L'Eglise doit-elle dire non aux cérémonies laïques pour exister?
En fermant ses portes aux cérémonies laïques, l’Eglise réformée du canton de Neuchâtel (EREN) a ouvert le débat. L’Eglise peut-elle exiger qu’à part le culturel, ce qui se célèbre dans un temple relève uniquement du religieux? Une décision qui n’a pas manqué de faire réagir l’Association des célébrants et officiants romands (ACOR), qui a tenu a rappeler qu’elle ne cherchait pas «à porter préjudice aux Eglises». Craindrait-elle que la position de l’EREN entraîne un effet boule de neige dans les autres cantons romands?
Le président de l’EREN, Yves Bourquin, a conscience que cette interdiction jette «un pavé dans la mare». Il en veut pour preuve la pile de courrier reçu: «Sur ma table, j’ai autant de lettres d’indignation que de chaleureuses félicitations», confie-t-il. Et si certaines «relèvent de l’émotionnel et de vécus difficiles», d’autres, en revanche, vont jusqu’à questionner la valeur juridique de cette interdiction.
Prises de court, les autres Eglises cantonales sont ainsi «poussées à se positionner», comme l’exprime Gilles Cavin, président de l’Eglise réformée évangélique du Valais. «Moi-même, je suis très partagé face à cette question, qui n’a jamais été traitée par notre Eglise jusque-là». S’il entrevoit là une occasion d’entrer en contact avec de nouvelles personnes, «pour autant que le ministre soit quelque peu impliqué», il s’interroge sur le sens d’une pareille démarche si le ministre est totalement tenu à l’écart. «On peut se demander alors si le seul intérêt du temple n’est pas sa gratuité», glisse-t-il.
«Honnêtement, cette initiative m’a surpris», lâche de son côté Philippe Kneubühler, membre du Conseil synodal (Exécutif) de l’Union des Eglises synodales Berne-Jura-Soleure (BEJUSO). «Je ne vois pas la nécessité d’une interdiction. Chez nous, notre culture d’Eglise d’Etat suppose que nous soyons ouverts à toute la population», pose-t-il. Rien n’existe d’ailleurs sur cette question au niveau règlementaire, les paroisses de BEJUSO gérant ce genre de demandes au cas par cas. Et Philippe Kneubühler d’asséner: «A mon avis, cette décision n’aura aucune conséquence chez nous.»
Du côté de Vincent Guyaz, vice-président de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), l’idée n’est en tout cas pas d’interdire: «Nous avons tout à gagner, en termes de témoignage de l’Evangile, à accueillir tout le monde.» Il ajoute: «Nous recommandons aux paroisses vaudoises d’accepter les cérémonies laïques, pour autant qu’il y ait vérification qu’on ait affaire à quelque chose qui ne soit pas anticlérical, agressif ou sectaire.» Pour autant, l’EERV suggère de «négocier un bref accueil, au début de la cérémonie, de la part du pasteur du lieu ou d’un membre du conseil paroissial».
Dans l’Eglise protestante de Genève (EPG), les cérémonies laïques sont même conditionnées à la présence d’un ministre de l’EPG. «Notre Eglise est pour sa part satisfaite de la pratique mise en place et n’a pas pour projet d’en changer», exprime son service de communication. Et de formuler: «Il ne nous appartient pas de commenter ou de juger les décisions d’Eglises sœurs. Il incombe à chacune de décider de sa pratique.»
«Dans notre région, de telles demandes restent plutôt marginales. Sans doute est-ce pour cela que nous n’avons pas de ligne claire, si ce n’est que notre règlement stipule que les personnes utilisant un lieu de culte doivent en respecter la dignité», expose Pierre-Philippe Blaser, président de l’Eglise évangélique réformée du canton de Fribourg. Ici aussi, les décisions sont prises isolément. «Si nous tenons à notre esprit d’ouverture, nous pouvons légitimement nous demander où se trouve la cohérence de telles demandes», poursuit-il. «Pourquoi choisir un lieu religieux pour une célébration qui ne l’est pas?»
«Il n’y a aucune contradiction ni paradoxe», estime pour sa part Julien Abegglen Verazzi, co-fondateur de l’Association des célébrants et officiants romands (ACOR). «Les familles ne font pas de demandes incohérentes et notre priorité reste de répondre de la meilleure façon possible à leurs besoins.» Et d’expliciter: «Il y a souvent au départ le souhait de respecter les volontés du défunt. D’autres fois, elle expriment par le choix d’un temple un attachement culturel ou symbolique.»
De par son expérience, Edmond Pittet, directeur des Pompes funèbres générales de Lausanne, observe que «d’une manière récurrente, c’est la notion de sacré que les gens viennent chercher dans ces lieux».
«En tant qu’Eglise, nous avons la responsabilité de ce qui se dit au niveau spirituel dans les temples. Il en va aussi de notre crédibilité», recadre Yves Bourquin. Quant à lui, Vincent Guyaz concède qu’«il y a en effet quelque chose de juste et de légitime sur le fait que nos Eglises souhaitent éviter la confusion». Pour autant, selon lui, «le témoignage de l’Evangile et l’accueil d’une famille en deuil doivent passer avant l’identité réformée».
Enfin, aux yeux du théologien et journaliste Michel Kocher, directeur de Médias-Pro, «la décision de Neuchâtel fonde une bascule historique. L’EREN envoie un signal certes un peu clivant, mais compréhensible. Cela nous rappelle que le service premier de l’Eglise n’est pas de louer des locaux, mais d’accompagner les gens dans l’espérance qui est la nôtre.» Et de conclure: «On existe aussi quand on ose dire non. Sinon, on finit pas disparaître car on n’est plus pris au sérieux.»