Line Dépraz viserait la lune pour la cathédrale

Line Dépraz viserait la lune pour la cathédrale

Ancienne conseillère synodale de l’Eglise réformée vaudoise, la pasteure de l’édifice lausannois n’en finit pas d’innover, dans le but de faire des ponts entre les publics.

La cathédrale, Line Dépraz l’a dans le cœur. «J’aime ce lieu, sa façon de surplomber la ville. Cela en fait un espace tourné vers tous les horizons», s’émerveille la pasteure, qui y travaille depuis cinq ans. «En ce moment, un Hindou vient tous les matins faire de petites offrandes à ses divinités dans la chapelle de la Vierge et s’y recueillir. Cette situation me touche. J’aime l’accueil qu’il ressent en ce lieu», lâche la ministre, qui dit avant tout qu’elle est «attachée à créer des ponts, à susciter l’ouverture du christianisme vers les autres religions, les non-croyants ou les moins convaincus».

Attentive à la foi des autres, celle qui a grandi à Bussigny aime cependant «ne pas avoir de certitudes»: «Même la foi, en soi, est un concept que je ne sais pas très bien comment aborder. Ce que je dis volontiers, c’est que je me suis sentie soutenue dans des moments où il n’y avait pas de quoi. Je savais que je n’étais pas seule.» Line Dépraz aime dire que «le fait de savoir si ce que raconte la Bible est vrai est une non-question», elle est avant tout une amoureuse des textes chrétiens «pour tout ce qu’ils disent et enseignent sur la nature humaine». Préparant en ce moment son culte du 24 décembre sur l’annonce de la naissance de Jésus faite à Joseph, elle confie être «toujours surprise de travailler un passage biblique, qui donne quelque chose de neuf à chaque relecture».

Noël, d’ailleurs, est une période qui colle bien à l’esprit d’accueil cher à Line Dépraz. «Si chaque dimanche, j’ai environ une cinquantaine de personnes à mes cultes, plus de quatre cents font le déplacement à Noël.» Réjouie à l’idée que «des personnes éloignées de l’Eglise ou même des touristes» prennent part à cette soirée particulière, Line Dépraz savoure actuellement un bonheur pastoral qu’elle a cru perdre pour toujours il y a quelques années. En 2000, alors qu’elle est pasteure à Chailly-La cathédrale, un burn-out brutal la pousse à s’arrêter. «C’était un dimanche, à l’heure du culte, et je n’arrivais pas à passer la porte», raconte-t-elle. A l’époque, la pire de mes angoisses a été de me dire que peut-être, je n’aurais plus envie de faire ce métier que j’aime tant.»

Soutien d’urgence

Mère de trois enfants, qu’elle a eus avec Cyril Dépraz, journaliste, Line Dépraz est aussi active en dehors de la vie ecclésiale. Membre du Rotary depuis une dizaine d’années – «un engagement insolite» – elle a même présidé ce club-service d’élite en pleine pandémie de Covid. «Ce n’est pas tellement mon monde, et je crois que c’est cela qui me plaît.» Egalement membre du Conseil de fondation d’Eben-Hézer, Line Dépraz y côtoie depuis deux ans Aline Veyre, professeure de travail social à la HETSL. Toutes les deux font également partie de la commission d’éthique et de vie sociale de l’institution. «Il est très stimulant de travailler et de réfléchir avec une pasteure qui se pose de vraies questions sur la qualité de vie d’adultes atteints de handicap mental», observe la professeure.

Questionnée sur un autre engagement, celui vécu au sein de l’Equipe de soutien psycho-social d’urgence, où elle a sévi de 2008 à 2023, Line Dépraz parle avec simplicité: «Lors de nos interventions, il a pu arriver que des personnes aient assisté à la mort violente d’un proche, ou que des parents soient confrontés au suicide de leur enfant. Mais ces situations horribles ne m’ont jamais détournée de ma mission d’écoute et d’accompagnement», relève-t-elle. «Au contraire, une certaine proximité de la mort au cours de ma vie m’y a comme préparée, voire habituée», avoue-t-elle. Elle cite notamment les décès brutaux d’une grand-mère, d’un cousin, ou celui de son frère, à 50 ans.

Se disant humblement «une bonne théologienne», c’est à ses yeux pour cette raison qu’on vient la chercher, en 2009, pour entrer au Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV). Présente le temps de deux législatures, elle y empoigne quelques dossiers difficiles. «La question de l’adoption d’un rite de bénédiction pour les couples partenariés a été mon combat le plus ardu», se souvient-elle. «Menaces, mails injurieux… Il y a encore une quinzaine d’années, tous les réformés n’étaient pas prêts.»

Jésus, Dieu sur Terre

Dix ans plus tard, sa nomination à la cathédrale suscite une autre polémique au sein du milieu réformé. Dans «24 heures», on a rapporté que le choix du Conseil synodal de l’époque, dont elle était à peine sortie, de la nommer à la place de la pasteure Isabelle Graesslé, légèrement préférée par le conseil de la Cathédrale, avait fâché la Commission de gestion du Législatif réformé vaudois. «Le Conseil synodal m’a nommée, notamment du fait de mon large réseau dans le canton», explicite-t-elle.

Multipliant désormais les audaces dans le plus grand lieu de culte du canton, Line Dépraz y a notamment donné un culte «axé sur le dialogue entre lumière et ténèbres», en collaboration avec l’auteur de polars Marc Voltenauer, lui-même diplômé en théologie. «La volonté qu’a Line de faire dialoguer avec diplomatie et audace l’Evangile et notre monde et ses questions est remarquable», reconnaît volontiers le pasteur Jean-François Ramelet, pasteur de l’église de Saint-François et partenaire du nouveau projet innovant de Line Dépraz.

Sous la bannière «Objectif Terre», Line Dépraz propose plusieurs activités et célébrations autour du thème de l’espace, dont une exposition de cartes imaginaires de l’artiste François Burland et un calendrier. Le concept? Vingt-quatre personnalités ont susurré leurs espoirs pour le futur. Des «cartes postales sonores» à activer grâce à des codes QR, parmi lesquelles on peut entendre celle de la présidente du Conseil d’Etat Christelle Luisier. Enfin, à l’évocation de la photo de la Terre vue depuis la Lune qui complète l’exposition de la cathédrale, Line Dépraz conclut: «L’envie qu’ont certains puissants de conquérir la lune et d’autres planètes peut poser question aux chrétiens, pour qui Dieu s’est fait homme, à Noël, en faisant le mouvement inverse: il est descendu sur terre en la personne de Jésus.»

1967 Naissance à Lausanne le 13 juin.

1986 Commence la théologie et y rencontre son futur époux, le journaliste Cyril Dépraz.

1994 Consacrée pasteure dans l’EERV.

1995 Naissance d’Alexis, suivi de Morgane en 1997 et Thibault en 1999.

2009 Entre au Conseil synodal de l’EERV et y reste dix ans.

2019 Devient pasteure à la cathédrale de Lausanne.