Aux petits soins de l’âme
«Dans de nombreux cas d’hospitalisation, la réponse purement médicale est bien souvent insuffisante», exprime Bruno Lab, responsable du pôle humanitaire et aumôneries des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Selon cet infirmier de formation, à la tête d’une quarantaine d’accompagnants spirituels, «une vision holistique du soin inclut forcément l’aspect spirituel». La religion, donc? Pas seulement. «La dimension spirituelle englobe le religieux. Elle concerne plus largement le sens qu’un patient donne à la vie et comment il pense sa place dans le monde», relève Cosette Odier, ancienne responsable de la formation et de l’enseignement à l’aumônerie du Centre hospitalier et universitaire vaudois (CHUV, où l’équipe compte vingt intervenants.
Mais pour soigner quoi, alors? L’âme? «Prêter attention à la spiritualité d’un patient revient davantage à prendre soin qu’à soigner», précise Cosette Odier, qui rappelle que le spiritual care n’est pas là pour apporter des réponses thérapeutiques. «Il s’agit d’être à l’écoute de questionnements existentiels, d’autant plus présents lorsque survient une maladie ou tout autre problème nécessitant une prise en charge médicale», poursuit la formatrice. «Le patient peut notamment se demander pourquoi ce problème de santé lui arrive à ce moment de son existence, et pourquoi à lui plutôt qu’à un autre.»
Le travail des accompagnants spirituels, selon le professeur Pierre-Yves Brandt, spécialiste en psychologie de la religion à l’Université de Lausanne, peut également se révéler essentiel auprès des personnes âgées. «Lorsqu’on atteint un âge avancé, il est difficile de se projeter dans l’avenir. Il est alors question de réaménager cet horizon qui se rétrécit.» Et d’ajouter que «l’accompagnement spirituel va alors concerner l’envie de vivre, et la capacité de la personne à habiter un présent précédé par tout un parcours de vie déjà bien rempli, qu’il est nécessaire de prendre en compte».
«L’importance donnée au soin spirituel a commencé à être prise en compte à la fin des années 1970, alors qu’on s’est mis à prendre des distances avec les institutions religieuses», explique Mario Drouin, actuel responsable de la formation et de l’enseignement à l’aumônerie du CHUV. Selon lui, le fait de s’intéresser à la spiritualité hors de tout carcan dogmatique, et ce bien que les intervenants soient encore majoritairement salariés par les Eglises, est le produit d’un «phénomène d’individualisation. On est passé d’un système de société communautaire à un besoin de reconnaissance personnelle». Un changement que Pierre Yves-Brandt impute à un certain «rejet de bon nombre d’autorités institutionnelles. L’importance conférée à la spiritualité témoigne donc d’une revendication à être soi-même à l’origine de ses propres références.»
Le risque? Une confusion avec la psychologie. «Le flou entretenu autour de l’identité religieuse des accompagnants spirituels que demande cette focalisation sur le patient peut effectivement rendre leur posture très proche de celle des psychologues», admet Pierre-Yves Brandt. Toutefois, la plus-value de la prise en charge spirituelle dans le milieu des soins ne serait plus à prouver: «Avant tout, la psychologie est appelée à poser un diagnostic. Le but de l’accompagnement spirituel est d’entretenir les ressources intérieures qu’a le patient pour affronter la maladie et les bouleversements qu’elle entraîne au quotidien», précise Mario Drouin.
De l’avis de Cosette Odier, «soin spirituel et psychologie, en Suisse romande, sont complémentaires. L’accompagnant spirituel a d’ailleurs besoin de connaître les informations sur le psychisme d’un patient afin d’offrir un soutien adéquat». Et Pierre-Yves Brandt de détailler d’autres différences pratiques entre les deux disciplines: «Le psychologue a tendance à fonctionner d’une façon beaucoup plus formelle. Il vient sur rendez-vous, au contraire de l’aumônier, qui peut intervenir au pied levé si nécessaire.»
Ainsi, toujours mieux considérée, l’attention aux besoins spirituels des patients en milieu hospitalier ne se limiterait d’ailleurs plus au seul travail des intervenants spécialisés. «Le personnel soignant a vraiment tout intérêt à reconnaître la plus-value de ces interventions, car savoir comment le patient se perçoit et connaître son système de valeurs peut réellement aider à améliorer les soins qui lui sont prodigués», assure Mario Drouin. «Une majorité de soignants est attentif à la dimension spirituelle des patients, car eux aussi ont besoin de donner du sens à leurs soins», relève pour sa part Cosette Odier. Elle ajoute même qu’il n’est «pas rare de voir des équipes soignantes convier les accompagnants spirituels à leur réflexion sur le soin».
Une pratique mise en lumière pendant la pandémie de Covid, durant laquelle Pierre-Yves Brandt a pu constater un réel manque à ce niveau-là: «Une de nos études a montré que le fait de négliger la dimension spirituelle, dans un souci certes légitime de répondre en premier lieu aux injonctions sanitaires, a pu être dommageable pour certaines personnes.» Toutefois, en cas de nouvelle pandémie, il n’est «pas certain que l’on ferait beaucoup mieux». En cause, un manque de moyens déploré par Cosette Odier: «Les Eglises ne peuvent pas faire plus, car elles-mêmes sont actuellement dans des situations compliquées.» Et si les hôpitaux devenaient davantage employeurs? «Ce serait la suite logique, car le soin spirituel, c’est l’avenir des soins.»