La HET-pro divise les réformés
Il est des questions qui ressortent régulièrement de sous le tapis où on les aurait volontiers laissées. Ainsi de la problématique des diplômés de la Haute Ecole de théologie de Saint-Légier (HET-pro) et plus précisément de leur potentiel recrutement au sein des Eglises réformées romandes.
Ce samedi 11 mars, la résurgence de cette éventualité n’a pas manqué d’agiter passablement le parlement (Synode) de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV). Une motion, déposée par dix délégués, souhaitait en effet demander formellement à l’Exécutif de travailler à un «projet de décision ou de résolution à propos des modalités de collaboration avec les personnes ayant suivi une formation à la HET-pro et de leur possible engagement dans des métiers d’église de l’EERV». S’en est suivi un débat nourri, où les franches prises de parole ont manifesté de grandes différences d’appréciation à l’égard de ce lieu de formation de sensibilité plus évangélique que libérale – la conviction religieuse prenant le dessus sur l’approche historico-critique du texte biblique.
«La question principale qui me préoccupe est bien celle de la repourvue des postes», réagit immédiatement le délégué Laurent Lasserre. Les Eglises réformées romandes font en effet face à un manque de relève certain, que viendra encore accentuer les nombreux départs à la retraite prévus ces prochaines années.
«Il ne faut pas confondre les débats», réagit pour sa part Frédéric Amsler, professeur à la Faculté de théologie et de sciences des religions (FTSR), dont il a été vice-doyen entre 2019 et 2022. «La pénurie de ministres est certes un problème, mais les liens éventuels avec la HET-pro en sont un autre.»
Pour les motionnaires pourtant, la corrélation semble évidente. «Lors d’une précédente assemblée, nous avons demandé au Conseil synodal (Exécutif) de développer la culture de l’appel pour le ministère d’Eglise. Or cette motion va exactement dans ce sens», pointe Jean-Daniel Gilliand. «Elle vise à élargir les filières et les possibilités de formation, à offrir à notre jeunesse des chemins différents pour s’engager dans notre Eglise. C’est du gagnant-gagnant.»
Du côté du porte-voix de la FTSR, la proposition est incompréhensible. «Je me vois quand même obligé de rappeler que l’EERV jouit d’une situation extrêmement privilégiée en ayant toutes ses instances de formation financées par l’Etat», rappelle-t-il. «Pourquoi dès lors aller chercher ailleurs, si ce n’est que l’herbe paraît toujours un peu plus verte ailleurs? La véritable urgence c’est de mettre en place des formations plus attrayantes.»
Même sentiment du côté du conseiller synodal Jean-Baptiste Lipp, pour qui «tous les besoins de formation au ministère, pastorat et diaconat, sont couverts par les facultés de Lausanne, Genève, Berne et l’OPF.» Et de souligner encore que «dès le départ, la création et le financement de la HET-pro ont été décidés sans la collaboration et l’aval officiel des Eglises réformées de Suisse romande».
Reste que de nombreux étudiants optent désormais pour le cursus «professant et professionnalisant» de la HET-pro, comme le pointe la motionnaire Théa Maffli, en évoquant sept étudiants , engagés dans la paroisse EERV de Corsier-Corseaux et heureux de leurs études au sein de l’institution privée. «Tout ce qu’ils désirent, c’est qu’on reconnaisse leurs acquis. Ce n’est pas zéro.» Et d’affirmer: «On n’a pas besoin d’avoir peur. On a beaucoup de choses en commun et ce serait dommage de se priver de certaines couleurs.»
Pour l’heure, l’EERV a la possibilité d’octroyer des équivalences «après examen du dossier d’études, et ce de manière individuelle et non systématique», indique Jean-Baptiste Lipp. Une voie pragmatique jugée satisfaisante pour beaucoup, à l’instar d’Yvan Bourquin: «Faisons confiance à ceux qui peuvent juger au cas par cas», enjoint-il.
Pour répondre à la demande faite par les motionnaires, Jean-Baptiste Lipp exprime le «souhait du Conseil synodal de rencontrer la direction de la HET-pro pour mieux communiquer sur nos critères et conditions d’admission et lever tout malentendu sur ce que la direction laisse entendre à ses étudiants en termes de conditions d’accès à un emploi au sein de l’EERV». «Cela ne changera rien au fait que nous avons des clivages et des différences d’approche profondes avec la formation de la HET-pro», réagit Frédéric Amsler. «Je dirais prudence…»
«La pluralité de notre Eglise implique un certain nombre d’étudiants venant de tous horizons. Ce n’est pas à la HTSR de leur dire qu’ils ne font pas partie du paysage religieux romand», conteste Guy Labaraque. Ce dernier voit d’ailleurs derrière la réticence de la FTSR, la «crainte de perdre ses étudiants au profit de la HET-pro»: «Mais cela n’est pas notre souci aujourd’hui, alors que nous peinons à repourvoir les postes vacants», insiste-t-il. Même son de cloche du côté de Jean-Daniel Gilliand, qui soupçonne également la FTSR «d’appréhender pour son pain». Or, rappelle-t-il, «en Eglise, on a plutôt l’habitude de partager…»
«L’intervention de mon préopinant me fait bondir», assène la déléguée Claude Neyroud Busslinger, pointant le fait que la HET-pro n’a pas encore obtenu son statut de Haute Ecole délivré au niveau fédéral. «Quand la Confédération aura donné son Stempel, la question pourra être revisitée, mais pas avant.» Sur le site de l’institution de formation privée, il est indiqué que «cette accréditation pourra vraisemblablement être obtenue dès janvier 2023», informe Jean-Frédéric Leuenberger. L’institution ajoute encore qu’une fois «l’accréditation obtenue, celle-ci s’appliquera de manière rétroactive à tous les diplômés de la HET-PRO».
Reste que ce sera bien aux Eglises réformées de décider si elles accepteront ou non, un jour en leur sein et de manière automatique, les diplômés de la HET-pro. Ce samedi, alors qu’une déléguée demandait de classer sans suite la motion, le vote s’est révélé plus que serré: cette dernière a été rejetée par 31 voix, contre 28 voix pour et 3 abstentions. Parions que le sujet ne manquera pas de ressurgir, sur Vaud ou dans un autre canton romand.