Chacun son Jésus

Chacun son Jésus

Alors que les chrétiens voient en Jésus le Messie tant attendu, que représente-t-il pour les autres religions? Vision périphérique de celui qui, du judaïsme au bouddhisme, est tantôt un simple humain, tantôt un être divin.

Pour les chrétiens, celui dont la naissance est fêtée à Noël est bien plus qu’une figure historique ou un prophète. Au cœur de leur foi, Jésus est reconnu comme le Messie venu sauver l’humanité. Pour François-Xavier Amherdt, prêtre catholique, Jésus est «le Verbe du Père fait chair». À la fois pleinement homme et pleinement Dieu, il est le centre de la Trinité, à savoir «le Fils entre le Père et le Saint-Esprit». Des affirmations que partage également la vision protestante exprimée par Bruno Gérard, pasteur de la cathédrale Saint-Pierre à Genève: «Fils de Dieu et Dieu lui-même, il nous dépasse», souligne-t-il. Pour lui, Jésus est un compagnon exigeant qui bouscule et interpelle: «Dans les Évangiles, il n’est jamais là où on l’attend. Il incarne à la fois l’amour et une certaine intransigeance, venant annoncer la grâce tout en exigeant un engagement profond». Si tous deux s’accordent sur sa «naissance virginale», le rôle de Marie, la mère du Christ, est un des points de différence entre protestants et catholiques. Comme le rappelle François-Xavier Amherdt, «Dieu a anticipé la mise au monde de Jésus par la Vierge Marie en faisant naître cette dernière par Immaculée conception». Un concept selon lequel Marie est née «sans intervention du péché originel», mais que la tradition protestante rejette car absent des textes bibliques. Toutefois, Jésus existe également pour les autres grandes religions, dont certaines d’entre elles lui reconnaissent bien une nature divine. Tour d’horizon.

Judaïsme

«Un Juif du 1er siècle»

Dans le judaïsme, Jésus n’occupe aucune place théologique. Comme le souligne Jacques Ehrenfreund, professeur titulaire d’histoire du judaïsme à l’Université de Lausanne, il est avant tout «un Juif du Ier siècle, vivant dans une société en crise sous domination romaine, où les tensions religieuses et sociales étaient importantes». Jésus s’inscrit parmi d’autres figures réformatrices de son époque, mais «sans accomplir les prophéties messianiques attendues par les textes juifs: la paix universelle, la fin des guerres, de l’injustice et de l’iniquité».

Comme le rappelle Jacques Ehrenfreund, «c’est surtout l’interprétation de Paul, faisant de Jésus le Christ et élargissant l’alliance divine à toute l’humanité (et non plus seulement avec le seul peuple juif, ndlr.), qui a marqué l’histoire juive». Cette lecture a engendré une rupture majeure entre judaïsme et christianisme. Pour le judaïsme traditionnel, en effet, l’aventure d’Israël se poursuit indépendamment de l’histoire de Jésus, toujours dans l’attente du Messie à venir.

Aujourd’hui toutefois, un courant minoritaire, les Juifs messianiques, «reconnaît Jésus comme Messie tout en revendiquant une identité juive». Ce phénomène, bien que marginal, «réactive des tensions entre judaïsme et christianisme», regrette-t-il.

Bouddhisme

«Une figure inspirante»

«Jésus est considéré, dans certaines traditions bouddhistes, notamment le bouddhisme Mahayana, comme une figure inspirante comparable à un Bodhisattva», formule Frédéric Richard, doctorant en sciences des religions à l’Université de Lausanne et spécialiste du bouddhisme. Ce terme désigne un être qui, par compassion, «renonce temporairement à l’éveil ultime – dernier stade de la sagesse bouddhiste – pour aider les autres à atteindre cette libération».

Dans cette perspective, «Jésus incarne des valeurs fondamentales partagées dans le bouddhisme: l’amour universel, le sacrifice pour autrui et la volonté de sauver les êtres». Ces similitudes avec la perception chrétienne de Jésus expliquent «l’intérêt que des figures comme le Dalaï-Lama manifestent pour lui, notamment dans un esprit de dialogue interreligieux».

Frédéric Richard mentionne aussi des hypothèses plus marginales, comme celle d’un syncrétisme ancien entre christianisme et bouddhisme ou l’idée que Jésus aurait voyagé en Inde, mais il les qualifie d’anecdotiques. Ce qui domine, selon lui, c’est «le respect des bouddhistes pour la dimension universelle et altruiste de son message».

Islam

«Le Souffle de Dieu»

«La tradition musulmane accorde à Jésus un statut particulièrement élevé», indique Wissam Halawi, professeur d’histoire de l’islam à l’Université de Lausanne. «Il est un prophète envoyé par Dieu, chargé de répandre une interprétation moins légaliste de la Torah. Bien que mortel, sa naissance virginale est considérée comme un miracle voulu par Dieu.» Et la crucifixion? «Selon le Coran, Dieu l’épargna d’un tel sort indigne de son statut en l’élevant auprès de Lui et en utilisant un sosie pour tromper ses bourreaux.»

Jésus incarne également un rôle majeur dans la fin des temps: «Son retour sur terre annonce l’apocalypse: il condamnera les juifs qui l’ont rejeté et les chrétiens qui l’ont divinisé», bien que ces accusations soient qualifiées d’«ahistoriques» par Wissam Halawi.

«Jésus a toujours été vénéré par les musulmans, qui voient en lui un modèle universel d’éthique» et ceux-ci le reconnaissent comme le «Souffle de Dieu insufflé à Marie». Cependant, la religion musulmane réfute les trois doctrines christologiques: «la Trinité, que l’islam assimile au polythéisme, l’Incarnation – incompatible avec le concept musulman d’unicité de Dieu – et la Rédemption: Jésus n’a pas été sacrifié sur la croix».

Libre-pensée

«Une création collective»

Pour Thierry Dewier, président de la Libre pensée romande (LBR), la figure de Jésus relève du «mythe». Il décrit ce personnage comme une «création collective», élaborée au fil des siècles pour répondre à des besoins religieux et institutionnels. «Pour nous, Jésus est un personnage fictif qui n’a jamais existé », affirme-t-il. «On pourrait sans doute trouver des hommes du nom de Jésus ayant vécu à la même époque, mais cela ne les rend pas miraculeux pour autant.»

Thierry Dewier souligne également l’absence de mentions de Jésus dans les écrits d’historiens contemporains à son «époque supposée», comme Sénèque ou Philon d’Alexandrie. «Cette absence est révélatrice, car les exploits extraordinaires attribués à Jésus auraient dû être largement documentés s’ils avaient été réellement vécus et vus par des contemporains.

Enfin, il rappelle que la fête de Noël, considérée comme la fête de la naissance de Jésus, est elle-même est une «récupération chrétienne», calée sur les Saturnales romaines, des célébrations agricoles d’avant l’apparition du christianisme. C’est en ce sens que Thierry Dewier avoue donc fêter Noël «en même temps que les chrétiens, sans pour autant lui donner ce nom ni le même sens».

Hindouisme

«Une manifestation du divin»

Selon Nadia Cattoni, professeure assistante spécialiste des traditions sud-asiatiques à l’Université de Lausanne, Jésus occupe une place variée dans l’hindouisme, car «ces traditions sont inclusives et ne voient pas de problème à intégrer des figures externes dans leur conception du divin». «Il peut donc être une manifestation du divin, un maître spirituel respecté ou un avatar d’une divinité hindoue», explique-t-elle, ajoutant que cette perception «dépend du contexte et des individus».

Dans l’histoire moderne de l’hindouisme, certaines figures ont donc intégré  parmi d’autres éléments, Jésus à leurs réformes religieuses. Ram Mohan Roy, fondateur d’un des premiers mouvements de la réforme de l’hindouisme au XVIIIe siècle, voyait en lui un «guide en matière religieuse et civile», mettant en avant «les préceptes moraux de Jésus pour repenser les pratiques hindoues». Keshav Chandra Sen, réformateur et philosophe indien du XIXe siècle, quant à lui, a présenté Jésus comme une «figure universelle» dans son projet de créer une religion mondiale.

Enfin, pour Gandhi, Jésus, «modèle absolu de la non-violence» incarnait une source d’inspiration pour sa philosophie, contribuant ainsi à populariser cette figure pacifiste de l’Inde moderne. «Jésus peut être sujet d’adoration en hindouisme», conclut Nadia Cattoni.