EPER: le loup dans la bergerie

EPER: le loup dans la bergerie

Un directeur de Nestlé est entré au Conseil de fondation de l’Entraide protestante suisse (EPER)
Cette nomination suscite des remous dans les Eglises réformées. Certains craignent que l’EPER perde sa voix critique à l’égard des déséquilibres sociaux et économiques. L’engagement de personnalités de l’économie au sein d’organismes proches des Eglises pose problème.L’EPER va-t-elle devenir une œuvre de bienfaisance inoffensive? Faut-il se contenter de récolter de l’argent pour aider les populations en difficulté, mais s’abstenir de proposer des changements de société? C’est le souci que répercute une pétition qui dénonce un "discret changement de cap" de la principale œuvre d’entraide des Eglises réformées.
nEmmené par le professeur de théologie Pierre Bühler et quelques personnalités bernoises, ce comité "pour une EPER politiquement engagée et prophétique"* souhaite que l’institution maintienne son profil critique: "Pour être crédible dans l’aide au développement, l’EPER doit réfléchir et s’exprimer sur les rapports de force qui existent dans le monde, sur les enjeux politiques qui sous-tendent ces réalités. On ne peut pas se contenter de panser les plaies… sans proposer d’autres manières d’agir."
nLe théologien neuchâtelois pose la question des valeurs: "L’EPER et Nestlé s’engagent sur le même terrain, mais avec des finalités très opposées. Pour l’EPER, les travailleurs de l’hémisphère Sud sont des partenaires qui doivent acquérir leur indépendance. Pour Nestlé, ce sont des producteurs appelés à soutenir le succès commercial de l’entreprise. Et la multinationale espère qu’à terme, ils deviendront consommateurs de ses propres produits."
nLa gestion de l’eau, le commerce équitable… autant de sujets brûlants pour l’EPER, qui entreraient en contradiction avec la politique de Nestlé? Claude Ruey, président de l’EPER, reconnaît que l’aide au développement et l’activité économique ne sont pas semblables, "sans être automatiquement contradictoires, précise-t-il, sauf à considérer que toute activité économique est par principe dommageable."Moon à la VPnIl n’y aurait donc pas d’incompatibilité à avoir le directeur d’une grande entreprise dans un conseil de fondation. "Toute personne qui s’engage au Conseil de l’EPER en accepte les buts, la stratégie et les objectifs, qui sont d’ailleurs décidés collégialement", insiste Claude Ruey.
n"Il est possible de travailler pour une société, tout en gardant une position personnelle critique sur certains aspects de sa gestion", relève Pierre-André Lautenschlager. Cet ancien patron de PME préside le Conseil de fondation de DSR, une entreprise de restauration créée par la Croix bleue et les Unions chrétiennes. Il dirige aussi la fondation éditrice de la "vie protestante" (VP), le journal des églises réformées de Neuchâtel, Berne et Jura.
nA son avis, il serait bien sûr inconcevable d’avoir un membre de la secte Moon au Conseil de fondation du journal. Mais les représentants du monde de l’économie amènent beaucoup de compétences. "Sur les questions de gestion ou de marketing, on ne peut pas travailler qu’avec des pasteurs ou des assistants sociaux. L’essentiel étant que le Conseil soit équilibré." Voilà pourquoi il laisserait le bénéfice du doute à M. Decorvet:
n"S’il y a conflit d’intérêt entre l’EPER et Nestlé dans une discussion, il peut et doit se retirer de la séance. Et on peut toujours renoncer à le réélire si cela ne fonctionne pas." Claude Ruey garantit que ces règles sont appliquées par l’EPER qui est certifiée par le Code de bonne gouvernance des ONG suisses.
D’ailleurs, il assure que M. Decorvet pourrait signer sans difficulté la Déclaration œcuménique sur l’eau.
nLes Centres sociaux protestants (CSP) disposent aussi d’un comité qui décide des options stratégiques. Pierre Ammann, directeur du CSP Berne-Jura, reste sceptique au sujet de cette nomination: "Il serait exclu que nous sollicitions le directeur d’un grand groupe financier connu pour ses pratiques contestables dans le domaine du petit crédit, alors que nous sommes amenés à dénoncer ces mêmes pratiques."
nAutre exemple d’incompatibilité: solliciter un cigarettier pour administrer l’organe cantonal de prévention "Santé bernoise". D’autant que leur marketing vise à les faire passer pour des champions de la prévention. Claude Ruey explique le sens de sa démarche: "Nous devons sortir de nos cercles traditionnels pour rayonner bien au-delà, si nous voulons vraiment remplir notre mission au service des plus déshérités et des victimes d’injustices."
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Et si, à l’heure de la crise financière, on proposait à Pierre Bühler d’entrer comme éthicien dans le conseil d’administration d’une grande banque, histoire de remettre un peu de morale dans le business? "Pourquoi pas! Encore faudrait-il que je sois convaincu que l’établissement ait un véritable souci éthique. Sinon, je risquerais de n’être qu’un alibi. Il y a toujours le risque d’être instrumentalisé."
nPour l’EPER comme pour Nestlé, la question est posée. Claude Ruey se dit ouvert à la discussion: "Nous pouvons comprendre qu’il existe des sensibilités différentes, mais il s’agit aussi de juger l’arbre à ses fruits et non pas de céder à des préjugés ou à des condamnations hâtives.»"
nNOTE: Le groupe a édité une brochure "EPER-quo vadis ?" qui rassemble ses réflexions. 
Voir: www.eper-quo-vadis.ch