Suffit-il d’être vieux pour avoir droit à Exit?
«Si vous avez 80 ans, que vous êtes un peu sourd et avez de la peine à vous déplacer, Exit viendra sans problème vous aider à partir», alerte un pasteur romand. Préférant rester anonyme, ce ministre se souvient notamment d’un couple au sein duquel «le mari était atteint d’un lourd Parkinson, et qui s’est suicidé avec son épouse – en dépression mais bien portante». Un témoignage qui rappelle l’affaire Pierre Beck, dont la patiente octogénaire et en bonne santé avait clairement formulé son envie de rejoindre son mari décédé.
«Cela devient du grand n'importe quoi», accuse le pasteur, pour qui le récent acquittement de Pierre Beck, ancien-vice président de la section romande d’Exit, est le signal d’un «glissement» pour le moins inquiétant. Il n’est d’ailleurs pas le seul à pointer la facilité toujours plus grande qu’auraient les personnes âgées à accéder au suicide assisté. «C’est devenu une vraie porte de sortie», dénonce une aumônière vaudoise en EMS. Ayant récemment visité une personne «sourde, aveugle, mais en bonne santé» qu’Exit aurait depuis aidée à mourir, cette aumônière se questionne. «Proposera-t-on bientôt à nos grands-parents de demander Exit plutôt que d’aller en EMS?»
Publié en février, un communiqué de presse d’Exit Suisse indique que «de plus en plus de personnes âgées souffrant de troubles ou de maladies multiples (polymorbidité) optent pour une mort autodéterminée».
«Ce qu’a fait Pierre Beck, en évitant à cette dame de se jeter en bas d’un pont comme elle menaçait de le faire, est honorable. Mais cette personne ne correspondait pas à nos critères», assure Gabriela Jaunin, coprésidente de l’association Exit Suisse romande.
Dénonçant de la «provocation» dans le geste du médecin, elle confie d’ailleurs «ne pas comprendre personnellement cet acquittement», et craindre qu’il ne fasse jurisprudence.
«Cela veut dire, en somme, que n’importe quel médecin pourrait faire une ordonnance de pentobarbital à un patient», ajoute-t-elle. Et d’appeler à la mise en place d’«un cadre juridique encore plus strict».
Si elle se dit contre l’idée d’aider «toute personne en bonne santé» à mourir, Gabriela Jaunin rappelle toutefois que, depuis 2014, la seule condition des «souffrances intolérables» a été élargie par l’association. Alors qu’elle y était «opposée à l’époque», elle adhère aujourd’hui à la nouvelle règlementation, selon laquelle présenter des «polypathologies invalidantes» permet également de demander le suicide.
Ces dernières survenant irrémédiablement avec l’âge, la seule vieillesse serait-elle donc un motif suffisant pour demander à partir de la sorte? «Nous n’aidons pas les gens qui n’ont rien. Il faut être atteint dans sa santé», répond-elle.
En mai 2022, la Fédération des médecins suisses (FMH) décidait de calquer ses directives en matière de suicide assisté sur celles de l’Association suisse des sciences médicales (ASSM). Celles-ci stipulent que l’assistance au suicide de personnes en bonne santé n’est pas admissible d’un point de vue médico-éthique. «Ces directives vont peut-être trop loin», réagit pour sa part Annette Mayer, théologienne catholique et accompagnante spirituelle au CHUV. «Les critères de la souffrance et de la qualité de vie sont de l’ordre l’appréciation personnelle.»
Une vision que partage Ralf Jox, neurologue et palliativiste du CHUV spécialisé en éthique médicale. Il appelle à «être plus humble par rapport à notre capacité de jugement de la souffrance. En tant que médecin, il aurait «de la peine à accéder à la demande de suicide de la part d’une personne en bonne santé», confie-t-il. Tout en admettant qu’il «puisse y avoir des exceptions, par exemple si la personne est tellement âgée qu’elle peut considérer être arrivée au bout de sa vie».
Si Ralf Jox souligne les «liens excellents» qu’entretient le milieu de la santé avec Exit, il n’en reste pas moins que certains restent gênés par la démocratisation de la pratique. «Je trouve que le discours autour d’Exit minimise la gravité de cet acte, qui reste une mort violente», exprime ainsi Alain Martin, aumônier en EMS pour l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV).
Du fait de son expérience, il affirme qu’«une mort par suicide assisté représente non seulement un choc pour les familles, mais aussi pour les soignants, parfois même un traumatisme». Une vision que partage Ariane Baehni, aumônière de l’EERV en EMS à Lausanne, selon laquelle «tout le personnel a besoin d’être entendu lors d’un suicide assisté, de la dame qui nettoie au cuisinier».
«Il faut arrêter de parler d’Exit en Eglise, car cela suscite à chaque fois une ébullition malsaine. Cela m’énerve», s’agace la théologienne Annette Mayer. «La vision trop étriquée des gens d’Eglise leur fait du tort.» De son côté, Ralf Jox exprime également son regret de voir parfois que la «tradition chrétienne condamne encore le suicide assisté». Pour l’aumônière catholique, «ce qui est central, dans l’accompagnement religieux ou spirituel, c’est de prendre en compte le désir de vie ou de mort de la personne.»
Même son de cloche du côté de l’aumônier réformé Giampiero Vassallo. Employé par l’EERV, il «donne sa disponibilité» à l’association depuis de nombreuses années, sans y être accompagnant ou bénévole, «lorsque des personnes croyantes demandent l’assistance d’un ministre». Engagé à «entendre avant tout les gens qui souffrent», il raconte avoir été «présent jusqu’au bout» pour plusieurs membres d’Exit.
Selon lui, «les critères d’admission au suicide assisté pourraient vraisemblablement être encore assouplis», ce qu’il ne condamne pas, préférant s’abstenir de «tout jugement moral». S’il dit «ne pas comprendre la méfiance de certains collègues», l’aumônier admet tout de même avoir eu écho d’abus dans ses échanges avec la coprésidente de l’association. «Gabriela Jaunin m’a confié que des accompagnants acceptaient parfois trop vite la demande de mourir formulée par certains membres, et qu’il était important qu’elle garde un œil sur eux.» Interpellée à ce sujet, la coprésidente d’Exit que «normalement cela ne devrait pas arriver au vu de nos critères. Et si des accompagnants se retrouvent dépassés par leur empathie, il faut qu’ils mettent un terme à leur engagement.»