Bruno Gérard: la nuit du prédicateur
«Il faut parfois se prêter aux photos, et c’est assez amusant de voir des Coréens avoir les larmes aux yeux devant la chaise de Calvin», s’étonne toujours Bruno Gérard. Assis dans son bureau de la Vieille-Ville genevoise, à quelques enjambées de la cathédrale Saint-Pierre dont il est le pasteur depuis 2021, l’homme a fait du chemin depuis la ville de Saint-Etienne où il est né. L’ombre de son compatriote, le grand réformateur, qui a prêché durant vingt-trois ans à Saint-Pierre, vient-elle parfois peser sur ses épaules? «Au contraire. Ses écrits ont toujours été une grande inspiration pour moi. Je trouve d’ailleurs très dommage qu’on ne se souvienne de lui que comme d’un homme austère et triste. Il parle notamment du vin comme d’une fête, d’un véritable don de Dieu.»
Domicilié à Annemasse, où il vit avec son épouse, elle-même pasteure, Bruno Gérard se présente comme un grand supporter de football – notamment du club mythique de son lieu de naissance – et un fou d’art contemporain. Fort de «quinze années de ministère», il explique pourquoi la théologie n’a pas été son premier choix au moment de commencer ses études: «En France, les deux facultés qui dispensent un enseignement protestant, Paris et Montpellier, offrent des diplômes encore non reconnus par l’Etat aujourd’hui.» S’engager dans ces formations, c’était donc le choix de non-retour: «Il fallait devenir pasteur.»
Au sortir du lycée, le jeune Stéphanois n’est donc pas prêt. Il se lance alors dans des études de mathématiques, qu’il enseignera pendant une année après l’obtention d’une licence. «J’aimais surtout les mathématiques théoriques, qui sont une sorte de philosophie de vie.» Il s’explique: «Certes, 2 et 2 font 4 en base 10. Mais si on change cette dernière, 2 et 2 donnent autre chose.» Mais quelle est donc la «base mathématique» personnelle de Bruno Gérard, qui le fera changer de voie pour choisir la théologie? «Difficile à expliquer, même si je me souviens très clairement de ces moments de calme, pleins de mystère, quand j’étais assis entre ma mère et ma grand-mère pendant les cultes du dimanche.» La fascination du petit garçon qu’il est à l’époque pour les vitraux et la musique est remarquée par son entourage, qui s’exclamera, le jour où il annonce vouloir être pasteur, à 22 ans: «Ah enfin!»
Ce nouveau cursus universitaire le conduit donc de Paris à Montpellier, le faisant notamment pas-ser par Dubuque, en Iowa, où il va vivre une étrange rentrée, un certain 11 septembre 2001… «Des rumeurs d’attentats se mettent à circuler alors que la cérémonie d’ouverture de l’Université doit avoir lieu, et où j’étais censé porter le drapeau tricolore», se souvient-il avec émotion. Il confie avoir été impressionné par l’immédiate suspension des cours et la création presque instantanée de cellules de crise. «Tout le monde connaissait quelqu’un à New York et cherchait à avoir des nouvelles… C’était un moment d’une rare intensité. Malgré la tristesse et la peur, une certaine beauté a surgi dans cette émotion collective.»
Aux Etats-Unis, un professeur va le marquer, selon qui «la forme et le fond» se valent tout autant lorsqu’un pasteur s’exprime depuis sa chaire. Bruno Gérard avance d’ailleurs que «tout l’art de la prédication est d’amener les gens vers quelque chose, sans leur imposer quoi que ce soit». Et alors qu’il se remémore certains grands prédicateurs de Saint-Pierre chez qui «la posture avait aussi son importance», on ose une question frontale: le charisme et l’éloquence n’étant pas forcément l’apanage de chacun, les pasteurs sont-ils tous égaux face à la prédication? «Une fois, une personne qui avait une voix de canard presque inaudible a dit dans un temple une phrase qui résonne encore en moi aujourd’hui… Chacun peut produire cette magie.» Et d’ironiser: «Cela vient généralement avec une chose en laquelle je crois beaucoup: le travail!»
Et du travail, Bruno Gérard n’en manque pas, même s’il avoue qu’à Saint-Pierre, les demandes de célébrations continuent de baisser. «Je n’ai que deux mariages à mon actif, cette année», avouet-il. Avec sa collègue Sandrine Landeau, qui partage cette paroisse avec lui, et d’autres pasteurs invités, il n’en a jusqu’ici célébré qu’une dizaine en 2024. Cela n’inquiète pourtant pas Bruno Gérard. «En comparaison, dans mes groupes de jeunes, j’ai 25 adolescents qui préparent leur culte de confirmation ou de baptême.» Il identifie dans cette jeunesse beaucoup de solidarité, «grâce aux réseaux sociaux, paradoxalement». Bruno Gérard confesse toutefois qu’il n’est «pas toujours facile de les rejoindre. Il ne faut en tout cas pas se lancer dans des opérations séduction. Mais leur montrer qu’on met beaucoup d’espoir en eux.»
Nuit de la prédication, cathédrale Saint-Pierre, Genève, du vendredi 4 octobre à 18h au samedi 5 octobre à 1h40. Entrée libre.