Equateur: les Eglises tentent le contact dans les prisons
Trois semaines après le début de la crise actuelle en Equateur, les Eglises du pays critiquent la politique du gouvernement, qui cherche à combattre le chaos dans ce pays andin par une escalade de la répression de la part des forces armées.
Si la vague de violence a surpris le gouvernement du président Daniel Noboa, les missionnaires chrétiens qui travaillent dans les prisons mettent en garde depuis longtemps les autorités contre les risques d’un chaos généralisé dans le pays. En cause, le contrôle croissant exercé par 22 mafias sur les prisons et le trafic de drogue international.
En effet, l'Église catholique et certains missionnaires protestants comptent parmi les rares acteurs de la société civile capables de surveiller ce qui se passe dans les prisons et de dialoguer avec les détenus grâce à leur présence pastorale.
La crise s'est déclenchée le 8 janvier, lorsque le trafiquant de drogue Adolfo Macias, dit Fito, s'est évadé de prison. S'en est suivie une série d'actions violentes qualifiées de «narcoterroristes» par les autorités. Des explosions et des incendies criminels, des meurtres et des enlèvements ont été enregistrés dans diverses régions du pays.
Le président a alors déclaré l'état d'urgence et mobilisé les forces armées. Entre le 9 et le 28 janvier, plus de 4100 personnes ont été arrêtées, dont 237 soupçonnées d'actes terroristes. Les prisons dominées par des groupes criminels ont été envahies par les troupes au bout d'une semaine et restent pour l’heure sous le pouvoir militaire.
L'un des pénitenciers dans lequel les détenus se sont révoltés est celui d'Esmeraldas, sur la côte nord du pays. L'Église catholique y a été appelée par le gouvernement local à négocier avec les prisonniers la libération des 11 employés pris en otage. Avant que l'armée n'envahisse les prisons le 13 janvier, les otages d'Esmeraldas avaient déjà été libérés pacifiquement.
«Ce n’était pas la première fois que l’Église catholique est appelée à mener une telle médiation», explique le père José Antonio Maeso, un Espagnol qui vit en Équateur depuis vingt-quatre ans et travaille comme aumônier au pénitencier d'Esmeraldas.
Selon lui, la négociation ne comportait aucune condition imposée par les prisonniers, mais seulement l'exigence qu'il n'y ait aucune violence de la part des forces armées à leur entrée dans la prison – ce qui n'a pas été respecté.
Cet aumônier catholique se souvient que la crise dans les prisons a commencé il y a environ quatre ans, avec une violente rébellion dont il a été témoin à Esmeraldas. La situation s’est progressivement détériorée.
«C’est une question de logique sociale. Sans mesures efficaces de la part de l’État, ce n’était qu’une question de temps avant que la situation n’explose», déclare-t-il.
En avril 2023, l'évêque local et le père Maeso ont demandé à la province d'Esmeraldas de déclarer l'état d'urgence humanitaire afin de pouvoir faire face à une grave situation de pauvreté et de violence. « Nous n'avons jamais été écoutés. Voilà la résultat», se désole le père Maeso.
De son côté, le pasteur presbytérien Pablo Landazuri, responsable de l'Église réformée unie de Quito, affirme que cette problématique s'est aggravée au cours des vingt dernières années et qu'aucun gouvernement n'a été capable d'arrêter la croissance des gangs.
Il y a environ un an, il envisageait de commencer des visites dans un pénitencier et cherchait un collègue ayant un long travail pastoral dans les prisons. C’est à ce moment-là, rapporte-t-il, qu’il s’est rendu compte à quel point la situation était déjà chaotique. «Il m'a immédiatement dit que je ne devais même pas envisager la possibilité d'essayer d'entrer dans un pénitencier, car les gangs dominaient déjà tout et le travail pastoral était impossible», raconte-t-il..
Les chiffres montrent que les prisons équatoriennes ont été pendant des années une bombe à retardement. Depuis 2020, au moins 450 détenus ont été assassinés dans les prisons, souvent lors d'émeutes.
Le missionnaire catholique Giovanni Dutan, un laïc qui travaille depuis douze ans dans le ministère des prisons de la ville de Cuenca, affirme que la grande majorité des prisonniers sont des gens pauvres qui ont commis des délits mineurs et n'ont pas pu se payer les services d’un avocat. Dans les prisons, cette masse est sous le joug des mafias, qui obligent les détenus à acheter leur nourriture et leurs articles d'hygiène à des prix élevés. «Tout cela se produit parce que la police et les autorités participent au crime organisé. C’est pourquoi tant d’armes entrent dans les prisons», explique-t-il.
«Avec la coopération d'autorités corrompues, le crime organisé s'est développé ces dernières années et a recruté des jeunes démunis qui n'avaient aucune perspective de trouver un emploi», explique José Egas, théologien luthérien et avocat à Quito. «Il existe des projets d’Eglises visant à empêcher que les jeunes vulnérables ne soient attirés par les gangs, mais ils sont insuffisants compte tenu de l’ampleur du problème», estime-t-il.
De son côté, Giovanni Dutan regrette qu’au lieu de chercher à développer l'économie du pays et à créer des emplois pour les jeunes défavorisés, le gouvernement semble désormais déterminé à investir dans la répression armée du crime organisé. «Les forces armées sont à l’intérieur des prisons et violent tous les types de droits de l’homme, brisant même les objets sacrés que nous apportons aux détenus catholiques», déplore-t-il.
L'évêque d'Esmeraldas Antonio Crameri a envoyé le 14 janvier une lettre ouverte au président pour dénoncer ces violations, parmi lesquelles l'assassinat d'un détenu dans la prison locale. Le père Maeso affirme que d'autres détenus ont montré des marques de violence. «Dans les rues, les forces armées arrêtent des centaines de jeunes qui n'ont aucun lien avec le crime organisé. Il existe des vidéos montrant des détenus victimes de violences», argumente également Giovanni Dutan.
L’état d’urgence durera au moins 60 jours. Pendant cette période, les militaires continueront à prendre en charge la sécurité publique. Les dirigeants chrétiens, à l’image du sociologue et théologien José Egas, martèlent que cette réalité ne pourra changer qu’en investissant dans les politiques sociales.
Pour le pasteur presbytérien Pablo Landazuri, le chaos généré par la violence en Équateur a des racines profondes, ce qui rend très difficile la possibilité d'une intervention des Eglises en ce moment. «Notre influence est faible dans une société de plus en plus sécularisée et guidée par des valeurs telles que l’égocentrisme et la recherche à court terme de l’argent facile», conclut-il.