Les croyants mobilisés pour défendre l’avortement
S’il y a eu un grand vainqueur lors des élections américaines de mi-mandat qui se sont tenues ce 8 novembre, c’est bien le droit à l’avortement. Cinq mois après que la Cour suprême des États-Unis a annulé l'arrêt historique Roe v. Wade de 1973 qui accordait aux femmes le droit à l'avortement, les électeurs de tout le pays ont clairement manifesté, à cette occasion, leur mécontentement. Et les croyants n’ont de loin pas manqué à l’appel.
Ainsi, en Californie, dans le Vermont et dans le Michigan, les électeurs ont approuvé des mesures électorales inscrivant le droit à l'avortement dans la Constitution de leur État. Quant aux États traditionnellement républicains du Montana et du Kentucky, les électeurs y ont rejeté les mesures visant à restreindre l'accès aux soins dits de santé reproductive.
Plusieurs élections de gouverneurs (notamment en Pennsylvanie et au Michigan remportées par les démocrates Josh Shapiro et Gretchen Whitmer) ont par ailleurs été considérées comme essentielles pour le droit à l'avortement – une préoccupation majeure pour les électeurs de ces États. Quant aux républicains de Caroline du Nord, ils n'ont pas réussi à obtenir une super-majorité législative permettant d'opposer un veto, ce qui garantit que le gouverneur démocrate Roy Cooper continuera à avoir le pouvoir de bloquer toute restriction à l'avortement.
Si la défense du droit à l’avortement constituait l’un des arguments de campagne majeurs du camp démocrate, les commentateurs politiques s’accordaient pourtant à prédire que celui-ci ne serait pas un sujet aussi mobilisateur du côté démocrate. Or, c’est précisément le droit à l'avortement qui semble avoir permis aux démocrates d’éviter la présumée «vague rouge» républicaine.
D'après un sondage effectué au sortir des bureaux de vote, l'avortement est hissé en deuxième position des préoccupations à avoir le plus mobilisé les électeurs à se rendre aux urnes, juste après le thème de l’inflation. Pour 27% d'entre eux, les menaces sur ce droit à l’avortement avaient même constitué l’élément qui avait «le plus pesé» sur leur vote.
«S'il y a une chose que les élections de mi-mandat de 2022 devraient nous apprendre, c'est que la protection de l'avortement est populaire», a déclaré Jamie Manson, président de Catholics for Choice. Quelque 57% des catholiques américains, le groupe religieux le plus important du pays avec 61 millions de fidèles, sont en effet favorables au droit à l'avortement, et ce même si leurs dirigeants et les doctrines de leur Eglise s'y opposent.
Outre les catholiques, la majorité des Américains se présentant comme croyants avaient également affirmé, en septembre, leur soutien à la défense de ce droit. Ainsi, l’avortement est considéré comme devant être légal dans tous les cas ou dans la plupart des cas par 64% des protestants non évangéliques, 73% des orthodoxes, 73% des juifs, 63% des musulmans et 77% des hindous.
Seuls les évangéliques et les membres de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, communément appelés les mormons, ont exprimé un soutien majoritaire à l'idée de rendre l'avortement illégal dans tous ou la plupart des cas (respectivement à hauteur de 65% et 54%).
Les mesures relatives au droit à l'avortement adoptées lors des élections de mi-mandat font suite au référendum organisé en août dans l’Etat du Kansas, où les électeurs ont rejeté une proposition d'amendement constitutionnel qui aurait déclaré qu'il n'y avait pas de droit à l'avortement dans cet Etat. «Nous ne sommes pas surpris que les cinq mesures électorales relatives à l'avortement aillent dans le sens de l'accès à l'avortement», formule le rabbin Danya Ruttenberg, chercheuse en résidence au Conseil national des femmes juives. Et d’ajouter: «Nous ne sommes également pas surprises par cette participation massive, qui est vraisemblablement le résultat de la prise de conscience de l'importance de défendre nos droits.»
Au final, les élections américaines de mi-mandat ont surtout renforcé la détermination des groupes religieux à continuer à défendre le droit à l'avortement. Au Missouri, une centaine de rabbins américains du mouvement juif conservateur se sont par exemple réunis mercredi dans un parc de Saint-Louis pour manifester en faveur de l'accès à l'avortement dans un Etat qui l'interdit. La tradition juive autorise l'avortement, et l'exige même lorsque la vie de la mère est en danger.
«Les personnes enceintes, tout comme celles qui soignent, doivent avoir le droit de suivre leur propre conscience et traditions religieuses sans pour autant restreindre le droit des autres à suivre leur conscience et traditions religieuses», a exprimé le rabbin Pamela Barmash, présidente du comité de l'Assemblée rabbinique sur la loi et les normes juives.
En Caroline du Nord, les républicains, dont le sénateur Lindsey Graham et le député Ted Budd qui vient d'être élu, ont proposé une interdiction nationale de l'avortement à 15 semaines. Une telle mesure n'a cependant aucune chance de passer tant que le président Joe Biden est en fonction: les républicains auraient besoin d'une majorité des deux tiers au Congrès pour passer outre un veto présidentiel.
De nombreux évangéliques américains, comme de nombreux évêques catholiques du pays, soutiennent cette mesure. «Vous avez une situation dans laquelle les Conférences catholiques et les évêques dépensent des millions et des millions de dollars pour faire passer des lois et des amendements dont la majorité de l'Eglise ne veut pas», expose Jamie Manson. «J'invite la hiérarchie à réfléchir à cela: la façon dont elle dépense son argent et les valeurs qu’elle prône ne reflètent pas les valeurs et les convictions de ses fidèles.»
Malgré les résultats positifs de ces élections, le révérend évangélique Rob Schenck, autrefois opposé à l'avortement mais soutenant aujourd’hui ce droit, s’attend à ce que les évangéliques continuent de proposer des mesures législatives visant à restreindre toujours plus l’accès à l’avortement. «J'aimerais penser que ces résultats obligeront les partisans de l’interdiction à analyser les raisons de l'échec de ces initiatives, mais je doute que cela se produise», regrette-t-il. A ses yeux, si le changement arrive, ce sera avec les futures générations: «Les jeunes évangéliques ne voient pas les solutions juridiques comme un moyen de résoudre le problème», expose-t-il. «Nous verrons peut-être une attitude très différente dans vingt ans. Mais il y a encore un long processus devant nous.»