Avec les petits anges du CHUV

Avec les petits anges du CHUV

Accompagnant spirituel et ancien chef de l’aumônerie du CHUV, François Rouiller se consacre désormais aux différents services de pédiatrie pour apporter soutien aux jeunes patients comme à leur entourage.

«Il y a des jours où on rencontre l’impuissance», lâche François Rouiller. «Dans ces moments-là, je ne peux que me tenir aux côtés des familles, dans l’impossible et l’inacceptable.» Accompagnant spirituel au CHUV depuis une quinzaine d’années et désormais attitré notamment à différents services de pédiatrie, François Rouiller sait que le pire peut advenir. «J’ai perdu ma petite fille à la naissance», confie-t-il. «Ce drame, cette déflagration de l’absurde fut comme une météorite qui a laissé un cratère immense dans notre jardin.»

Pour autant, ce père de quatre autres enfants sait qu’il est possible de poursuivre sa route malgré tout. Chaque année, début décembre, des parents viennent d’ailleurs en témoigner dans le cadre de la Célébration du Souvenir, organisée depuis 2009 par le service d’aumônerie de l’hôpital et un groupe de bénévoles (parents, soignants et médecins), en mémoire des enfants décédés au sein de l’établissement vaudois.

Si la perte d’un enfant représente dans l’inconscient collectif la douleur absolue, François Rouiller insiste sur le fait qu’«il n’y a pas d’échelle dans la souffrance». Et de se remémorer ce patient qui avait perdu l’usage de ses doigts dans un accident: «Cela peut sembler moins grave, mais pour lui c’était une catastrophe. Car ce monsieur avait fait de la grimpe toute sa vie, c’est dans ce sport qu’il trouvait sa transcendance, qu’il se sentait exister.» Et d’asséner «On ne peut pas juger de ces choses-là.»

A pieds nus

C’est donc avec la plus grande des humilités que François Rouiller s’en va au contact des patients, comme de leurs proches ou encore des soignants, qui se sentent parfois eux aussi démunis. «Toute rencontre est unique et j’ai vraiment à cœur de m’approcher comme à pieds nus, conscient de m’avancer à chaque fois sur une terre sacrée», formule-t-il, le visage rayonnant de reconnaissance. Animé par une «soif d’absolu», comme un désir farouche de «rechercher l’essentiel pour ne pas passer à côté de la vie», il s’estime «privilégié de faire ce travail» et de pouvoir pleinement s’intéresser «à ce qui brûle au plus profond des personnes, à ce qui fait le sens de leur vie et nourrit leur espérance».

Dans les luttes que mène tout un chacun dans des périodes douloureuses comme peut l’être une hospitalisation, l’accompagnant spirituel propose humblement de se tenir «comme un frère en humanité », explique-t-il, «pour recueillir les détresses, mobiliser les ressources, et permettre à la personne de reprendre foi dans son infinie dignité».

De nature contemplative, ce natif de Martigny-Combe (VS) sait que le merveilleux se terre fondamentalement dans les choses les plus simples de l’existence. «J’ai grandi dans un milieu paysan qui m’a appris ce rapport concret au réel, mais aussi à l’au-delà des choses», exprime-t-il. Alors qu’il a 7 ans, son père décide de quitter son emploi de libraire pour reprendre des vignes et l’élevage d’animaux. Aîné de deux sœurs, il est souvent amené à aider son papa «à la vigne et aux foins». «Je crois avoir été un enfant très gentil, parfois suradapté je pense.»

«Prêtre» errant

Ses temps de récréation, il les consacrera sans modération à la musique. «J'ai commencé par la flûte à bec, comme beaucoup, puis j'ai fait de la guitare, de la trompe de chasse, du cor des Alpes, un peu de trompette et de violoncelle, puis surtout du chant», énumère-t-il. Porté par une vision chorale de l’existence, il aime à rappeler que «la musique n’existe qu’à partir du moment où elle rencontre une intériorité». C’est d’ailleurs toujours la même conviction qui l’anime, au moment de se faire chef de chœur. «Depuis vingt-sept ans, je dirige le chœur Atout au répertoire spirituel assumé», expose-t-il. «Ce qu'on chante n'a de sens que si on l’habite réellement.»

S’il grandit dans un milieu catholique, c’est auprès de sa grand-maman paternelle, très pieuse, qu’il se familiarise avec la religion. «Elle nous faisait prier à chaque repas et avant d’aller au lit.» A l’adolescence, il se souvient s’être imposé de faire un choix: «Soit tu crois que Dieu existe et tu continues à prier avec grand-maman, soit tu arrêtes de faire semblant!» Un véritable moment de bascule, analyse-t-il aujourd’hui: «Je me suis rendu compte que c’était pour moi comme une évidence: Dieu ne pouvait pas ne pas exister.»

A l’âge de 18 ans, le jeune homme s’envisage très sérieusement prêtre et rejoint un monastère, où il restera six ans, tout en s’engageant dans des études de théologie. Sur le chemin, il y aura cependant des moments de doute, notamment dans les temps d’épreuve. Mais François Rouiller a choisi d’assumer également «cette forme d’errance». Quand il quitte le monastère pour faire de l’animation jeunesse, son désir n’est précisément «pas de convertir les jeunes, mais bien de cheminer avec eux», présente-t-il. «J’ai toujours été convaincu que l’autre a autant d’expertise de Dieu que moi, quelle que soit sa façon de le nommer.»

Noël en pédiatrie

Après plusieurs années à œuvrer en tant que responsable jeunesse pour l’Eglise catholique vaudoise, il entre un peu par hasard au CHUV. «Ce ne devait être qu’une formation de trois mois pour me permettre de travailler comme accompagnant spirituel en EMS», raconte-t-il. Alors qu’il disait «détester les hôpitaux», c’est une «révélation»: «Je ne saurais pas le dire autrement.»

Passé par différents services de l’établissement hospitalier, il trouve un ancrage particulier en pédiatrie, notamment aux soins intensifs. «Pour moi, la pédiatrie, c’est Noël tous les jours», déclare-t-il avec force. Et d’expliquer: «Ce qui fait tenir les parents, lorsqu’ils ne savent plus quoi faire ni quoi espérer, c’est toujours leur enfant. Ce petit être dans sa crèche à lui, dans sa nudité et sa vulnérabilité, c’est lui qui donne la plus grande force qui soit et qui fait tenir les parents, comme tout l’hôpital d’ailleurs qui s’engage pour le sauver.»

Et quand vient la question de savoir si son travail ne se révèle pas parfois lourd à porter, il rétorque aussitôt: «Ce n’est jamais un poids, mais un cadeau. De nombreux enfants ont été des maîtres pour moi.»

EN DATES

1972 Naissance à Martigny, le 3 novembre

2002 Publie «Le scandale du mal et de la souffrance chez Maurice Zundel», donnant suite à son questionnement personnel.

2002 Devient responsable du Département formation et accompagnement des 15-25 ans pour l’Eglise catholique vaudoise. Poste qu’il occupera jusqu’en 2010.

2010 Engagement au CHUV comme accompagnant spirituel

2015 Devient le responsable du service d’aumônerie du CHUV jusqu’en 2022.