distance leur valut d'être persécutées dans plusieurs régions de Suisse romande, à l'exemple de l'Armée du Salut dont les réunions étaient interdites. "Le côté militaire et théâtral des Salutistes, le fait que des femmes prêchaient, la forme des réunions où l'on chantait en tapant dans les mains, choquaient la mentalité de l'époque", note l'historien Gabriel Mützenberg.
Confrontées à l'intolérance, les Eglises évangéliques se sont repliées sur elles-mêmes et ont limité leur contact avec la société civile. Eloignées du monde profane, elles ont éveillé la suspicion avec d'autant plus de facilité qu'elles affirmaient avec une force inhabituelle leur foi. Exaltés, voire excentriques aux yeux de beaucoup, c'est naturellement qu'on leur colla par la suite l'étiquette de sectes.
§Jean-Michel et ses disciplesLa réputation des communautés évangéliques va grandement pâtir du scandale déclenché au milieu des années 1970 par Jean-Michel Cravanzola. Personnage charismatique et talentueux, Cravanzola réussit à s'attacher entre 1971 et 1977 plusieurs centaines de disciples. Bien que n'appartenant nullement à la mouvance évangélique, un fâcheux amalgame s'est produit. Grand orateur, doté d'une foi communicative, il exige de ses fidèles un dévouement absolu. Ils doivent rompre toute attache avec leur famille et amis et se consacrer exclusivement à l'essor de la communauté à laquelle ils abandonnent tous leurs biens: "J'étais présent à l'une de ses réunions, se souvient Paul Ranc, écrivain et intervenant occasionnel auprès de la commission romande sur les dérives sectaires. Trouvant que la collecte était insuffisante, Cravanzola a ordonné aux gens de vider leurs poches". Multipliant les achats de terrain et de maisons, Cravanzola est finalement déféré devant le Tribunal correctionnel de Lausanne et condamné en 1979 pour escroquerie au cours d'un procès largement médiatisé. Par provocation, il arrive en Rolls Royce au tribunal.: "Cravanzola a incontestablement terni l'image de l'ensemble des communautés évangéliques", poursuit Paul Ranc. "Il est vrai que l'amalgame avec les sectes a été facilité par l'existence au sein des Eglises évangéliques d'un courant fondamentaliste ultra-minoritaire, mais dont les excès attirent l'attention des médias".
§ManipulationFacteur supplémentaire de suspicion, l'habitude des communautés évangéliques d'organiser de grands rassemblements afin de vivre intensément la présence de Dieu lors de cultes à grande échelle. Dans une Suisse où l'on goûte peu au spectaculaire, on ne manque pas de remarquer que des orateurs parfois peu scrupuleux – souvent venus de l'étranger - cherchent à prendre le contrôle de la foule et l'amener à agir d'une manière déterminée, soi-disant voulue par l'Esprit Saint. Plus d'une fois, des séances de miracles, d'exorcisme, de prophéties ou de guérisons ont tourné à l'hystérie collective : "On a vu en Suisse romande des choses délirantes, proches de la manipulation, indique Shafique Keshavjee, pasteur et bon connaisseur des mouvements charismatiques dont il apprécie la ferveur. "L'orateur faisait pression sur l'assistance pour qu'elle entre en dans un état second, pleure, voire tombe par terre. Ces phénomènes, inacceptables, ont jeté un discrédit certain sur d'autres expériences charismatiques, parfois fort belles". "Il y a eu des dérapages, souligne Roland Ostertag, pasteur d'une Eglise évangélique de l'ouest lausannois et représentant des Eglises évangéliques dans les relations interconfessionnelles en terre vaudoise. Certains cultes n'avaient plus un déroulement cohérent et devenaient une espèce de musique sans fin. A tort, certains évangélistes veulent imposer un comportement standard à toute une foule. C'est oublier que L'Esprit Saint se manifeste chez chacun de façon différente, par des manifestations de joie, des pleurs, éventuellement des réactions du corps touché par l'émotion, ou dans le plus grand calme".
§Jeter des pontsLe cliché sectaire qui plonge ses racines dans le 19e siècle demeure d'actualité, alors même qu'une grande diversité d'opinion traverse les Eglises évangéliques et que leurs membres sont parfaitement intégrés à la société: "Beaucoup de gens ne sont pas prêts à reconnaître que nous sommes des Eglises sérieuses, note Roland Ostertag. Nos pasteurs suivent dans la plupart des cas une formation de six ans, trois dans une école, trois dans la pratique. Par ailleurs, pour faire partie de la Fédération romande d'Eglises et œuvres évangéliques (FREOE), il faut répondre à des critères de transparence financière et adopter un fonctionnement démocratique, avec diverses instances de contrôle. Les Eglises qui s'écartent de ce modèle peuvent être exclues de la FREOE".
Sur le plan œcuménique, les Eglises évangéliques se sont considérablement rapprochées des Eglises officielles. Une déclaration commune a d'ailleurs été signée par le Conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) et de la Fédération romande d'Eglises et œuvres évangéliques (FREOE) en 1998, et est sur le point d'être ratifiée par les Assemblées générales respectives: "Nous représentons la 3e force chrétienne de Suisse. Tout en gardant notre identité, nous cherchons la proximité et la communion avec d'autres Eglises", signale Roland Ostertag, membre du Conseil de la FREOE.
Dans l'espoir d'en finir un jour avec la confusion entre Eglises évangéliques et sectes, Paul Ranc salue la mise sur pied à Genève de l'Observatoire sur les sectes voulue par le Conseil d'Etat. "L'Observatoire pourra dénoncer les méthodes financières abusives. De cette manière, il n'y aura plus d'impunité pour les moutons noirs de la mouvance évangélique, et l'immense majorité qui est honnête n'aura plus à pâtir de quelques dérapages".
§Indépendantes de l'EtatC'est au début du 19e siècle que s'est déclarée l'hostilité à l'égard des Eglises évangéliques. On acceptait mal leur volonté de rester indépendantes de l'Etat. Pour elles, il en allait de la sauvegarde d'une foi solide et cohérente, gage d'une identité chrétienne au plus près des Ecritures. Cette prise de distance leur valut d'être persécutées dans plusieurs régions de Suisse romande, à l'exemple de l'Armée du Salut dont les réunions étaient interdites. "Le côté militaire et théâtral des Salutistes, le fait que des femmes prêchaient, la forme des réunions où l'on chantait en tapant dans les mains, choquaient la mentalité de l'époque", note l'historien Gabriel Mützenberg.
Confrontées à l'intolérance, les Eglises évangéliques se sont repliées sur elles-mêmes et ont limité leur contact avec la société civile. Eloignées du monde profane, elles ont éveillé la suspicion avec d'autant plus de facilité qu'elles affirmaient avec une force inhabituelle leur foi. Exaltés, voire excentriques aux yeux de beaucoup, c'est naturellement qu'on leur colla par la suite l'étiquette de sectes.
§Jean-Michel et ses disciplesLa réputation des communautés évangéliques va grandement pâtir du scandale déclenché au milieu des années 1970 par Jean-Michel Cravanzola. Personnage charismatique et talentueux, Cravanzola réussit à s'attacher entre 1971 et 1977 plusieurs centaines de disciples. Bien que n'appartenant nullement à la mouvance évangélique, un fâcheux amalgame s'est produit. Grand orateur, doté d'une foi communicative, il exige de ses fidèles un dévouement absolu. Ils doivent rompre toute attache avec leur famille et amis et se consacrer exclusivement à l'essor de la communauté à laquelle ils abandonnent tous leurs biens: "J'étais présent à l'une de ses réunions, se souvient Paul Ranc, écrivain et intervenant occasionnel auprès de la commission romande sur les dérives sectaires. Trouvant que la collecte était insuffisante, Cravanzola a ordonné aux gens de vider leurs poches". Multipliant les achats de terrain et de maisons, Cravanzola est finalement déféré devant le Tribunal correctionnel de Lausanne et condamné en 1979 pour escroquerie au cours d'un procès largement médiatisé. Par provocation, il arrive en Rolls Royce au tribunal.: "Cravanzola a incontestablement terni l'image de l'ensemble des communautés évangéliques", poursuit Paul Ranc. "Il est vrai que l'amalgame avec les sectes a été facilité par l'existence au sein des Eglises évangéliques d'un courant fondamentaliste ultra-minoritaire, mais dont les excès attirent l'attention des médias".
§ManipulationFacteur supplémentaire de suspicion, l'habitude des communautés évangéliques d'organiser de grands rassemblements afin de vivre intensément la présence de Dieu lors de cultes à grande échelle. Dans une Suisse où l'on goûte peu au spectaculaire, on ne manque pas de remarquer que des orateurs parfois peu scrupuleux – souvent venus de l'étranger - cherchent à prendre le contrôle de la foule et l'amener à agir d'une manière déterminée, soi-disant voulue par l'Esprit Saint. Plus d'une fois, des séances de miracles, d'exorcisme, de prophéties ou de guérisons ont tourné à l'hystérie collective : "On a vu en Suisse romande des choses délirantes, proches de la manipulation, indique Shafique Keshavjee, pasteur et bon connaisseur des mouvements charismatiques dont il apprécie la ferveur. "L'orateur faisait pression sur l'assistance pour qu'elle entre en dans un état second, pleure, voire tombe par terre. Ces phénomènes, inacceptables, ont jeté un discrédit certain sur d'autres expériences charismatiques, parfois fort belles". "Il y a eu des dérapages, souligne Roland Ostertag, pasteur d'une Eglise évangélique de l'ouest lausannois et représentant des Eglises évangéliques dans les relations interconfessionnelles en terre vaudoise. Certains cultes n'avaient plus un déroulement cohérent et devenaient une espèce de musique sans fin. A tort, certains évangélistes veulent imposer un comportement standard à toute une foule. C'est oublier que L'Esprit Saint se manifeste chez chacun de façon différente, par des manifestations de joie, des pleurs, éventuellement des réactions du corps touché par l'émotion, ou dans le plus grand calme".
§Jeter des pontsLe cliché sectaire qui plonge ses racines dans le 19e siècle demeure d'actualité, alors même qu'une grande diversité d'opinion traverse les Eglises évangéliques et que leurs membres sont parfaitement intégrés à la société: "Beaucoup de gens ne sont pas prêts à reconnaître que nous sommes des Eglises sérieuses, note Roland Ostertag. Nos pasteurs suivent dans la plupart des cas une formation de six ans, trois dans une école, trois dans la pratique. Par ailleurs, pour faire partie de la Fédération romande d'Eglises et œuvres évangéliques (FREOE), il faut répondre à des critères de transparence financière et adopter un fonctionnement démocratique, avec diverses instances de contrôle. Les Eglises qui s'écartent de ce modèle peuvent être exclues de la FREOE".
Sur le plan œcuménique, les Eglises évangéliques se sont considérablement rapprochées des Eglises officielles. Une déclaration commune a d'ailleurs été signée par le Conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) et de la Fédération romande d'Eglises et œuvres évangéliques (FREOE) en 1998, et est sur le point d'être ratifiée par les Assemblées générales respectives: "Nous représentons la 3e force chrétienne de Suisse. Tout en gardant notre identité, nous cherchons la proximité et la communion avec d'autres Eglises", signale Roland Ostertag, membre du Conseil de la FREOE.
Dans l'espoir d'en finir un jour avec la confusion entre Eglises évangéliques et sectes, Paul Ranc salue la mise sur pied à Genève de l'Observatoire sur les sectes voulue par le Conseil d'Etat. "L'Observatoire pourra dénoncer les méthodes financières abusives. De cette manière, il n'y aura plus d'impunité pour les moutons noirs de la mouvance évangélique, et l'immense majorité qui est honnête n'aura plus à pâtir de quelques dérapages".