Profession: éthicien spécialisé en IA
Ezekiel Kwetchi Takam, 25 ans, sera l’un des principaux intervenants à la première formation continue «micro-certifiante» en éthique de l’intelligence artificielle, qui sera donnée les 22 et 23 février à l’Université de Genève. A l’heure où de plus en plus de professionnels ont recours à l’IA, le Centre universitaire informatique s’est tourné vers ce chercheur atypique de la Faculté de théologie pour en esquisser les enjeux éthiques.
Tout commence dans la ville de Bafoussam à l’ouest du Cameroun. Petit dernier d’une famille de six enfants, Ezekiel Kwetchi Takam est élevé à un double breuvage. D’abord aux paroles bibliques, qu’il écoute assidûment sur les bancs de son Eglise locale, de la voix même de son père pasteur. «Très jeune, j’ai été également fasciné par les œuvres de science-fiction, de «Terminator» à mes lectures répétées de «1984» de Georges Orwell», confie ce jeune doctorant BCBG, installé dans son bureau de la Faculté de théologie. «Cet ouvrage a été déterminant dans la construction de ma passion pour les univers futuristes et dystopiques.»
Après son baccalauréat, le jeune homme féru de technologies, se décide à suivre les pas de son père, en se lançant dans des études de théologie. «J’ai très vite découvert, dans la bibliothèque de mon père la richesse de cette science très particulière, qui regroupe des disciplines variées, comme l’anthropologie ou la sociologie», exprime celui qui ne prêche que par l’interdisciplinarité.
«D’un tempérament réservé sans pour autant être timide», Ezekiel Kwetchi Takam rejoint alors la capitale Yaoundé, à près de 400 km de la maison familiale. Puis ce sera un vol aller pour Paris, où l’attendent deux ans de perfectionnement à l’Institut protestant de théologie. «L’acclimatation a été un peu difficile», confie-t-il. «Les Parisiens sont très pressés!», s’en amuse-t-il aujourd’hui, mentionnant au passage que «ce n’est qu’au bout de six mois qu’[il] a pu avoir un échange avec [son] voisin de palier»!
Ses thématiques de recherche pour le moins inédites – à savoir «la sacralisation des robots dans les œuvres de science-fiction» et «l’étude de l’IA dans une perspective théologique» –ne manqueront pas d’étonner ses professeurs, qui ont cependant «tout de suite accroché». Il rend d'ailleurs un vibrant hommage à cette institution «qui a été d'une grande bénédiction dans [son] parcours, ici, en Occident».
A la fin de ce cursus, Ezekiel Kwetchi Takam se retrouve face à deux horizons professionnels: Science Po Paris en managment et innovation ou la Faculté de l’Université de Genève. «J’ai choisi Genève parce que c’est une terre protestante, la Cité de Calvin!», formule-t-il avec enthousiasme. «Genève fait partie de mon imaginaire depuis mon enfance! Quel meilleur endroit pour poursuivre ma réflexion théologique et éthique?» Et d’ajouter apprécier tout particulièrement «l’intégration de cette faculté dans le corps universitaire, contrairement à l’Institut parisien, laïcité française oblige» ainsi que «l'ouverture à l'international que propose Genève».
De son arrivée à Genève, il se rappelle s’être «précipité devant le Mur des Réformateurs». Il s’en souvient encore, c’était le 14 octobre 2021. L’adaptation dans ce nouveau décor est immédiate: «C’est une très belle ville. Paisible, propice à la réflexion.» Côté privé, le doctorant rejoint tout naturellement l’Eglise protestante de Genève (EPG), où il «fréquente assez régulièrement la cathédrale Saint-Pierre ou l’église de Champel».
Outre ses recherches universitaires, Ezekiel Kwetchi Takam donne également des conférences dans différentes entreprises de la région. «Il y a aujourd’hui une quête de sens très forte au sein des salariés, et les entreprises font face à des problématiques de captations des talents», explique-t-il. «Elles ont besoin de repenser l’organisation de leur collectif. J’interviens spécialement sur la question de la résilience, c’est-à-dire sur notre capacité à créer le vivant à partir de situations invivables.»
Pour ce faire, l’universitaire s’appuie également sur le concept sud-africain de l’ubuntu, englobant la notion de communauté et d'interdépendance entre les êtres humains: «Je suis, parce que nous sommes», aime-t-il à résumer, selon les termes du philosophe africain John Mbiti.
L’Afrique, précisément, Ezekiel Kwetchi Takam ne l’a pas oubliée, même s’il n’est retourné au pays qu’une seule fois depuis son départ. C’est d’ailleurs dans le souci d’accompagner la réflexion sur l’impact de ces nouvelles technologies en Europe qu’en Afrique qu’il a fondé en 2020 l’Observatoire euro-africain de l'intelligence artificielle. «Je suis persuadé que l’avenir du savoir se trouve tant dans l’interdisciplinarité que dans l’échange culturel», formule-t-il.
S’il «privilégie aujourd’hui la voie académique», il admet toutefois garder au fond de lui «une vocation pastorale», sur laquelle il n’est pas prêt à faire totalement une croix. «C’est une leçon que j’ai apprise de maman: il faut toujours rester humble face à l’avenir.»