L’armée cherche 41% d’aumôniers supplémentaires
L’appel est lancé. Au 1er janvier 2023, l’armée a annoncé vouloir augmenter les effectifs de son aumônerie militaire à hauteur de 41%. Une demande qui sonne résolument comme un signe de reconnaissance envers une mission encore peu connue du grand public.
«C’est une conséquence directe de la crise sanitaire», déclare sans détour Noël Pedreira, remplaçant catholique du chef de l'aumônerie de l'armée. «Nos aumôniers ont été fortement sollicités pendant cette période par les 8000 militaires qui se sont retrouvés mobilisés et ont vécu des expériences douloureuses, notamment dans les hôpitaux ou les EMS», poursuit-il.
Et pour cause. «Pour certains militaires, la crise du Covid a été synonyme d’enfermement», raconte Yemili-David M’Bras, officier de carrière d’unité. «Au pic de la crise, ils ne sont pas rentrés chez eux pendant six semaines. Alors forcément, à un moment, ça a commencé à gamberger…»
A cette occasion, la nécessité que ces accompagnants spirituels n’interviennent pas seulement sur appel, mais soient au plus près de chaque unité militaire, a été mis en évidence. «Dès le début de la mobilisation, nous avons tout de suite stipulé que nous devions incorporer des aumôniers aux troupes, qu’ils soient présents avant que les problèmes ne surgissent», explique Noël Pedreira.
«L’armée a ainsi mis à disposition cinq fois plus d’aumôniers que d’habitude, soit un par compagnie et non par bataillon», précise le capitaine Jean-Marc Schmid, pasteur et aumônier réformé. Une présence systématique que l’armée souhaite aujourd’hui pérenniser. «A l'avenir, au moins un aumônier par langue nationale accompagnera chaque école de recrues. En cours de répétition, ce sera un par bataillon», détaille le remplaçant du chef de l'aumônerie.
Une reconnaissance qui n’étonne pas Jean-Marc Schmid, qui se souvient «d’un sondage adressé, il y a quelques années, aux cadres supérieurs de l’armée pour leur demander s’ils estimaient qu’un service d’aumônerie avait encore du sens. Plus de 70% d’entre eux avaient répondu par l’affirmative.» Et de résumer: «Quand tout va bien, on n’en a pas besoin. Mais dès qu’il y a un gros problème, comme un accident ou un décès, c’est indispensable.»
Si le besoin d’augmenter les effectifs est reconnu, reste la difficulté à trouver de nouvelles recrues. «Le défi est plus qu’audacieux», formule Esther Gaillard, qui a longtemps été chargée de la question de l’aumônerie militaire au sein du Conseil (Exécutif) de l’Eglise évangélique réformée de Suisse. «Ces dernières années, on n’arrivait même pas à proposer le nombre d’aumôniers qu’on aurait souhaité.» Jean-Marc Schmid se montre plus sceptique: «Quand le commandant des opérations annonce vouloir septante aumôniers de plus l’année prochaine, on rigole gentiment. C’est pas parce qu’on veut qu’on les trouvera!»
Il faut dire que l’engagement des aumôniers militaires fonctionne différemment des autres aumôneries (hôpitaux, prisons, etc.). Il ne s’agit pas d’une profession exercée à l’année (sauf dans le cas des hauts responsables de l’aumônerie), mais bien d’une manière d’opérer son service militaire. Si les communautés religieuses sont appelées à proposer des candidats potentiels, la formation (3 semaines) est du ressort de l’armée, ainsi que le choix des candidats, d'entente avec les Eglises et communautés religieuses partenaires.
De son côté, Noël Pedreira se montre confiant: «Nous sommes convaincus que les Eglises et communautés religieuses ayant établi un partenariat avec l’aumônerie militaire regorgent de personnes qualifiées pour assumer ce type de responsabilité.» A son avis, l’objectif – qui est de passer de 171 à 242 aumôniers – devrait cependant être atteint seulement «peu avant 2030». Pour autant, estime-t-il, «il faut toutefois sortir des sentiers battus et ne pas hésiter à interpeler des profils alternatifs. Le temps où tous les aumôniers étaient uniquement pasteurs, prêtres, diacres permanents ou assistants pastoraux est définitivement révolu.»
Même son de cloche du côté d’Esther Gaillard: «Il faut se bouger, s’ouvrir à d’autres champs professionnels, sinon on ne trouvera pas de relève.» Quant à la récente ouverture aux accompagnants spirituels d’autres communautés religieuses, celle-ci ne semble pas encore en mesure de répondre à tous les besoins. Actuellement, l’aumônerie militaire compte 167 membres (152 hommes, 15 femmes), dont 82 réformés, 60 catholiques, 19 évangéliques, 3 catholiques-chrétiens 1 musulman et 2 juifs. Avis aux intéressés.
Une écoute prophylactique
Noël Pedreira, aumônier catholique, remplaçant du chef de l'aumônerie de l'armée
Pourquoi est-ce important que les aumôniers soient directement incorporés dans l'unité militaire qu'ils accompagnent?
Cela nous permet d'être au plus proche de ce que vivent les militaires concernés, de connaître la culture propre à l'unité militaire que nous accompagnons, sa «mentalité». Il y a aussi un rôle «prophylactique» à ne pas négliger. L'aumônier «prend la température» du moral de la troupe et peut ainsi rendre les commandants attentifs à d'éventuelles difficultés qui pourraient survenir.
Quelle part prend la religion dans votre mission?
Notre être et notre agir s'ancrent dans quelque chose (ou quelqu'un) qui dépasse ce que nos seuls sens peuvent appréhender. Ce «quelque chose» nous fait dire que chaque personne que nous rencontrons est infiniment précieuse. Cet ancrage débouche ainsi sur une vision positive et dynamique de l'humain: chaque personne dispose des ressources nécessaires pour apprendre à croire en elle et à faire face à bien des obstacles se présentant sur son chemin militaire…
Cet ancrage religieux ne peut-il pas être un frein?
Je reste convaincu que nos jeunes contemporains sont, d'une manière ou d'une autre, sensibles à cette dimension… Face à une recrue qui me demandait un jour, pendant une marche, pourquoi je prenais le temps de venir les rencontrer, lui et ses camarades, je lui avais répondu: «Ce en quoi je crois – et qui peut-être vous échappe – me fait dire que chacun de vous est infiniment précieux…Et au nom de cette foi, que je ne vous demande nullement de partager, je viens faire un petit bout de route avec vous.» Quelques semaines plus tard, ce militaire me contactait car il souhaitait me confier quelque chose qui lui pesait…