Hors des églises, le Tout-Puissant a la cote
Photo: CC(by-nc) Chris Goldberg
Par Aline Jaccottet
Désertion des églises ne signifie pas abandon de la foi. C’est ce que prouve pour la première fois et à large échelle l’étude de l’OFS publiée vendredi. Un premier chiffre pour le démontrer: dans notre pays, près d’une personne sur deux affirme croire en un Dieu unique, et une sur quatre en une sorte de puissance supérieure. Ce alors qu’un cinquième de la population (22%) se dit sans confession. «Croyances, pratiques et appartenances ne sont plus forcément liées. Ce que nous pressentions est confirmé par cette étude», relève Irene Becci Terrier, professeure assistante à l’Observatoire des religions en Suisse et à l’Université de Lausanne.
La foi, une ressource importanteParmi les personnes qui ne se reconnaissent dans aucune institution, une sur dix affirme croire en un Dieu unique et près d’un tiers en une puissance supérieure. Les croyances de type ésotérique ont également la cote: parmi les personnes sans sans confession, 41% des individus interrogés par l’Office fédéral de la statistique estiment que des personnes possèdent un don de guérison ou de voyance, et ils sont 29% à affirmer l’existence d’une vie après la mort. Ainsi, la spiritualité tient toujours une place prépondérante. Elle est d’ailleurs reconnue comme une ressource par 56% des personnes interrogées tandis que 47% l’estiment importante face à la maladie, et 47% dans l’éducation des enfants.
Un Dieu unique qui rassembleCette spiritualité est particulièrement diversifiée au sein même des Eglises. Un cinquième des catholiques et près d’un tiers des protestants s’identifient à la croyance en une sorte de puissance supérieure et non en le monothéisme strict, porté principalement par les communautés évangéliques et les musulmans (la croyance en un seul Dieu est affirmée par 92% et 90% des personnes rattachées à ces communautés). «Les croyances et les pratiques venues d’autres horizons tels que le yoga forment un syncrétisme qui s’invite jusque dans les institutions bien établies, ce qui n’était pas forcément le cas il y a quelques années», commente Irene Becci Terrier.
Les églises pour les mariages et les enterrementsLa croyance et l’appartenance ne vont ainsi plus forcément de pair, et les lieux de cultes traditionnels sont désormais fréquentés principalement pour de grands événements qui continuent à marquer l’identité sociale, comme les baptêmes, les mariages et les enterrements. Ce phénomène que l’on pressentait est désormais chiffré par l’OFS, qui relate que deux tiers des personnes interrogées s’est rendue au maximum 5 fois dans l’année dans un lieu de culte pour y suivre un service religieux collectif. Et parmi celles et ceux qui ont mis les pieds à l’église entre une et cinq fois au cours des douze derniers mois, l’écrasante majorité (87%) l’a fait à l’occasion d’un mariage, d’un enterrement ou d’un baptême.
Près d’un musulman sur deux ne va pas à la mosquéeCette désaffection ne touche pas que les lieux de culte chrétiens. Ainsi, près d’un musulman sur deux (46%) n’a participé à aucun service religieux collectif au cours des douze derniers mois, un chiffre qui va à l’encontre de bien des idées reçues sur la supposée religiosité de cette communauté. Le désamour pour le religieux ne s’exprime pas qu’à travers l’absence à la mosquée: les musulmans sont proportionnellement plus nombreux (40%) à n’avoir jamais prié au cours des douze derniers mois que les protestants (34%) et les catholiques (26%).
Chez les communautés évangéliques, c’est tout le contraire. Près des trois quarts de ces croyants suivent un office religieux au moins une fois par semaine, un tiers prie plusieurs fois par jour et la moitié tous les jours, ou presque.
Une foi au fémininEnfin, la spiritualité et la religion sont davantage investies par les femmes: elles sont 35% à prier tous les jours ou presque, contre 20% des hommes. Les chiffres de l’OFS montrent également qu’elles croient davantage en l’existence des anges, du don de guérison et de voyance et qu’elles pratiquent davantage des exercices spirituels. «La sécularisation et le travail à l’extérieur ont enlevé aux hommes le temps dont ils disposaient pour la religion, contrairement aux femmes qui jusqu’à aujourd’hui, sont plus souvent engagées à temps partiel. Par ailleurs, les religions ritualisent beaucoup des étapes de la vie, qu’elles vivent avec plus d’intensité», explique Irene Becci Terrier, professeure assistante à l’Observatoire des religions en Suisse et à l’Université de Lausanne.
Les guérisseurs prisés des Romands
En matière de guérisseurs, la Suisse connaît un étonnant Röstigraben. Y recourir est plus populaire en Suisse romande qu’en Suisse alémanique et en Suisse italienne (13% contre 4% et 5%). Les grigris sont en revanche davantage prisés par les Alémaniques que par les italophones ou les Romands (23% contre 20% et 19%).
EJ
Micro-trottoir
Lara Itaoui
26 ans
étudiante
Lausanne
musulmane
«Je ne porte pas le voile et je mange du porc. Je crois en Dieu, mais je ne suis pas pratiquante». Lara Itaoui a grandi dans une famille musulmane, avec un père agnostique et une mère non pratiquante. «Je suis née musulmane et je le suis restée». Et même si elle ne pratique pas sa religion, Lara Itaoui l’assume pleinement. «Quand je dis que je suis musulmane, on me charrie sur les extrémistes. Je réponds qu’ils interprètent mal le Coran.»
EJ
Fabrice Tedeschi
31 ans
secrétaire politique
Fribourg
athée
«Je suis sûr qu’il n’y a rien. Je n’ai aucun doute, contrairement à un agnostique. Mais j’aimerais bien y croire. Ça fait moins peur de croire». La conviction de Fabrice Tedeschi est venue petit à petit. «Je n’ai jamais été pratiquant et j’ai eu des doutes pendant longtemps, mais au milieu de ma vingtaine, je me suis clairement dit “je n’y crois plus”». Avec son travail, Fabrice Tedeschi discute de politique religieuse. «Je traite des questions du voile, de l’antisémite, mais je ne parle pas de spiritualité.»
EJ
Sarah Blanc
37ans
psychologue
Yverdon-les-Bains
taoïste.
«Le taoïsme est une pensée qui touche toutes les sphères de l’existence et la spiritualité fait partie intégrante de ma vie». Adepte de cette philosophie depuis fin 2013, Sarah Blanc l’a découvert un peu par hasard. «Je participais à des cours de Qi Gong, une gymnastique traditionnelle chinoise et lors d’un séminaire, j’ai fait la rencontre de maîtres taoïstes. J’ai tout de suite ressenti une très forte résonance au niveau de mon cœur. J’avais l’impression d’avoir enfin rencontré des personnes qui pensaient comme moi.»
LV
Benjamin Vaytet
23 ans
étudiant
Neuchâtel
réformé-évangélique
«Je ne fais pas de différence entre ma vie spirituelle, intellectuelle et psychique, dans le sens où ces 3 domaines sont intimement liés». La spiritualité a toujours fait partie de la vie de Benjamin Vaytet. «Je chante, je prie ou je lis. Je peux pratiquer plusieurs fois par jour selon mes besoins». Bien que Benjamin Vaytet soit autant à l’aise dans une Eglise réformée qu’évangélique libre, il trouve que «l’accent de la spiritualité vécue est plus fort dans les Eglises évangéliques, mais comme tout type d’institution, il y a des choses bonnes et des choses regrettables».
EJ
Photos: DR
Appartenance religieuse: Vaud se base sur les chiffres de l’OFS
Comment mieux connaître le paysage religieux vaudois? Cette question a été posée en septembre 2013 dans une interpellation du député au Grand Conseil vaudois Philippe Uffer. Ce mercredi 20 avril, le Conseil d’Etat a mis fin aux réflexions autour de cette problématique en décidant de s’appuyer sur les chiffres fournis par le recueil systématique de l’Office fédéral de la statistique, puis de miser sur le développement de la cyberadministration pour mettre en place, dans le futur une solution de collecte de l’appartenance religieuse.
Le Canton de Vaud ne connaissant pas d’impôt ecclésiastique, la question de l’appartenance religieuse des citoyens ne fait pas l’objet, aujourd’hui, d’un suivi aussi rigoureux que dans d’autres cantons. C’est seulement à l’occasion d’un emménagement dans une nouvelle commune que les citoyens peuvent déclarer appartenir à l’une des trois communautés religieuses reconnues (Eglise réformée vaudoise, fédération catholique vaudoise ou communauté israélite de Lausanne). Une situation un peu en décalage avec les pratiques religieuses actuelles.
Mais les différents scénarios évalués pour obtenir une meilleure photographie de l’état actuel du paysage religieux vaudois en passant par ce formulaire sont peu probants. Ajouter une liste plus large de communautés tout en précisant que cette question est facultative nécessiterait des coûts administratifs importants, en raison de questions que cela susciterait. Par ailleurs, des frais de développement informatique conséquent seraient à la charge du canton et des communes. Et cette méthode ne permet de toute façon pas d’obtenir des chiffres fiables avant plusieurs années, puisque cette question n’est posée que lors d’un déménagement.
JoB