A l’Assemblée du COE, les femmes poursuivent leur combat pour l’égalité
, Busan
La première personne rencontrée jeudi devant le Bexco, le centre de conférences de Busan où se tient l’Assemblée, est justement une femme; mais elle n’assiste pas aux réunions. Bien au contraire, elle brandit une pancarte jaune proclamant: «Le COE tue l’Eglise».
Lorsque je lui demande de m’expliquer les raisons de son opposition, elle dégaine immédiatement son téléphone portable pour demander à son pasteur s’il l’autorise à me parler. La réponse est un non catégorique: pas d’interview. La manifestante s’excuse et s’éloigne.
L’espace du Madang, où sont regroupés les stands et les animations, met au contraire en valeur des femmes qui luttent pour leurs droits et leur reconnaissance et n’hésitent pas à parler pour elles-mêmes.
Lutter contre la cupidité des hommesShin Jin-ok (photo©Julie Paik) est une artiste coréenne qui tient un stand présentant ses œuvres. Elle créée des sculptures gracieuses et colorées à partir de papier, de morceaux de bois, de plastique ou de tissus jetés à la poubelle qu’elle récupère pour en faire jaillir la beauté. Elle appelle cela «ressusciter nos déchets.» Dans sa jeunesse, Mme Shin militait activement pour les droits des femmes; depuis qu’elle prend de l’âge, explique-t-elle avec un sourire, elle est moins concrètement engagée. Mais sa colère, elle, est toujours intacte. Deux sujets la mettent particulièrement hors d’elle.
Celui des «femmes de confort» d’abord, une horrible litote qui désigne toutes ces jeunes filles de Corée, de Mandchourie et d’Asie du Sud-Est arrachées à leurs familles pour être forcées à la prostitution dans les camps de soldats japonais durant la Seconde guerre mondiale. Ces jeunes filles sont aujourd’hui de vieilles dames pour lesquelles le gouvernement japonais n’a jamais eu un seul mot de regret ou d’excuse.
La version moderne de cet esclavage sexuel ensuite, la prostitution florissante de très jeunes femmes, parfois encore des enfants, venues des campagnes, d’autres pays asiatiques ou de Russie. En Corée aussi, le tourisme sexuel est une réalité.
Avec le temps, Mme Shin a joint à son combat pour les femmes la défense de l’environnement. «Ce ne sont pas deux problèmes séparés», insiste-t-elle. «L’exploitation sexuelle des femmes, le pillage des ressources environnementales ont tous deux la même racine: la cupidité des hommes qui détruisent ce qui a été créé à l’image de Dieu.»
Les défis du ministère pastoral fémininMme Seon, une pasteure qui appartient à l’Association des théologiennes de Corée, partage ce regard sans complaisance. «Dans la société coréenne, nous souffrons des structures patriarcales qui persistent», dit-elle. «A cause de cette mentalité patriarcale, les femmes sont particulièrement touchées par la violence domestique.»
Dans les Eglises, la situation des femmes reflète souvent cette structure sociale. L’ordination des femmes est acceptée par une bonne partie des Eglises protestantes; cependant, soupire Mme Seon, les femmes qui se sentent appelées au ministère pastoral sont souvent mal acceptées et rencontrent parfois tellement d’obstacles qu’elles finissent par regretter leur ordination.
C’est justement pour aider les femmes prêtres et pasteures à éviter d’en venir à une telle extrémité qu’à été fondée l’Association internationale des femmes ministres du culte (International Association of Women Ministers). Carol est une pasteure presbytérienne venue des Etats-Unis. Lorsqu’elle a été ordonnée en 1975, elle était la seule femme pasteure de sa dénomination comprenant plus d’un millier de congrégations.
Son chemin n’a pas été toujours facile. «Le soutien de l’Association m’a été indispensable. Ici, j’ai pu rencontrer des femmes plus âgées qui avaient fait face aux mêmes difficultés avant moi et m’ont aidé à les affronter», explique-t-elle. «Aujourd’hui, il reste tant à faire: dans beaucoup d’Eglises, les femmes pasteures ont toujours un salaire inférieur à celui des hommes; on a souvent tendance à les nommer dans de petites paroisses, et trop peu accèdent à des postes à responsabilité. Les Eglises ne se sont toujours pas débarrassées du plafond de verre.»
Revendiquer la justicePour toutes les trois, le thème de l’Assemblée («Dieu de la vie, conduis-nous vers la justice et la paix») a une résonnance particulière. Dans un manifeste, les théologiennes de Corée l’ont reformulé en « Dieu de la vie, aide-nous à nous opposer à l’injustice et à la paix factice!». Appelant l’Assemblée à tenir ses engagements pour plus de justice et de paix, notamment dans la péninsule coréenne, elles concluent: «l’Assemblée devrait accepter les conceptions féministes de la “diaconie” et du “partenariat” plutôt que les perspectives trop masculines de la “domination” et de la “compétition”.
Nous souhaitons que l’Assemblée donne vie à l’éthique de la coexistence, du vivre-ensemble paisible, au lieu de la compétition basée sur une opposition dualiste ». Mme Seong explique: «Il y a encore beaucoup d’obstacles à franchir pour parvenir à la paix et à la justice. Mais aucune des deux ne pourra advenir sans les femmes, parce qu’elles ont fait l’expérience de l’oppression et que cela les ouvre à la compassion qui rend possible la vraie paix et la vraie justice.»
«En tant que peuple de Dieu, il est temps que les chrétiens donnent l’exemple», renchérit Mme Shin. «Mon combat pour les femmes et l’environnement est la manière dont je marche à la suite du Christ; il m’est impossible de m’arrêter, je continuerai jusqu’à la mort.»
Carol, Mme Seong et Mme Shin attendent toutes les trois la même chose de l’Assemblée: qu’elle soit l’occasion de sensibiliser les Eglises du monde entier, de faire prendre conscience à leurs frères et sœurs des enjeux qui reposent entre leurs mains, et d’étendre le réseau de solidarité qui, à travers le monde, s’efforce de faire avancer la cause des femmes.