Du Lausanne Palace à l'Eglise, elle a mené sa barque

Du Lausanne Palace à l'Eglise, elle a mené sa barque

La fille du conseiller fédéral vaudois, aujourd’hui communicante pour l’Eglise réformée, n’a cessé de se réinventer et d’affirmer son identité propre.

De l’accueil, elle dit se faire une haute idée. Elle nous reçoit amicalement dans son bureau, en cette chaude fin d’après-midi, le brushing impeccable et la classe impassible. Carole Delamuraz travaille sous les poutres historiques de la «maison des Cèdres», siège de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV). Elle y gère l’Office information et communication.

Et puisqu’elle se dit spécialiste de la «gestion de crise» sur LinkedIn, on tente une petite provocation… Dans une Église où l’Exécutif a accusé quatre démissions lors de la législature en cours, cette compétence doit lui être bien utile, non? «Je ne parlerais pas de crise, mais plutôt de difficulté institutionnelle», répond-elle tout de go sans se démonter, en bonne communicante. «C’est un temps fort que traversent les réformés. Une évolution vers du renouvellement, du différent.»

Il faut dire que cette quinqua chic, célibataire sans enfants, a traversé des instants bien plus noirs à titre personnel. Car si son métier est de dire «ce qui fonctionne formidablement dans l’Église», de même qu’elle en traduit les moments plus complexes, elle a elle-même connu ciels bleus et orageux lors de la carrière politique de son père. «Nous étions sous protection policière», se souvient-elle, lorsque au début des années 90, le conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz, milite pour l’entrée de la Suisse dans l’Espace économique européen (EEE). «Dans certains esprits extrémistes, un amalgame a été fait entre l’homme public et la personne privée», se rappelle-t-elle encore, évoquant de nombreuses menaces de morts et des intimidations.

Vocation

«Même lorsque c’était rude et violent, il retournait à la bataille», souffle-t-elle, évoquant avec amusement le souvenir de «la porte d’entrée qui claquait, inlassablement, dès les petites heures du matin». Pour parler de lui, elle a alors des mots comme «vocation», «incandescence» ou «transcendance». Du vocabulaire religieux, ou presque? Elle nous voit venir: «Bien sûr que des liens existent entre politique et religion…» Pour Carole Delamuraz, il y a aussi, en Église, «des enjeux de pouvoir, de la tactique et de l’alliance». Elle se félicite d’ailleurs de l’entrée de Philippe Leuba au Conseil synodal: «Cela permet un équilibrage sain des forces laïques.»

Et la foi, dans tout ça? Dans une interview donnée à «L’Hebdo» en 1998, son père confiait avoir voulu la transmettre à ses deux enfants – elle a un frère aîné, Alain, CEO d’une grande marque de montres suisses. «Le religieux au sens strict du terme peut sembler limité de nos jours, confie-t-elle. Les mots spiritualité ou quête de sens font plus écho en moi.»

«Peu adepte des automatismes et du prêt-àpenser» que suppose souvent la transmission familiale, Carole Delamuraz se dit détentrice de valeurs cardinales à ses yeux – «bienveillance, transparence et exigence» – qui ont conduit l’entier de sa carrière professionnelle. Son frère, à son sujet, évoque aussi «un certain esprit de rébellion, et une capacité à se mettre en porte-àfaux avec les règles toutes faites».

Après de courtes études, qui l’ont notamment amenée à passer des brevets fédéraux en communication et en relations publiques au SAWI, elle commence une carrière dans la pub, avant de flairer quelque chose… «À l’aube des années 2000, juste un poil avant le boom du web, je crée une société de communication numérique avec trois associés.» La joyeuse équipe conçoit alors des sites pour Nespresso, Fiat ou Omega. Une expérience «un peu pionnière» qui leur permet une revente confortable de l’affaire à un investisseur britannique, «juste avant l’éclatement de la bulle spéculative internet en 2000».

Vincent Jaton, aujourd’hui muséographe, a fait partie de l’aventure. Il se souvient que Carole Delamuraz avait vu là «une façon d’innover tout en restant dans son domaine. Pas besoin de maîtriser complètement les choses, Carole comprenait très vite.» Folle de voyages, Carole Delamuraz est heureuse d’avoir pu sillonner le monde et ainsi cultiver son goût de l’ailleurs. Parmi ses plus belles escapades, elle cite le Myanmar, l’Islande, le Cambodge, mais aussi la Bretagne avec son «capitaine» de père, ou le Luberon, où elle se rendra cet été.

Olympisme et hospitalité de luxe

Avant de prendre son poste à l’EERV, Carole Delamuraz assuré la communication de deux institutions lausannoises. D’abord le Musée olympique, où elle restera neuf ans jusqu’en 2012, puis le Lausanne Palace, où elle entre en 2013 et restera quatre années. A propos du premier poste, elle met en avant «le dépassement de soi et le fair-play du mouvement olympique». Concernant le deuxième, elle parle «d’hospitalité, de "gîte et de couvert" même dans le luxe!». L’accueil, en somme. Notamment de stars du show-biz, que Carole Delamuraz ne nommera pas, le secret professionnel visiblement chevillé au corps.

Côté noms célèbres, elle cite toutefois ceux de ses artistes fétiches. En musique, c’est Elvis Costello, le rockeur dont elle aime la capacité talentueuse «à toujours se réinventer». En arts visuels, c’est Jean-Michel Basquiat. Elle assure qu’elle ira très prochainement voir l’expo que lui consacre actuellement la Fondation Beyeler. «J’admire son talent brut, sa fulgurance et son urgence», déclare-t-elle.

Et son urgence à elle? «Tout simplement, incarner un esprit de service associé à des valeurs moteurs», à l’image de son célèbre papa. Selon elle, c’est ce qui lui aurait plu, à la voir prendre ses fonctions au sein de l’Eglise réformée. Forte d’une carrière foisonnante, Carole Delamuraz semble avoir respecté le mantra que l’ancien conseiller fédéral, fou de voile, répétait toujours en se lançant sur le Léman: «Il n’y a pas d’horizon, tout est possible.»

BIO

1967 Naissance à Lausanne, le 3 août.

1983 Jean-Pascal Delamuraz, son père, est élu au Conseil fédéral. Avec son épouse, il quitte son appartement d’Ouchy, où Carole va vivre seule avec son frère Alain.

1992 Obtient un diplôme de communication à New York et un autre au SAWI.

1997 Crée E-Media, une boîte de communication numérique, qu’elle revend en 2000.

2003 Devient cheffe de la communication du Musée olympique pour le compte du CIO, puis du Lausanne Palace en 2013.

2018 Entre à l’EERV en tant que responsable de l’information et de la communication.