«L'Arménie a définitivement perdu le Haut-Karabakh»

«L'Arménie a définitivement perdu le Haut-Karabakh»

La présidente des protestants suisses Rita Famos est actuellement en visite en Arménie. Elle a été surprise, mardi 19 septembre, par l’offensive de l’Azerbaïdjan et indique que, depuis, les bombardements n’ont pas cessé, malgré le cessez-le-feu annoncé.

Hasard du calendrier, la présidente de l’Eglise évangélique réformée de Suisse Rita Famos se trouvait en Arménie, mardi 19 septembre, lors du début de l’offensive militaire de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh. La pasteure protestante y accompagnait une délégation du Conseil œcuménique des Eglises (COE), lors d’un voyage de quatre jours, du 18 au 22 septembre. Elle a accepté de nous rendre compte de la situation, qui ne s’est pas améliorée mercredi, et ce malgré l’annonce d’un cessez-le feu. Interview.

Vous deviez vous rendre, mardi, au dernier check point avant le corridor de Latchin qui mène au Haut-Karabakh. Que s’est-il finalement passé?

Nous avons dû nous arrêter environ 2 km avant le point de contrôle car il y avait des tirs dans la zone du point de contrôle et ils ne pouvaient pas garantir notre sécurité. On apprenait alors que l'Azerbaïdjan avait attaqué le Haut-Karabakh. Les bombardements n’ont pas cessé.

La voie est-elle fermée également aux aides humanitaires?

Oui, à l'exception d'un camion transportant de la nourriture qui a étrangement réussi à passer lundi, le couloir est fermé depuis la mi-juin. Je soupçonne que même aujourd’hui, après le «cessez-le-feu», il n’y a aucune issue car les combats continuent malgré tout.

Avez-vous constaté des mouvements de population?

Non, depuis décembre, la Croix-Rouge n'a pu effectuer que quelques transports de patients. Il n'y a aucun moyen de passer par-là. La situation humanitaire est précaire. L'une des raisons de notre voyage était de sensibiliser le public à cette catastrophe humanitaire. Mais comme vous le savez, la situation a radicalement changé ces dernières vingt-quatre heures. L'Arménie a définitivement perdu le Haut-Karabagh et l'avenir des 120 000 Arméniens qui y vivent est incertain.

Quelles sont les informations officielles que l’on vous donne sur place sur les derniers événements?

L'Arménie est très préoccupée par le fait que l'agression de l'Azerbaïdjan ne cessera pas et que de nouvelles pertes territoriales risquent de se produire, à moins que la communauté internationale n'intervienne. Il appartient désormais à la Suisse, qui préside le Conseil de sécurité de l'ONU, de mettre cette question à l'ordre du jour afin que l'Arménie puisse conserver sa souveraineté au regard du droit international.

«Je ne sais pas si nous nous réveillerons demain, mais j'espère que vous vous souviendrez de nous pour avoir résisté à ce génocide avec dignité»
Une habitante du Haut-Karabakh, depuis un abri atomique

Avez-vous pu avoir des contacts avec des personnes vivant dans le Haut-Karabakh? Que vous disent-ils?

Notre délégation comprend trois Arméniens de la diaspora. Ils sont en contact avec leurs amis via WhatsApp. Ce qu’ils disent est inquiétant. Par exemple, une de ces personnes a écrit sur Facebook ceci: «Après avoir souffert de la faim pendant neuf mois, nous nous trouvons maintenant dans un abri anti-bombes, où nous dormons avec des enfants qui, hier, rêvaient de pain et qui, aujourd'hui, rêvent de se réveiller demain.» Elle concluait ainsi: «Je ne sais pas si nous nous réveillerons demain, mais j'espère que vous vous souviendrez de nous pour avoir résisté à ce génocide avec dignité.»

Quel était le but de ce voyage?

Nous voulions avoir une idée précise de la situation sur place. L’Azerbaïdjan bloque depuis des mois les routes d’accès au Haut-Karabakh. Les quelque 120 000 personnes qui y vivent, dont 30 000 enfants, meurent de faim depuis neuf mois. Nous voulions montrer notre solidarité avec ces personnes et nos frères et sœurs locaux dans la foi et attirer l'attention du public sur ce sujet.

Vous attendiez-vous, vous ou vos accompagnateurs arméniens, à pareille escalade?

Non, certainement pas. Nous savions que la situation était tendue, mais nous ne nous attendions pas à ce que les Arméniens perdent tous leurs droits au Haut-Karabagh en vingt-quatre heures.

Comment se sont déroulées les dernières heures, y a-t-il eu de nouvelles attaques?

Oui, malheureusement, même après le cessez-le-feu. C'est très inquiétant. Il n’y a ni nourriture ni soins médicaux et nous ne savons pas ce qui arrive à la population sous la domination azerbaïdjanaise. Nous entendons parler de plans d'évacuation. Mais ce serait dévastateur pour la population arménienne. Nous sommes également très préoccupés par le patrimoine culturel mondial constitué d'innombrables églises et monastères ainsi que de tombes ornées de célèbres croix, certaines datant du IVe siècle.

Quel regard portez-vous sur les enjeux religieux derrière ce conflit territorial? Sont-ils réels ou de l’ordre du prétexte?

Les différences religieuses ne sont jamais une véritable raison pour la guerre. Mais il ne s’agit pas simplement d’un conflit territorial, mais d’un génocide qui a commencé il y a cent ans en Turquie et se poursuit au Karabakh. Les organisations de défense des Droits de l'homme et plus récemment (début août, ndlr.), l'ancien procureur général de la Cour pénale internationale Luis Moreno Ocampo ont tiré la sonnette d'alarme et parlé ouvertement du génocide contre la minorité chrétienne.

Plus largement, que représente le Haut-Karabakh pour les chrétiens?

C'est un lieu de culture chrétienne depuis le IVe siècle. Par exemple, le monastère d'Amaras remonte au IVe siècle. C'est un berceau du christianisme. Un héritage commun à tous les chrétiens.

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