Malgré son succès, l’étude du fait religieux ne sera pas obligatoire au gymnase

Malgré son succès, l’étude du fait religieux ne sera pas obligatoire au gymnase

Les enseignants du secondaire déplorent l’absence de l’enseignement des religions dans la liste des disciplines fondamentales établies par la nouvelle ordonnance sur la maturité fédérale, adoptée le 28 juin par le Conseil fédéral. Explications.

La messe est dite: l’enseignement du fait religieux ne sera pas imposé au niveau gymnasial, comme l’espéraient différents acteurs de la société civile. A commencer par les enseignants du secondaire, pourtant en première ligne pour juger de la nécessité de rendre un tel apprentissage obligatoire ou non.

Dans le cadre de la consultation relative à la révision totale de l’ordonnance sur la reconnaissance des certificats de maturité gymnasiale (ORM), ces derniers avaient en effet prononcé, par la voix de leur faîtière nationale – la Société suisse des professeurs de l’enseignement secondaire (SSPES) –, leur interpellation sans équivoque.

«La SSPES regrette que la proposition présentée ne règle pas l’ensemble des problèmes identités à l’échelon national», postulaient-ils. Et de préconiser, en premier lieu, «une obligation plus contraignante» concernant la branche «philosophie et/ou religions», pour laquelle sa «Conférence des présidents exige à une nette majorité une obligation dans tous les cantons».

Revirement décevant

Au final, aucune de ces deux branches – combinées ou non – n’aura été retenue dans la liste des disciplines fondamentales, soit obligatoires dans toute la Suisse. Et alors que le projet soumis à consultation octroyait pourtant aux cantons la possibilité de rendre obligatoire ces enseignements à l’échelle cantonale, à l’arrivée, seule la philosophie tire un brin son épingle du jeu, en gardant ce potentiel d’«être proposée comme discipline fondamentale secondaire».

De son côté, l’enseignement du fait religieux passe au niveau fédéral à la trappe, ou plutôt perdu dans le magma invisible de toutes les disciplines supplémentaires pouvant être proposées par les Cantons– le texte final ayant renoncé à établir une telle liste.

Mais que s’est-il donc passé? Laurent Droz, responsable du projet de révision pour le compte de la Conférence des directeurs et directrices d’établissements cantonaux de l’Instruction publique (CDIP), se veut nuancé. «Je ne parlerais pas d’un retour en arrière, puisque dans les faits, le statu quo demeure», explique-t-il. Il admet toutefois que «le projet proposé esquissait effectivement un pas en avant.»

En cause de ce revirement, «principalement la position des Cantons, soucieux de ne pas complexifier encore davantage la grille horaire des élèves», indique-t-il. En Suisse romande, l’opposition claire est venue des cantons de Genève et Fribourg (lire encadré). Pour leurs parts, Vaud, Neuchâtel, Berne et le Valais ne se sont simplement pas prononcés sur la question. Sur l’ensemble du territoire helvète, on compte à l’heure actuelle « «entre 8 et 10 cantons sur 26 où l’enseignement sur les religions est obligatoire», renseigne Laurent Droz. «Et je suis convaincu que ceux-ci vont le maintenir».

Une liberté défavorable

Contacté en cette semaine de rentrée, le président de la SSPES Lucius Hartmann confirme la déception des professeurs du secondaire. «A une époque où des conflits d’origine religieuse couvent en différents endroits du monde, une telle perspective est importante et fait partie intégrante de la culture générale», exprime-t-il. La décision de ne pas faire rentrer ces deux disciplines dans la liste des branches obligatoires – contrairement à l’informatique et «économie et droit» –  leur apparaît dès lors incohérente.

«L’un des objectifs de la filière gymnasiale est précisément de "développer la sensibilité éthique" des étudiants», expose-t-il. Et ce, dans la perspective d’acquisition d’une «maturité sociale» (entendue comme  «la capacité à assumer des responsabilités exigeantes au sein de la société»), l’un des deux objectifs majeurs que souhaitait justement renforcer cette révision. «Il serait donc logique d’introduire l’enseignement du religieux comme matière fondamentale», soutient-il. Sans quoi, «le risque existe alors que les candidats à la maturité qui n’ont pas suivi un enseignement en philosophie et religion n’acquièrent pas ou pas suffisamment ces compétences».

Représentant la CDIP, Laurent Droz rappelle qu’un enseignement sur les religions «existe en tant qu’option complémentaire dans presque tous les cantons». Et de préciser que celle-ci «rencontre d’ailleurs beaucoup de succès».

«Lorsqu’un discipline n’est pas obligatoire, elle est en concurrence avec d’autres offres», répond le président de l’association des enseignants du secondaire. Il n’est alors pas possible pour les élèves de la choisir sans renoncer à d’autres disciplines.»

«Occasion manquée»

Contactée à son tour, l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) exprime également «regretter que le Conseil fédéral n’ait pas inscrit les religions comme discipline fondamentale obligatoire dans la nouvelle ordonnance». Loin de prêcher pour sa propre paroisse, la faîtière protestante estime qu’ «une discipline Religions aurait contribué à la compréhension mutuelle des religions et donc à la paix religieuse en Suisse».

Du point de vue des Eglises, «étudier les religions permet aux jeunes de découvrir différentes croyances, rituels et systèmes de valeurs. Ces connaissances créent les conditions nécessaires à une compréhension plus profonde de la diversité des pratiques religieuses et jettent les bases pour la tolérance et le respect envers les autres communautés de foi.»

Ruth Pfister, responsable du dicastère de la formation et de la culture au sein du Conseil de l’EERS, parle d’une «occasion manquée» pour le paysage éducatif suisse. «Il incombera encore aux cantons de décider de la manière dont ils entendent traiter la discipline religions dans les gymnases. Ainsi, la Suisse reste un patchwork en ce qui concerne l’enseignement du fait religieux.»

Disparités frappantes 

Entre absence et obligation, l’enseignement du fait religieux au dépend entièrement du vouloir des Cantons, à commencer par son seul intitulé. Tour d’horizon au niveau gymnasial.

BERNE

Le canton de Berne  propose une option complémentaire «Sciences des religions», à raison de 2 périodes durant les deux dernières années de formation.

FRIBOURG

La branche «Sciences religieuses» est une discipline obligatoire dans le canton (deux heures hebdomadaires en 1re année). Elle peut également être dispensée en option complémentaire à choix en 3e et 4e années, à raison de 2 heures par semaine.

GENEVE

Aucune branche n’est dédiée à l’enseignement du fait religieux. Il n’est pas non plus prodigué dans le cadre d’une autre discipline.

JURA

La discipline «Science des religions» est proposée en tant qu’option complémentaire, à hauteur de 2 périodes en 2e et 3e années.

NEUCHÂTEL

Aucune branche n’est consacrée au fait religieux. Un chapitre de l’enseignement en philosophie (obligatoire dans le canton) lui est cependant consacré sous l’intitulé «Connaissance des religions».

VALAIS

Le cours «Ethique et cultures religieuses» est obligatoire. Deux périodes d’enseignement lui sont consacrées durant la 1re année, puis une période en 2e année.

VAUD

Au gymnase, la discipline nommée «Histoire et science des religions» est proposée en tant qu’option complémentaire à choix (3 périodes par semaine) pour les élèves de 3e année.