Menace sur les prestations d’intérêt public des Eglises bernoises
Les entreprises basées dans le canton de Berne pourront-elles bientôt échapper à l’impôt ecclésiastique? C’est en tout cas le souhait d’un groupe de parlementaires bernois, positionnés à droite de l’échiquier, qui ont déposé, au mois de juin, une motion demandant à ce que cet impôt devienne facultatif pour les personnes morales. «Il s’agit d’une étape supplémentaire dans la séparation de l’Eglise et de l’Etat», exprime le PLR Carlos Reinhard, son porte-parole. «Pour les particuliers, cet impôt se fait déjà sur une base volontaire. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune raison de ne pas accorder ce droit également aux entreprises.»
Dans ce canton à majorité protestante (46,1% de réformés contre 14,6% de catholiques selon les chiffres de 2021), l’intervention parlementaire suscite les craintes les plus vives au sein de l’Eglise réformée évangélique. «Les revenus de l’impôt paroissial des personnes morales s’élèvent à environ 30 millions de francs par année», indique Judith Pörksen Roder, présidente des Eglises réformes Berne-Jura-Soleure (Refbejuso). «Si les Eglises perdent une part substantielle de leurs revenus, elles se verraient obligées de faire des économies dans de nombreux domaines», alerte-t-elle.
Les croyants ne seraient d’ailleurs pas les plus touchées par ces mesures. «Le mandat spirituel, à savoir l’action ecclésial au sens religieux du terme, continuerait à être garanti. Les prestations d’intérêt général, dont bénéficient souvent des personnes distancées de l’Eglise, sans confession ou appartenant à d’autres confession (centres de consultation pour couples et familles, travail auprès des réfugiés, offres pour seniors et la jeunesse, la Main Tendue…) seraient par contre sensiblement réduites.» Tout comme les services d’aumônerie dans les hôpitaux, les écoles et la rue.
Ce n’est pas la première fois que l’impôt ecclésiastique est menacé dans ce canton. «Il s’agit d’une vieille revendication qui est discutée depuis au moins quinze ans durant chaque législature du Grand Conseil», observe Jan Gnagi, vice-président du Centre Suisse et par ailleurs responsable de la chancellerie de Refbejuso. «L’important est que les parlementaires comprennent que l’Eglise fournit des prestations essentielles de service public, qui, en cas de réduction des ressources en raison de pertes fiscales, devront être financées d’une manière ou d’une autre par les pouvoirs publics.»
Alors qu’il était député au Grand Conseil bernois, Jan Gnagi avait également déposé en 2021 un contre-projet visant à limiter les effets qu’aurait pu avoir une initiative similaire. «La motion intitulée "Impôt paroissial facultatif pour les personnes morales" n’a finalement pas été soumise au vote, nous avons donc également retiré la nôtre», renseigne-t-il.
La motion du PLR Carlos Reinhard n’arrive cependant pas aujourd’hui par hasard. S’il réfute la notion de «représailles» à l’endroit des prises de position de certaines paroisses en faveur de l’Initiative pour des multinationales responsables, le texte de sa motion y fait clairement allusion: «Les Eglises se prononcent de plus en plus fréquemment sur des sujets relevant de la politique économique, prenant position presque toujours à l’encontre des intérêts des personnes morales.» Interpellé sur ce point, il exprime qu’à ses yeux «les Eglises sont des organisations au même titre que les entreprises» et qu’«avant de continuer à critiquer leurs sponsors, il leur serait conseillé de répondre aux mêmes exigences en termes de responsabilité d’entreprise».
Les Eglises auraient-elles pris à ce moment-là des risques inconsidérés? «Il est vrai que ces prises de position engagées ont suscité la réticence d’une partie des milieux économiques et un accueil très mitigé de la part de la population», admet Judith Pörksen Roder. Pour autant, si elles estime qu’il «est du devoir de l’Eglise de s’engager aussi sur les questions éthiques», elle souligne que son «Eglise n’a jamais donné de consigne de vote, même si le fait de fixer des bannières aux clochers de certaines églises a pu donner l’impression du contraire à de nombreuses personnes».
Si la menace n’est pas nouvelle, l’inquiétude est palpable au sein de l’institution réformée bernoise. «Nous prenons très au sérieux la motion Reinhard», confie sa présidente. «De plus en plus de personnes, politiques compris, ont un lien de plus en plus ténu avec l’Eglise. Ainsi, les motions de ce type recueillent une plus large approbation qu’il y a encore quelques années.» Et de pointer encore le fait que «la notion d’impôt paroissial facultatif prête à confusion. L’impôt est par définition obligatoire; si on le déclare facultatif, ce n’est plus un impôt.»
Mais qu’en est-il alors de la possibilité donnée aux personnes physiques de s’en affranchir? Contacté, le professeur de droit fiscal de l’Université de Neuchâtel Thierry Obrist rappelle le cadre de la loi: «Dans les cantons où l’impôt ecclésiastique est obligatoire (lire l’encadré), seules les personnes physiques peuvent invoquer leur liberté religieuse pour ne pas payer d’impôt ecclésiastique pour une communauté religieuse à laquelle elles n’adhèrent pas.» Or, poursuit-il, «les personnes morales ne sont pas titulaires de la liberté religieuse et ne peuvent donc pas invoquer ce droit fondamental pour s’y soustraire».
La motion actuelle en appelle donc, de fait, à une «modification de la loi cantonale» visant à retirer aux Eglises leur statut de droit public, les autorisant précisément à prélever des impôts ecclésiastiques. Seraient alors impactées les Eglises réformée, catholique romaine et catholique chrétienne du canton. Affaire à suivre.
Impôt ecclésiastique, une affaire cantonale
BE, JU, FR Les Eglises historiques ont un statut de droit public, l’impôt ecclésiastique y est obligatoire.
VD Aucun impôt à proprement parler n’y est perçu: les Eglises historiques bénéficient d’une subvention de l’Etat, couverte par les impôts généraux.
VS Les frais de culte sont à la charge des communes, autorisées en cas de besoin à prélever une contribution ecclésiastique.
NE Bien que soumises au droit privé dans ce canton laïc, les Eglises réformée, catholique romaine et catholique chrétienne sont reconnues comme «institutions d’intérêt public» pouvant bénéficier d’une contribution ecclésiastique volontaire (personnes physiques et morales).
GE Soumises au droit privé en raison d’une séparation stricte entre l’Etat et l’Eglise, les Eglises réformée, catholique romaine et catholique chrétienne sont «reconnues d’utilité publique». Elles peuvent percevoir une «contribution religieuse volontaire», mais uniquement des personnes physiques.