Inégalité fiscale pour les dons faits aux Eglises

Inégalité fiscale pour les dons faits aux Eglises

Selon notre enquête, les règlementations cantonales en matière de déductibilité fiscale diffèrent largement sur le territoire romand, et ce malgré la loi d’harmonisation fédérale (LHID). Un postulat déposé au Conseil national pourrait rebattre les cartes.

déposait un postulat questionnant les pratiques des cantons en matière de déductibilité des dons faits «aux associations à buts multiples». Comprenez par-là: les Eglises évangéliques réunies en association poursuivant des buts cultuels, mais aussi sociaux ou culturels.

Fin août, le Conseil fédéral s’est engagé à présenter l’état des lieux demandé, à savoir «déterminer s’il existe des divergences de pratique entre les cantons» et «comparer la manière dont sont traités les dons en faveur d’associations à buts multiples ou en faveur des Eglises nationales». Il se prononcera également «sur la pertinence d’une modification de la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD) qui viserait à exonérer d’impôts les dons en faveur d’associations à buts multiples ou à buts cultuels».

Des réponses catégoriques

Qu’en est-il de la situation en terres romandes? Les Eglises évangéliques sont-elles défavorisées par rapport aux Eglises historiques, comme le sous-entend le postulat? Contactées, les différentes administrations fiscales cantonales ont délivré des réponses très diverses.

Dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel, aucune déduction n’est admise. «Les dons en faveur des Églises, ou communautés religieuses reconnues fiscalement comme poursuivant des buts cultuels, ne sont pas déductibles», indique Lynn Besson, juriste pour le  Canton de Neuchâtel. Même son de cloche du côté de l’administration vaudoise, selon Julien Lambert, communicant à la Direction générale de la fiscalité.

A l’opposé, en Valais, les déductions sont admises – jusqu’à 20% du revenu imposable – autant pour les dons en faveur des Eglises qui bénéficient d’une reconnaissance publique que pour les Eglises évangéliques. «Par souci de cohérence et d’égalité de traitement, la pratique de l’administration fiscale admet également la déduction des dons faits aux associations qui poursuivent des buts cultuels et sont pour ce motif exonérées de l’impôt», signale Adrian Schneiter, communicant à la Chancellerie d’Etat.

Même cas de figure à Genève, où «la déduction fiscale est acceptée à condition que l’institution bénéficiaire soit exonérée en raison de son statut d’utilité publique ou cultuel», informe Dejan Nikolic, secrétaire général adjoint au Département des finances. Cela concerne «toute organisation religieuse qui remplit certaines conditions».

Distinction entre les Eglises

Dans les cantons du Jura, de Berne et de Fribourg la déductibilité des dons dépend du statut accordé à l’Eglise en question. Ainsi, sur le territoire bernois, «les dons en faveur des Eglises nationales bernoises et des paroisses sont déductibles fiscalement», expose Dominik Rothenbühler, communicant à la Direction des finances. «Déduction plafonnée à 20% du revenu net», alors que «les dons en faveur de personnes morales exonérées de l’impôt pour buts cultuels (comme les Eglises évangéliques, ndlr.) ne sont pas déductibles».

Selon le droit cantonal jurassien, la même différence de traitement est de mise entre Eglises nationales et Eglises évangéliques, renseigne Sandrine Gerber, avocate au Service des contributions. Les déductions sont cependant plafonnées à 10% du revenu net.

Comptabilité séparée

Dans le canton de Fribourg, la distinction est tout autre. «Conformément aux dispositions fiscales au niveau national, les dons octroyés à des entités poursuivant des buts cultuels ne sont pas déductibles», formule Alain Mauron au Service cantonal des contributions. «En revanche, un don qui serait attribué à une entité poursuivant des buts multiples, au bénéfice d’une exonération pour la poursuite d’un but d’utilité public ou de service public, pourrait être déductible, à condition que le don soit attribué à cette rubrique et que cela soit traçable dans les comptes de l’institut récipiendaire».

Contacté, le professeur de droit fiscal Thierry Obrist, de l’Université de Neuchâtel, s’étonne d’une telle disparité. Selon lui, seul le canton de Fribourg respecte fidèlement la législation en vigueur. Pour preuve, une circulaire de l’Administration fédérale des contributions stipulant que «les versements bénévoles aux personnes morales qui sont exonérées de l’impôt parce qu’elles poursuivent des buts cultuels ne sont pas déductibles fiscalement».

Quant aux associations à buts multiples, dont certaines Eglises évangéliques, il évoque des «jurisprudences selon lesquelles des dons à des entités exonérées pour but religieux sont acceptables, pour autant qu’on puisse vraiment tracer une comptabilité séparée pour l’emploi de ces fonds à des fins d’utilité publique – comme le soutien aux plus démunis –  et non cultuelles.» Don déductible à hauteur de 10% du revenu imposable.

Argument déterminant

Actuellement à l’étude au niveau fédéral, l’exonération des dons n’est de loin pas une question anodine pour les Eglises. «La déduction fiscale est un élément que nous mettons en avant dans notre communication autour des dons, partant du principe qu’il représente un argument supplémentaire pour donner», déclare Stefan Keller, secrétaire général de l’Eglise protestante de Genève. Dans ce canton laïque, où les Eglises ne bénéficient d’aucun subventionnement, «80% des frais de mission (principalement le salaire des pasteurs) ont été ces dernières années financés par des dons et des legs», précise-t-il.

A contrario, dans le canton également laïc de Neuchâtel, la responsable de la recherche de fonds pour l’Eglise réformée Angélique Neukomm confie que la non-déductibilité a des répercussions certaines: «Les potentiels donateurs préféreront se rabattre sur Terre Nouvelle ou une autre ONG, où l'on peut déduire son don fiscalement.» Une réalité que confirme l’avocat: «Par le passé, les cantons publiaient sur Internet des listes des entités exonérées. En fin d’année, certains clients les examinaient avant de se déterminer sur les dons qu’ils allaient faire.» Si ces listes sont de moins en moins rendues publiques, elles n’en déterminent pas moins la destination de nombreux dons.